Les filières de jeunes pilotes, une crise existentielle

Au point que Toto Wolff envisage leur suppression

Par Alexandre C.

9 septembre 2018 - 13:06
Les filières de jeunes pilotes, (...)

Esteban Ocon fait jeu égal cette saison avec Sergio Pérez et chacun – à commencer par Sebastian Vettel et Lewis Hamilton - s’accorde à dire que le Normand a le potentiel pour conduire dans une écurie de pointe. Pourtant, en 2019, faute de baquet disponible, que ce soit chez Racing Point Force India, McLaren ou Williams, Esteban Ocon pourrait être contraint de quitter la F1.

L’exemple d’Esteban Ocon est un cas-limite, qui montre l’impasse structurelle dans laquelle les filières de jeunes pilotes semblent aujourd’hui enfermées. Au point d’en prendre acte et de décider de leur suppression ?

Cette éventualité critique a été évoquée par Toto Wolff lui-même, qui s’est récemment exprimé à propos du cas Esteban Ocon : « Nous avons des gamins très talentueux qui manquent d’opportunités, et cela est arrivé à un point où nous devons décider ce que nous ferons à l’avenir. Financer une équipe junior n’est pas une option. Dépenser 80, 90 ou 100 millions de dollars par an dans une équipe pour simplement placer un pilote, ce n’est pas ce que nous voulons. De l’autre côté, si les pilotes sont stigmatisés en tant que pilotes Mercedes, ça n’est pas la meilleure proposition. »

« Si nous ne trouvons pas de solution pour ces gars, je remettrai le programme junior en question à l’avenir. Et on reviendra à un modèle de pilote payant. »

Deux impasses structurelles, qui peuvent apparaître paradoxales mais qui se complètent, se perçoivent en réalité aujourd’hui : le trop-plein et le trop-vide.

Le trop-plein est la problématique la plus centrale, la plus préoccupante, qui concerne les écuries ne disposant pas d’équipe B officielle, comme Mercedes. L’écurie allemande n’a pas trouvé de partenaire privilégié et a alterné entre Manor, Force India et même Sauber (pourtant motorisé par Ferrari) où Pascal Wehrlein avait été placé. Or cette stratégie n’a pas porté ses fruits : le cas d’Esteban Ocon n’est pas isolé et il faut se rappeler du sort réservé à Pascal Wehrlein, contraint de retourner en DTM. 

Dans le cas de Mercedes en particulier, l’offre (les jeunes pilotes arrivant sur le marché) augmente considérablement plus vite que la demande : alors que Lewis Hamilton et Valtteri Bottas ont été récemment prolongés, l’embouteillage se forme dans la filière jeunes de Mercedes. Pascal Wehrlein et Esteban Ocon recherchent toujours un volant, tandis que George Russell, qui pourrait remporter le titre en F2 cette année, klaxonne déjà...

Le cas de McLaren pourrait être également mentionné : puisqu’il n’était pas possible de placer Lando Norris dans une écurie B, pour éviter de le perdre, Woking a dû faire place nette en renvoyant Stoffel Vandoorne, qui était pourtant l’ancienne star de sa filière jeunes.

Comme le confirme Toto Wolff, pour ne rien arranger, les pilotes de filières jeunes suscitent également une certaine méfiance de la part de structures (Force India, Williams, McLaren) ne voulant pas sacrifier leur indépendance. C’est ce qui a notamment coûté le volant McLaren à Esteban Ocon, ainsi que le rappelait récemment Zak Brown : « Au final, nous voulions avoir notre propre pilote, et c’est Lando que nous voulions. Esteban est un pilote que nous tenons en très haute estime, et je pense que lorsque vous cherchez un pilote pour du long-terme, c’est une mauvaise case de cochée qu’il ait des liens avec un autre constructeur. »

Dans le même esprit, Williams a récemment annoncé qu’elle se passerait de la boîte de vitesses Mercedes à l’avenir : une décision qui montre que l’écurie de Grove est prête à distendre ses liens avec Mercedes pour retrouver une certaine autonomie stratégique. Haas a de même annoncé qu’elle comptait bien rester entièrement libre de ses choix pour choisir un de ses prochains pilotes – comprenons qu’il ne devra pas forcément être issu de la filière Ferrari.

Enfin, les pilotes issus des filières jeunes ont un dernier désavantage : ils ne peuvent lutter sur le plan financier par rapport aux purs pilotes payants. C’est ainsi que Mercedes ne peut proposer qu’un rabais de 5 millions d’euros environ sur la facture moteur, alors que Lance Stroll ou Sergey Sirotkin apportent des montants bien plus conséquents.

Le trop-vide est un danger qui menace plus spécifiquement la filière Red Bull, qui dispose d’une écurie B officielle, Toro Rosso. En réalité, la filière souffre moins d’un déficit flagrant de jeunes pilotes, que d’une stratégie erratique qui a consisté à renvoyer trop précocement des pilotes n’ayant pas fait leurs preuves à un instant T. Alexander Albon, Brendon Hartley, Sebastian Buemi, Daniil Kvyat, Jean-Eric Vergne… tous ces pilotes ont fait partie de la filière Red Bull avant d’être remerciés par le très craint Helmut Marko. Alors que Toro Rosso recherche le remplaçant de Pierre Gasly, voire celui de Brendon Hartley, dont les performances sont jugées décevantes, le rappel d’un de ces cinq infortunés est désormais probable.

Pour solutionner cette crise structurelle qui menace d’enterrer la carrière de jeunes pilotes pourtant prometteurs, il serait envisageable de profiter des prochains Accords Concorde pour aligner une troisième voiture par équipe.

« La F1 devrait permettre aux équipes d’engager une troisième voiture pour leurs jeunes pilotes. Faire en sorte de mettre un jeune avec 2 ans d’expérience maximum dans la voiture. Les coûts ne seraient pas énormes. Une 2e équipe, encore une fois ça n’a pas de sens, mettons des jeunes talents dans une top voiture, qu’ils aient leur chance » déclarait à ce sujet Toto Wolff récemment.

Le moment paraît propice : une standardisation plus poussée des pièces, qui pourrait être décidée pour 2021, ainsi que les budgets plafonnés, réduiraient les coûts généraux induits par l’alignement d’une troisième voiture.

Cyril Abiteboul, que nous avions interrogé à Monza, résumait ainsi le problème : « Il faut faire quelque chose pour permettre aux jeunes pilotes de rouler. Il y a deux options : plus de teams ou plus de voitures. C’est simple. Il faut prendre beaucoup plus au sérieux ce genre de sujets »

La balle est désormais dans le camp de la FIA, de Liberty Media et du Groupe Stratégique…

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