Binotto a-t-il payé ses erreurs de communication chez Ferrari ?

Tout va très bien, madame la Marquise…

Par Alexandre C.

1er décembre 2022 - 21:09
Binotto a-t-il payé ses erreurs de (...)

Si Mattia Binotto a été remercié par l’état-major de Ferrari, est-ce seulement en raison des critères liés à la performance pure ? Il faut en effet reconnaître que Ferrari a progressé d’ici l’an dernier, au point de pouvoir lutter pour le titre mondial pendant une moitié de saison.

Les regrets de cette année ne doivent donc pas faire oublier le travail de fond mené par Mattia Binotto mené depuis 2019, qui a semblé porter ses fruits au moins au chronomètre. Cependant, ce critère à lui seul n’a pas suffi à sauver la tête du directeur italien - qui a payé ses erreurs dans une toute autre série de domaines.

Car en réalité, il est possible de penser que la communication angélique de Mattia Binotto – qui tardait à reconnaître les erreurs commises par son équipe, sur la stratégie par exemple – ait pu agacer en haut lieu. Un détour chronologique permet d’avancer cette hypothèse.

Une ‘surprotection’ de l’équipe ?

Il convient tout d’abord de relever que la ‘méthode Coué’ employée par Mattia Binotto agaçait au-delà de Maranello, à travers tout le paddock.

Damon Hill avançait ainsi un point de vue représentatif lorsqu’il fustigeait l’attitude du leader italien, au mois de septembre dernier : « Lorsque vous avez quelqu’un qui essaie de protéger l’organisation, ça ne sert à rien de dire tout cela au gens du monde extérieur, parce qu’ils peuvent manifestement voir que des choses se passent. Et celui qui est à la tête de l’organisation dit ’non, il ne se passe rien’ Mattia Binotto essaie manifestement de protéger l’équipe de la pression, mais il faut un responsable au sommet pour dire ’nous voyons tous ce qui se passe réellement. Ce n’est pas assez bon. Il faut que ce soit mieux’. »

Sur quels épisodes en particulier se basait donc Damon Hill pour émettre un tel jugement critique ? C’est ce que nous allons voir.

Quand Binotto peinait à admettre les erreurs de Ferrari

Tout au long de cette année, Mattia Binotto a entonné le célèbre refrain, ‘Tout va très bien, madame la Marquise’, l’adaptant à la Gestione Sportiva : c’est-à-dire qu’il semblait comme relativiser ou nier la portée des erreurs commises par Ferrari.

Ces erreurs se situaient principalement sur le plan opérationnel (stratégie manquée, arrêts aux stands douteux…) – le véritable point faible de la Scuderia cette année, avec peut-être la fiabilité.

Par exemple, après la déconvenue de Barcelone, marquée par de nouvelles pannes sur l’unité de puissance Ferrari (Charles Leclerc en était victime), Mattia Binotto assurait qu’il était « très content » des six premières courses, et que le reste de l’année s’annonçait prometteur. Aucune zone d’ombre majeure n’était à souligner selon lui – alors qu’on le sait, la fiabilité fut un talon d’Achille de Maranello en 2022.

Par la suite, Mattia Binotto a semblé s’enfermer le plus spectaculairement dans le déni, lorsqu’il s’agissait de commenter la stratégie ou les arrêts aux stands manqués de l’équipe en particulier.

Deux exemples reviennent notablement : à Zandvoort et sur le Hungaroring.

Aux Pays-Bas, on se souvient de l’arrêt aux stands burlesque de Carlos Sainz : un pneu avait été oublié et l’arrêt de l’Espagnol avait duré des décennies…

Après la course, en réaction à cet incident, Mattia Binotto avait ainsi paru relativiser cet incident. Le leader italien appelait à la patience et refusait d’évoquer la moindre possibilité de changement.

Ecoutons-le : « Tout d’abord, je pense qu’il est très facile de parler lorsque vous êtes à l’extérieur. Il est facile de critiquer. Mais nous ne changerons pas les gens. Nous avons des gens formidables et il a été prouvé que ce qui est le plus important dans le sport est la stabilité, et que nous nous assurons de nous améliorer jour après jour et course après course. Nous avons des gens formidables dans l’équipe et je n’ai aucun doute là-dessus. Il faut des années et de l’expérience dans toutes les équipes pour être à l’avant, et je pense qu’il n’y a aucune raison pour que ce soit différent pour nous. »

