Senna, 30 ans déjà – ces dernières infos sur la légende qui vous ont peut-être échappé

Newey, Ferrari, Prost... de nouveaux récits et témoignages

Par Alexandre C.

1er mai 2024 - 07:40
Senna, 30 ans déjà – ces dernières (…)

Ayrton Senna nous a quittés depuis 30 ans – et pourtant, il demeure dans tous les esprits.

Chaque année encore, de nombreux pilotes, ingénieurs, patrons d’équipe, etc., prennent la parole pour évoquer, parfois révéler, des informations sur la légende brésilienne.

Détails, révélations, coulisses parfois piquantes… ces 12 derniers mois n’ont pas été avares non plus en informations.

Prost a lui-même poussé pour recruter Senna chez McLaren F1

L’information la plus piquante ces derniers mois était sans aucun doute livrée par Alain Prost au podcast "Beyond the Grid", en avril 2023.

Bien sûr, chacun se souvient du duel légendaire entre Prost et Senna chez McLaren F1. Mais on ignorait encore à quel point Prost avait poussé pour… recruter lui-même Senna chez McLaren F1. Ou l’histoire du mari fait cocu…

En 1988, McLaren F1 avait laissé le choix à Prost : choisir entre Senna et Piquet. Prost dit avoir choisi Senna pour le long terme de l’équipe.

« J’ai toujours voulu soutenir l’équipe et prendre la meilleure décision pour elle. C’est pourquoi j’ai également soutenu le fait qu’Ayrton devait venir dans l’équipe et non Nelson à l’époque » estimait Prost, qui craignait aussi un duel interne trop fort avec Piquet.

« Je n’avais rien contractuellement pour m’opposer à sa venue. Mais je pense qu’il m’aurait été facile à l’époque de dire non, je préfère Nelson, je préfère quelqu’un d’autre. Et quand nous étions en réunion au Japon, vous savez, avec les gens de Honda, nous parlions de cela, ils allaient prendre Nelson qui est un bon ami, mais j’ai dit pourquoi vous ne prenez pas le jeune homme ? »

« Je veux dire qu’Ayrton est l’avenir de la Formule 1. Il devrait être l’avenir de l’équipe. »

« Dire cela aujourd’hui semble stupide, mais c’était la philosophie de l’époque. Je faisais toujours tout pour McLaren. J’accompagnais Ron à toutes les réunions importantes. J’allais chercher des sponsors. Vous savez, ce n’est pas la façon dont vous travaillez aujourd’hui en Formule 1, c’est très, très différent. »

Les coulisses du duel Prost-Senna racontées par un ancien ingénieur de McLaren F1

On connait donc la suite : la cohabitation deviendrait vite guerre civile à Woking.

Dans un article récent, Neil Oatley, qui fut ingénieur de course de Prost en 1988 (avant de passer designer en chef de McLaren F1, racontait les coulisses passionnantes de ce duel légendaire.

Il se rappelle que la montée des tensions avait été très progressive – mais que tout avait changé à mi-saison, à partir du Portugal.

« C’était bien. Je veux dire qu’il n’y avait pas vraiment de tension, surtout en 1988. »

« L’ambiance était plutôt amicale. »

Au Portugal, Prost avait signé la pole avec cinq dixièmes d’avance sur Senna en qualifications, mais avait gêné son coéquipier dans un des tours rapides.

« Alain était très rapide. Littéralement, je pense qu’une demi-heure après le début de la séance, il a enfilé sa tenue casual et s’est appuyé sur le mur des stands en regardant le garage d’Ayrton. Je pense qu’Ayrton voulait juste lui toucher le nez après ça ! »

Puis en course, Senna réussit pourtant à passer devant le poleman Prost au moment du départ ; mais le Français retrouva vite la tête dans la ligne droite principale. A ce moment-là, Senna poussa presque Prost dans le mur des stands - un vrai premier signe de tension.

« C’était le premier moment de tension » poursuivait Oatley pour le podcast "Beyond the Grid", « pour être honnête - c’était peut-être en partie à cause de ce qu’Alain avait fait l’après-midi précédent. Je pense que l’année avait été assez amicale jusqu’à ce moment-là, mais cela a créé un peu de tension, tension qui s’est également manifestée six mois plus tard à Imola. »

À Imola en 1989, la tension montait encore, jusqu’à atteindre un point de non-retour.
Après un gros crash de Berger, la course reprit et Prost dépassa Senna pour la tête de course, à Tamburello, juste après la reprise. Mais à Tosa, Senna reprit les devants et gagnait finalement la course.

