On a vu : ‘Prost, itinéraire d’une légende’ - Professeur, le plus beau métier du monde ?

Plus qu’un récit, un roman

Par Alexandre C.

3 décembre 2024 - 14:59
On a vu : ‘Prost, itinéraire d'une

Après la projection du documentaire « Prost, itinéraire d’une légende », le grand Alain, le quadruple champion du monde monte sur scène devant l’équipe du film : il confie avoir un regret durant sa carrière. Celui de n’avoir pas assez montré l’aspect humain du sport, comme surtout de son parcours.

Son regret est aujourd’hui devenu une fierté avec ce documentaire brillant de Canal + qui, loin des clichés attendus, montre Alain plus que Prost.

Comment raconter la carrière d’Alain Prost, quadruple champion du monde de la F1 (et quintuple si Renault avait bien porté plainte contre Brabham pour carburant illégal en 1983, ce que notre Professeur regrette bien volontiers au passage…) et un des plus grands sportifs français de tous les temps ?

Les réalisateurs, Audrey Estrougo et Stéphane Colineau, auraient facilement pu s’y casser les dents, par exemple en se perdant dans un documentaire trop narratif, trop sportif, racontant chronologiquement les victoires et les titres, glanés ou presque glanés, du Professeur.

Ce documentaire, fruit d’un travail de trois ans, ne s’y trompe pas et réussit à éviter et les clichés et la tentation du résumé saison par saison. Vous avez aimé Les Yeux dans les Bleus, vous aimerez Les Yeux dans le Prost. Si on aime la F1, c’est aussi parce qu’il y a de l’humain, de la chair derrière la combi, et c’est précisément ce que nous montrent ces trois premiers épisodes (sur six) que nous avons pu voir.

Certes, ceux qui adorent avant tout Prost pour sa maitrise de la course, son ‘racecraft », mot que le Professeur a personnifié, seront comblés. Le premier épisode des six s’ouvre d’ailleurs sur le coup de génie de Prost en 1990 au Mexique. Il décide de régler sa Ferrari pour la course, non les qualifications. Il s’attend à partir 5e, ou 6e. Mauvaise surprise, il part 13e. Aïe, ça fait moyen quand on vise un titre. Et pourtant il prend un pari devant son équipe : je finirai 1er. Il signe un papier. Bravade ou confiance du champion ? On ne sait pas, en tout cas l’histoire plaidera pour la deuxième option : Prost s’impose, après un dernier dépassement sur la McLaren F1 de Senna.

Voici pour le pilote. Mais en réalité, dans ce documentaire en six épisodes, on découvre surtout l’homme. Son enfance, sa famille, ses doutes, ses déboires. C’est le plus important, le plus marquant.

Et même les aficionados de la F1 risquent d’être surpris : car sûrement Alain n’avait jamais autant raconté Prost.

Daniel Prost : parce que c’était lui, parce que c’était moi

« On ne rencontre pas toujours sa vocation » : c’est sur ces mots de Prost que s’ouvre le documentaire. Aphorisme qui résonne ô combien. Car cette phrase n’est pas pour Alain. Elle est pour Daniel. Son grand frère d’un an et demi. C’était Daniel, et non Alain, qui était passionné de sport auto. Alain, lui, collectionnait plutôt les cartes Panini de football à Saint-Chamond, dans la menuiserie parentale.

Mais c’est Daniel qui emmena un jour Alain sur la piste de karting d’Antibes la Siesta. Alain avait 13 ans, il avait aussi un bras cassé, il le cacha aux organisateurs. Heureusement, sinon il n’aurait pas gagné la petite course d’amateurs et quatre titres de champion du monde de F1. À quoi tient une vocation ? Peut-être à l’insistance de la mère d’Alain, mère courage, toujours à la menuiserie familiale, qui poussa tant pour que son frère Daniel ne soit pas seul ce jour-là à Antibes.

Daniel ne fut jamais seul, car il eut tant besoin d’être accompagné. « Je n’ai jamais été jaloux, je considérais que mon frère passait en premier, et que je devais être à côté » confie Alain. En 1980 lorsque Alain fait ses débuts en F1, c’est Daniel qui aurait dû être dans la F1. C’est Daniel le fan de F1. « Il n’était pas jaloux, pas rancunier, mais il y avait de l’envie oui » confie Alain, ému, les larmes aux yeux. Oui, mais Daniel a une tumeur au cerveau. On dit de lui qu’il fut le premier trépané à succès.

