Renault F1 : Les employés de Viry n’acceptent pas le plan d’abandon du moteur

Un long communiqué adressé à la presse

Par Franck Drui

24 août 2024 - 09:42

Les représentants du personnel de l’usine de moteurs de Formule 1 de Viry-Chatillon du groupe Renault ont exhorté le PDG Luca de Meo à renoncer à son projet de transformer Alpine F1 en une équipe cliente de Mercedes.

Alors que Bruno Famin a annoncé le mois dernier qu’il quitterait son poste de directeur de l’équipe Alpine - désormais remplacé par Oliver Oakes - le Français a confirmé qu’Alpine envisageait de passer d’une équipe d’usine à une cliente de moteurs concurrents pour 2026.

Cela s’est produit malgré le fait que les travaux sur le groupe motopropulseur Renault 2026 aient déjà commencé à Viry et que les employés affirment que les progrès sont très bons.

"La direction du groupe envisage d’arrêter le programme 2026 à Viry-Chatillon et d’opter pour un approvisionnement en moteurs, probablement de la part de Mercedes," débute un communiqué écrit du Conseil Social et Economique des salariés à Viry-Chatillon.

"Voir aujourd’hui Alpine F1 se tourner vers un moteur étranger est un reniement de cette vision et cette décision marquerait un abandon honteux de l’héritage de l’équipe et de 50 ans d’histoire et de savoir-faire dans la haute technologie."

"La raison invoquée est une économie directe importante, échangeant des coûts de développement de 120 millions de dollars contre 17 millions de dollars d’approvisionnement annuel."

"M. De Meo nous avait affirmé que l’âme de la marque Alpine devait se nourrir de ses racines et qu’il n’était pas question de les couper. Il nous avait affirmé que l’argent n’était pas un problème et que seule l’innovation comptait."

"Nous ne comprenons pas ce qui justifie de tuer cette entité d’élite qu’est le site de Viry-Chatillon et de trahir sa légende et son ADN en greffant un cœur Mercedes dans notre Alpine F1."

"L’annonce de la fin du développement et de la production de groupes motopropulseurs français pour la Formule 1 est incompréhensible."

"Nous ne pouvons accepter qu’Alpine et le groupe Renault nuisent à leur image, c’est pourquoi nous demandons à M. De Meo et à son conseil d’administration de renoncer à cette décision."

De gros travaux ont été menés pour inverser la tendance de compétitivité du moteur Renault ces dernières années.

"Plus d’une centaine de concepts disruptifs ont été étudiés, dont près d’un tiers ont démontré des performances significatives au banc d’essai et devraient être introduits sur le futur moteur Alpine : l’AR26."

"L’objectif était de démarrer le premier moteur Alpine 2026 à la fin du premier semestre 2024, soit un an et demi après la genèse du projet."

"Le 26 juin 2024, le RE26A, nom donné à la première version « usine » de l’AR26, a effectué son premier démarrage sur le banc moteur n°6 de Viry-Chatillon, marquant ainsi un succès au regard du délai visé."

"Sur ce premier moteur, près d’un tiers des concepts de performance, validés auparavant sur le banc système, sont encore absents, prévus pour une introduction avant fin 2024. Pourtant, les premiers résultats des tests sont prometteurs."

"Le RE26A est vu par toutes les équipes de Viry-Chatillon comme une belle réussite, un moteur bien né avec un potentiel évident, à un an et demi de la première course, pour rehausser les ambitions d’Alpine F1 team."

Viry a atteint 400 kW de puissance lors de ses premiers essais avec le moteur 2026, se rapprochant des objectifs fixés et fonctionnant à 48 % d’efficacité thermique.

"Le groupe propulseur dépasse les 400kW de performance dès les premières heures de fonctionnement. Le rendement démontré dépasse les 48%. Le moteur est plus léger et moins long de 12% offrant une marge conséquente de développement pour l’intégration châssis. Aucune défaillance de fiabilité critique n’a par ailleurs été signalée."

Étant donné que le travail dont les collaborateurs de Viry ont fait état en termes si positifs risque d’être abandonné, l’indignation est réelle. Et transformer le site de Viry ne satisfait pas les salariés, qui estiment que leur expertise réside dans la F1 et n’est pas transférable aux projets de voiture de route.

"Le plan de transformation du site, qui devrait être définitivement approuvé le 30 septembre 2024, consiste à migrer des ressources vers d’autres projets menés par Alpine Racing (Endurance, Formule E, compétition client, moteur à combustion hydrogène d’une hypercar, etc.) déjà saturés en personnel, ou à reclasser l’ingénierie sur des projets innovants, supposés utiles à l’industrie de la série, mais non définis à ce stade."

"L’innovation dans le secteur automobile se concentre aujourd’hui sur la chimie et l’industrialisation des batteries, les « software defined vehicles » et la conduite autonome. Les compétences des collaborateurs de Viry ne sont pas liées à ces sujets."

Les salariés de Viry-Châtillon dénoncent également l’instabilité permanente dans l’organigramme d’Alpine en F1.

"Depuis 2021, l’écurie souffre d’une intervention répétée de la direction du Groupe, imposant pas moins de quatre directions techniques successives à Viry, ou encore quatre team principals en quatre saisons. Cette instabilité prive l’équipe d’une construction sur le long terme nécessaire au succès en Formule 1."

Si Alpine F1 décidait de mettre fin à son partenariat avec le groupe Renault, il s’agirait d’un "arrêt définitif" des activités F1 en France.

"A l’avenir, la barrière technologique sera trop haute à reconquérir, les compétences seront disséminées, les investissements initiaux trop coûteux pour imaginer un retour en Formule 1, discipline reine du sport automobile."

"Les hommes et les femmes de Viry-Châtillon ne peuvent cautionner l’arrêt définitif par Renault de son programme de développement de moteurs F1. Bien au-delà des intérêts personnels de quelques passionnés, la menace pèse sur ce véritable fleuron technologique qui fait rayonner la France dans le monde entier. La fuite de compétences hautement qualifiées seraient un gâchis inestimable."