Mattia Binotto réagissait d’ailleurs à des propos véhéments de Nico Rosberg, qui prolongeait le point de vue précédemment évoqué par Damon Hill. Voici pour mémoire ce que disait Rosberg après l’incident de Zandvoort : « Oh mon Dieu, et Mattia Binotto continue de dire ’non, nous n’avons pas besoin de faire des changements, tout se passe bien’. Quand est-ce que le jour arrivera ? Ce n’est pas possible. Même les équipes de Formule 2 ou de Formule 3 font un meilleur travail sur la stratégie et les arrêts au stand que Ferrari. Vous entrez dans les stands et il n’y a pas de pneus dans une course normale ? A un moment donné, ils doivent vraiment commencer à faire des changements. »

L’autre exemple symbolisant l’attitude de déni de Mattia Binotto, et sa communication trop protectrice, est ainsi celui du Grand Prix de Hongrie. On se souvient que la Scuderia avait choisi de mettre les pneus durs sur Charles Leclerc, alors même que ces durs avaient prouvé leur inefficacité sur les Alpine. La stratégie de la Scuderia avait même été qualifiée de « carnage » par Charles Leclerc.

Mais après le Grand Prix, en contradiction avec son pilote, Mattia Binotto ne semblait pas non plus assumer cette erreur, affirmant que le problème se situait plus du côté de la performance que de la stratégie : « Le pneu utilisé par l’équipe n’aurait pas fait de différence. Nous n’avons pas obtenu les performances que nous attendions. Tendre, medium ou dur, les performances de la voiture n’étaient pas celles attendues. Nous attendions tous un autre résultat, mais la performance était plus à blâmer. »

Elkann a-t-il été agacé par cette stratégie de communication ?

Cette attitude de déni, de méthode Coué, a ainsi largement agacé dans le paddock… et y compris chez Ferrari ? En septembre, des rumeurs ont en effet fait leur apparition : selon la presse italienne, le grand patron John Elkann aurait été très agacé en interne par la communication de son directeur d’écurie. Et il avait appelé l’équipe Ferrari à « murir » pour éviter les trop nombreuses erreurs.

Ce même mois de septembre justement, le discours de Mattia Binotto a alors commencé à évoluer. Le leader italien reconnaissait volontiers un trop grand nombre d’erreurs, sans pour autant penser qu’il fallait licencier du personnel (y compris lui) : « Nous n’avons pas besoin de changer les gens, mais nous devons certainement changer certaines choses. La façon dont nous communiquons, la façon dont nous entrons dans le processus de prise de décisions... des changements sont nécessaires, c’est admis » avait-il ainsi déclaré.

Pour la première fois véritablement donc, Mattia Binotto admettait des erreurs de communication… Sans doute peut-on penser que le recadrage d’Elkann n’y était pas pour rien.

Cette communication angélique de Mattia Binotto tranchait d’ailleurs avec celle de Charles Leclerc – on le sait, le Monégasque est toujours très prompt à reconnaître ses erreurs, comme durant le Grand Prix de France, quitte même parfois à se flageller très lourdement !

Binotto était dans le viseur d’Elkann depuis un moment

En vérité, il existait bien une différence de tempérament entre Elkann et Mattia Binotto, a confirmé tout récemment une source bien placée chez Ferrari. Si bien que le sort de Binotto était joué d’avance, comme condamné, en raison de cette différence de tempérament illustré par ces différences en termes de communication.

Selon cette source, selon Elkann, Mattia Binotto manquait de « dureté » voire « de cruauté ».

Et cette source de détailler : « Binotto était un héritage de [l’ex-PDG] Sergio Marchionne. »

« Le regretté Sergio n’aimait pas beaucoup Maurizio Arrivabene. Mais John Elkann n’a jamais été fan de Binotto. Ils étaient comme l’eau et l’huile. Et tout le monde le savait. Il n’a jamais eu le soutien de son président sur les grandes questions. »

« Avez-vous jamais entendu un mot d’Elkann sur l’affaire des budgets plafonnés de Red Bull ou sur les modification du réglement favorables à Mercedes ? Zéro. Il y avait un manque de soutien réel. Le propriétaire ne croyait pas en son top manager. »

Visiblement, Elkann préférait in fine un leader d’équipe qui admette ses erreurs, au lieu de sembler vouloir les mettre sous le tapis. Peut-être Mattia Binotto avait-il de bonnes raisons de protéger son équipe Ferrari de la pression induite à Maranello, et renforcée par la passion de la presse italienne ; mais pour progresser à long terme, Elkann a dû penser qu’il valait mieux regarder la réalité en face, lucidement, les yeux grands ouverts.

L’acceptation vaut peut-être mieux que le déni, même chez Ferrari.

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