Pescarolo en 1982 : Je gagnais et on m’a collé une étiquette

"Pescarolo bon pilote d’endurance, pas de F1"

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10 juin 2012 - 12:37
Pescarolo en 1982 : Je gagnais et (...)

En 1982 se tenait la 50ème édition des 24 Heures du Mans. Si cette année l’épreuve est inscrite au calendrier du Championnat du Monde d’Endurance, il en était de même 30 ans plus tôt. A cette époque, Henri Pescarolo était en tête du championnat avant d’arriver dans la Sarthe, Henri étant au volant d’une Rondeau M382 alignée par OTIS-Rondeau. Le Groupe C était alors en vogue et les instances dirigeantes avaient revu la réglementation au niveau de la consommation, ce qui donnait un souffle nouveau à l’Endurance. « Nous sommes revenus à la situation des grandes années du Mans, après une période de désaffection des constructeurs qui a duré quatre ou cinq ans » indiquait Henri Pescarolo en 1982. « Cela avait fatalement entraîné une baisse d’intérêt des spectateurs. Les sponsors à leur tour s’étaient détournés des courses d’endurance. Tout cela parce que Le Mans, retiré du Championnat du Monde des Marques, avait instauré un règlement à part. Tenant compte d’impératifs tels que les économies d’énergie, la consommation avait été trop sévèrement limitée. L’esprit de la compétition avait relativement disparu, dans la mesure où le nombre d’écuries qui s’affrontaient sur le circuit s’amenuisait d’année en année. »

C’est donc du côté de la technique qu’il a fallu travailler : « Les ingénieurs ont eu plus de marge pour travailler. L’ancien règlement limitait la cylindrée ou l’alimentation. Tout cela est fini et aujourd’hui les nouvelles voitures peuvent être propulsées par un moteur atmosphérique de n’importe quelle cylindrée, une turbine à gaz, ou un turbo. La grande règle est de consommer la même chose ; on a plafonné la capacité des réservoirs à 100 litres et les voitures ne peuvent pas ravitailler plus de 25 fois durant la course. Cela ramène la consommation à des normes plus réalistes pour la compétition, à savoir 54 litres aux 100 km pour une moyenne de 200 km/h. »

« Mais les progrès techniques sont la résultante de la course et non son but initial » poursuit le pilote Otis-Rondeau. « La course n’a pas besoin de se justifier, tout comme l’alpinisme ou la bicyclette. On fait cela par passion. Quand une marque décide de s’attaquer à un championnat, elle engage un budget énorme dans la recherche de solutions qui lui permettront d’aller plus vite. Elle est donc amenée à se pencher sur des problèmes qu’elle n’aurait pas étudiés pour améliorer ses modèles de série. Que ceux-ci héritent par la suite du travail des bureaux d’études est normal. Mais il ne s’agit pas d’une motivation première. Cela dit, Le Mans offre des conditions à peu près uniques pour effectuer des tests sur les pneus, les antibrouillards, les essuie-glaces, qui doivent fonctionner à 340 km/h. Il est vrai que le frein à disque a été élaboré grâce au Mans. En revanche, le turbo qui est utilisé en course est dérivé de celui des camions. Les freins en carbone que nous étudions actuellement pour la compétition ont été mis au point pour le Concorde. Peut-être un jour la voiture de série en sera-t-elle équipée... C’est un cheminement logique, et non un but. Matra a gagné au Mans parce que ses activités aéronautiques l’ont fait bénéficier d’une technique de pointe dans la fabrication de ses coques. Aucune voiture de course n’avait une telle rigidité. Mais à l’origine, ce procédé de fabrication n’était pas destiné à la voiture de compétition, et encore moins à la série... »

Les pilotes sont toujours autant passionnés par Le Mans, même si la donne a quelque peu changé : « A l’époque, les pilotes de F1 couraient au Mans parce qu’ils ne gagnaient pas suffisamment d’argent. Aujourd’hui ils sont enfin convenablement payés, et par ailleurs le calendrier des épreuves F1 s’est allongé, tout comme les séances d’essais. Alors ils ne disputent pas d’épreuves d’endurance, sauf des hommes comme Mario Andretti qui ont ça dans le sang. D’autres ne veulent pas s’aligner au Mans parce qu’on y trouve des pilotes moins expérimentés et des voitures qui n’ont pas toutes les mêmes performances, ce qui peut représenter un réel danger. Mais ce risque existe également en F1, et cela fait partie du métier. Gilles Villeneuve est mort à cause d’une voiture qui regagnait son stand lentement. Quant à moi, je veux gagner en Endurance parce que je ne me suis pas accompli en F1. J’ai appartenu à des équipes de F1 trop jeunes comme Williams qui n’avait pas encore de moyens, ou trop vieilles comme BRM qui n’en avait plus. En revanche, je gagnais des queues de cerises et j’étais content de courir au Mans ; j’ai appartenu aux meilleures écuries d’endurance du monde. Je gagnais et on m’a collé une étiquette : « Pescarolo bon pilote d’endurance, pas de F1 ». Voilà, c’est tout. Quant à l’argent, il n’a jamais été pour moi un élément moteur. On est loin des contrats à 350 millions anciens si fréquents en F1. En 1972, le meilleur engagement dont pouvait rêver un pilote d’endurance chez Matra était de 500 000 francs. C’est Chris Amon qui l’a eu, et tout le monde en parlait avec des yeux ronds. Aujourd’hui un pilote vainqueur au Mans touche 200 000 francs, et en rétrocède la moitié à son écurie. Rien à voir avec ce que l’on peut espérer à Roland-Garros en risquant seulement de prendre une balle dans la figure. Mais je suis content pour les sportifs qui gagnent de l’argent. Cela ne me dérangerait pas d’avoir un compte en banque un peu plus rebondi. Mais ce n’est pas pour cela que je cours au Mans. J’aime mon métier et cela me suffit. »

Trente ans plus tard, Henri est toujours là avec la même passion qui l’anime, même si ce n’est plus derrière un volant. Une bonne partie de ses propos de l’époque peuvent être replacés en 2012, ceux-ci n’ayant pas pris une ride. Visionnaire, Henri ?

Citations issues de VSD (Juin 1982)

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