C’est à Daniel qu’Alain pensait aussi ce jour du Grand Prix d’Adelaïde 1986, ce Grand Prix de légende, où Prost n’était pas favori mais fut couronné d’un deuxième titre mondial, devant Mansell et Piquet, au terme d’une course rocambolesque. Et avant ce Grand Prix, il y avait eu aussi Estoril. Daniel décède. La maladie de plus, la maladie de trop, cancer après la tumeur… Et Alain est dans la voiture. Il pense à Daniel. Il pense à lui, mais n’était jamais déconcentré, il précise. C’est important. Aussi important qu’un deuxième titre mondial.

Quant à sa mère Marie-Rose, elle se demande comment elle a fait pour, quelques jours après le décès de son fils aîné, accourir au Portugal applaudir la 2e place décisive de son fils. « Peut-être que nous sommes forts de quelque chose ? » confie-t-elle. Quelque chose ? On ne sait pas.

Peut-être la résilience de cette famille Prost, dont la branche Karatchian est rescapée du génocide arménien. C’est probablement ce qui explique pourquoi la grand-mère de Prost, celle qui a le plus compté pour lui, a toujours le sourire, « toujours la banane le matin » confie Alain. Après tout, un génocide enseigne les vertus de la relativisation.

C’est tout l’intérêt, toute la valeur ajoutée du documentaire de Canal + : nous montrer l’humain derrière le pilote. Et son histoire vaut bien plus que quatre titres. Qu’est-ce qui vaut mieux, se demande d’ailleurs Prost dans le documentaire : remporter 7, 8, 9 titres mondiaux ? ou rester dans l’histoire pour un certain duel contre un certain Brésilien ? La postérité des mentions de Prost répond à cette question.

« Renault, ils m’ont toujours trahi »

Quand on pense Prost, on pense Senna. D’ailleurs Alain s’en agace. Fort heureusement, ce documentaire nous permet d’aller plus loin justement : après l’avoir vu, quand on pense Prost, on pense Daniel, son frère, on pense Lauda, Marie-Rose, Alesi, Stewart...

Et on pense aussi à Renault. C’est un des moments très fort du documentaire. « Renault, ils m’ont toujours trahi » lance Prost. Trahi tout récemment, lorsque le déjà oublié Laurent Rossi montra la porte à Alain. Trahi aussi en 1982 au Paul Ricard. Renault promet à Prost, mieux placé au championnat, qu’Arnoux, qui bénéficie de réglages moteurs plus avantageux, le laisserait passer. Que nenni, Prost finit 2e, derrière Arnoux qui tenait trop à donner à Renault sa première victoire en F1. Le méchant ? Ce n’est pas Arnoux, c’est Prost qui râle devant la TV. Vite fait, on le surnomme le lutin grincheux, le petit suisse…

C’est ça la France, brûler ses idoles, les adorer, les brûler encore. La France préfère les Poulidor aux Anquetil. Elle préférait alors les Arnoux à Prost. On est ainsi frappé de la violence et du harcèlement téléphonique (Twitter n’a rien inventé) que doit subir Prost. Après l’épisode du Castelet, il s’arrête d’ailleurs à une station essence. L’employé de la station le prend pour Arnoux : « heureusement, tu n’as pas cédé à ce connard, cet enfoiré de Prost » lui lance-t-il. Prost ne sort pas sa carte Elf à son nom, de gêne, il paie cash. « Le plein le plus cher de ma vie, du moins symboliquement ».

On dit qu’il a quitté la France pour la Suisse à cause des impôts ? Lui qui dut galérer et enchainer les petits boulots pour se payer son premier kart à 700 F ? Lui qui, quand ses amis pointaient au bistro et au cinéma, restait à la porte parce que voyons, 3 F dans un bock c’est 3 F de moins dans un kart ?

La France n’aime pas assez ses champions, mais après son premier titre, Prost devint enfin prophète dans son pays et passa à la « prostérité » pour reprendre le titre de L’Équipe.

Oui, cette chronologie paraît déstructurée mais c’est aussi le propre et le fort de ce documentaire que de nous montrer un Prost tel qu’il est dans ses souvenirs aujourd’hui, où tout se mêle et se (re)construit.

En réalité, vous connaissiez Prost, mais vous ne connaissiez pas Alain. Son frère, sa mère, son cousin, sa relation si fusionnelle avec Niki, sa rédemption, sa revanche, son désamour puis son amour avec la France : ce documentaire nous montre tout cela. Il vous rendra même Ron Dennis sympathique et humain. C’est dire à quel point il est spécial.

« Prost, itinéraire d’une légende », documentaire en six épisodes », à partir du 8 décembre sur Canal +.

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