Or Prost fut particulièrement furieux : un accord avait été apparemment trouvé entre les pilotes McLaren pour que le pilote en tête au virage 1 puisse gagner la course. Oatley se souvient de cet épisode.

« Évidemment, les choses ont un peu changé après Imola. »

« Au débriefing, nous étions assis autour de la table, les deux pilotes, moi-même, et tous les ingénieurs. Mais les pilotes ne se parlaient jamais. Si Alain voulait savoir quelque chose sur la voiture d’Ayrton, il demandait à Steve [Hallam, l’ingénieur de course de Senna], et si Ayrton voulait savoir quelque chose, il me demandait à moi et pas à Alain. C’était donc une situation un peu étrange, mais il n’y avait pas vraiment d’animosité. »

Quant aux réglages des pilotes, Oatley livrait aussi des détails intéressants : apparemment, il n’y avait de piège mutuel de ce côté.

« Les réglages des deux pilotes s’écartaient rarement l’un de l’autre. Tout ce qu’ils faisaient, c’était regarder ce que faisait l’autre dans le garage. »

« Ayrton a toujours été très amical. Je ne pense pas qu’il me considérait comme un véritable ennemi. »

« Il était beaucoup plus intense. Il jouait avec les réglages de la voiture et du moteur. Il amenait les choses à un niveau différent par rapport à ce à quoi Alain était habitué. Alain était encore dans le monde où, un samedi après-midi après les qualifications, il était sur le terrain de golf avec Jacques Laffite deux heures plus tard, alors qu’Ayrton était enfermé dans le camion avec les ingénieurs de Honda, essayant de trouver comment il pouvait rendre le moteur plus réactif ou plus facile à conduire. Il a commencé à amener les choses à un autre niveau. »

Reste que l’arrivée de Senna précipiterait le départ de Prost – dès 1988, selon Oatley.

« Avec l’arrivée d’Ayrton en 1988, un grand changement s’est opéré et soudain, il n’y a plus eu que moi pour m’occuper d’Alain. L’équipe avait déjà décidé de son avenir. »

Prost ou Senna ? Qui était le meilleur ?

En tant qu’ancien ingénieur de Prost, Oatley reste aujourd’hui un des mieux placés pour répondre à la question à 100 millions : entre Prost et Senna, qui était le meilleur ?

Prost a-t-il d’ailleurs jamais admis, confié devant son ingénieur, que Senna avait en effet l’avantage au moins en qualifications ?

« Je ne lui ai jamais posé cette question. »

« Je pense que mon intuition me dit que oui Senna était plus rapide sur un tour que Prost, mais cela ne le dérangeait pas vraiment. De toute évidence, une demi-génération les séparait. Alain avait donc fait sa part du travail et était bien plus avancé dans sa carrière. Ayrton voulait prouver qu’il était le pilote le plus rapide de tous les temps, mais ce n’est pas quelque chose qui a vraiment joué dans l’esprit d’Alain. »

« Alain se concentrait pour avoir une bonne voiture pour la course - plutôt que d’une bonne voiture pour les qualifications. Tout le monde aime être en pole position, mais ce n’était pas si important pour lui. »

Senna chez Ferrari ? Dès 1991, cela aurait pu se concrétiser

La dernière équipe de Senna fut donc Williams F1 en 1994. Mais le Brésilien aurait en réalité pu quitter McLaren F1 dès 1991, pour rejoindre… Ferrari !

On sait que Jean Todt proposa un contrat à Senna en 1993, mais un accord avait été déjà conclu entre Senna et la Scuderia en 1990, pour la saison 1991 (Cesare Fiorio était alors le patron de la Scuderia).

« Nous étions d’accord sur tout » a récemment confirmé Fiorio.

« Mais Fusaro s’y est opposé. »

Piero Fusaro était alors président de Ferrari et Luca di Montezemolo lui succéda en 1991.
Et pourquoi avoir refusé ? La réponse semble évidente puisque un certain Prost courait à Maranello…

« Peut-être était-ce pour éviter de contrarier Alain Prost, ou peut-être parce qu’il voulait me faire comprendre qu’il (Fusaro) était aux commandes. »

« Seuls lui, moi et le conseil d’administration de Ferrari étions au courant de cette négociation. Quelqu’un en a parlé à Prost. »

À noter que Fusaro avait cependant dans la foulée nié la version de Fiorio ! La vérité sera-t-elle jamais sue ?

Williams F1, la dernière équipe de Senna : les regrets de Newey

Il est au cœur de l’actualité aujourd’hui comme il l’était il y a 30 ans : Adrian Newey.

Le génial concepteur F1 fait équipe avec Max Verstappen, comme il faisait équipe hier avec Ayrton Senna.

L’histoire retiendra que la dernière F1 pilotée par Senna aura donc été conçue par Newey. La fameuse et pernicieuse FW16, qui devait se passer de suspensions actives.

La voiture, avec ses suspensions passives, était rapide en qualifications (en témoignent les premières poles de Senna) mais aussi très instable.

« La voiture de 1994, c’est l’un de mes grands regrets – sans lien avec l’accident d’Imola » tenait tout de suite à préciser Newey en septembre dernier.

« La seule chose que l’on puisse dire à propos de la voiture, c’est qu’elle était aérodynamiquement instable. »

Le lien n’était donc pas fait – du tout – par Newey entre l’accident de Tamburello et l’instabilité de la Williams F1.

« Nous avions passé deux ans avec la suspension active et, c’est ma faute, j’ai complètement raté l’aérodynamique de la voiture de 1994, en revenant à la suspension passive et à une hauteur de caisse beaucoup trop importante. »

« C’était une voiture très, très difficile à conduire et plus le circuit était bosselé, pire c’était. Et bien sûr, Imola était un circuit assez bosselé, donc ce qu’il a fait avec cette voiture était assez extraordinaire, et il pouvait le faire en qualifications. »

« Au Brésil, il a réussi à la faire fonctionner, mais il est parti en tête-à-queue dans le dernier virage, vers la fin de la course, en extrayant cette performance de la voiture. »

« Damon [Hill] n’a pas essayé d’extraire ce niveau de performance de la voiture, et il a donc terminé la course, mais il savait que cette F1 était instable. »

« Senna essayait toujours de trouver de la confiance et de contrôler sa voiture. Sa maîtrise de la voiture et sa concentration étaient tout à fait extraordinaires. »

À la suite de la mort de Senna, Newey, comme l’ensemble de l’équipe Williams, était dans un tel choc qu’il dit même avoir pensé à quitter la F1.

« J’y ai pensé, je dois dire que vous seriez un imbécile ou qu’il y aurait quelque chose qui ne va pas si vous ne vous remettez pas en question et si vous ne remettez pas en question ce que vous faites. »

« Tout d’abord, cela aurait été très égoïste parce que si Patrick [Head, directeur de l’ingénierie de Williams], moi ou nous deux avions décidé d’arrêter, nous aurions laissé l’équipe dans le désarroi le plus complet. »

« Comme pour toutes les erreurs, quelle que soit la cause de l’accident, vous devez tirer les leçons de ce qui a pu causer l’accident et vous assurer que vous réagissiez – pour prendre les mesures appropriées afin que cela ne se reproduise plus jamais. »

Senna vu par Newey

Quant à sa relation, aussi brève qu’intense, avec Ayrton Senna, Newey a confié également une anecdote qui en dit long sur l’implication et le professionnalisme du Brésilien. C’était à la fin de l’année 1993...

« On a eu bien sûr une relation très courte, malheureusement. »

« Je suppose que j’ai progressé avec les années mais… lorsque vous avez quelqu’un comme Ayrton dans votre équipe, quelqu’un contre qui vous vous battez année après année, alors vous êtes en quelque sorte - sans le diaboliser – mais… il est en quelque sorte l’ennemi. »

« Je l’ai donc rencontré occasionnellement, mais je ne lui ai jamais vraiment parlé jusqu’à ce qu’il vienne pour la première fois à l’usine à la fin de ce qui devait être 1993. »

« On me l’a présenté et j’ai tout de suite demandé si je pouvais voir la maquette de la voiture en soufflerie. Nous avons donc fait le tour de la soufflerie. Là encore, il s’est mis à genoux, regardant sous la voiture, voulant expliquer ce que nous avions fait différemment, ce qui était différent dans cette voiture par rapport à la voiture de l’année précédente, pourquoi nous avions fait cela, etc. Il était d’une curiosité phénoménale. »

« On pourrait dire qu’il n’avait pas besoin de savoir tout cela. Mais il voulait simplement obtenir toutes les informations possibles, parce qu’elles pourraient lui être utiles à l’avenir ».

« Je pense que c’est probablement ce que je trouve le plus unique chez lui, plus que chez n’importe quel autre pilote avec lequel j’ai été impliqué. »

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