L’adieu au V8 : Interview d’Alex Plasse, chef de projet du moteur RS27

"Le gel des moteurs a complètement changé notre mentalité"

Par Franck Drui

21 novembre 2013 - 12:46
L'adieu au V8 : Interview (...)

Vous avez été en charge du projet RS27. Quand avez-vous débuté sa conception ?

Nous avons commencé à plancher sur ce moteur dès que nous avons terminé de travailler sur notre dernier V10, le RS25, qui venait d’obtenir deux nouveaux titres mondiaux. L’esprit a changé au milieu de l’année 2006 lorsque nous avons appris que le développement des moteurs allait être gelé. Un nouveau défi se présentait à nous. C’était un peu comme si nous devions jeter à la poubelle tout le travail déjà accompli car nous devions utiliser le moteur existant… Cela a complètement changé notre mentalité. Je me souviens même avoir envoyé un mail à Rob White pour lui demander si nous avions toujours un emploi ! Nous étions parvenus à un point de non retour et il nous était impossible d’utiliser des pièces sur lesquelles nous avions longuement travaillé car elles ne pouvaient pas être adaptées. Nous sommes cependant parvenus à conserver certaines innovations et je dois avouer que le moteur 2007, celui-là même qui vient de disputer sept saisons d’affilée, aurait pu ne jamais voir le jour.

Le gel des moteurs a donc été effectif en 2007. Dès lors, quelle a été votre ligne directrice ?

Malgré notre scepticisme à la naissance du projet, je dois reconnaître que peu de pièces sont restés à l’identique entre 2006 et 2013. Nous sommes entrés dans un cycle permanent d’affinage de nos solutions techniques. Vous pouvez vous demander comment cela est possible alors que l’on ne peut pas développer le moteur, mais pour des raisons « justes et équitables », le règlement autorise des modifications si elles sont correctement justifiées. Il ne doit pas y avoir un effet direct sur le niveau de performance, et la puissance maximale doit rester à 750 chevaux, mais nous avons ainsi fait d’énormes progrès en matière de fiabilité, d’assemblage et de contrôle des dépenses.

Il y a eu plusieurs clarifications sur la manière dont peut fonctionner le moteur. Ces paramètres ont-ils davantage limité votre marge de manœuvre ?

Ce fut tout le contraire en réalité. La FIA a ouvert la boîte de Pandore en 2009 lorsqu’elle a validé la réduction du régime moteur. Nous tenions en effet une occasion en or de changer les pièces affectant directement les réglages du moteur, tels que les injecteurs, les trompettes, les conduits et tout ce qui concerne le système d’admission. En apportant ces modifications, il a ainsi fallu revoir nos points de référence sur la majeure partie du moteur. Nous avons assisté durant cette période à une augmentation de la durée de vie des V8 et une réduction du nombre de moteurs nécessaires pour couvrir la saison. Le but recherché, « juste et équitable », a été respecté et nous avons effectué un certain nombre de changements pour améliorer la longévité et la fiabilité.

Avez-vous gagné en performance grâce à ces changements ?

En théorie, une baisse du régime maxi engendre une perte de puissance. Cela a toujours été traditionnellement notre credo de faire progresser cette courbe car un moteur atmosphérique génère sa puissance grâce à ses rotations par minute : à un chiffre de couple donné, si vous augmentez le régime de 10%, la puissance suit cette même progression de 10%.

Inverser ce processus pour le réduire à 19 000 tr/min puis 18 000 tr/min est très important et nous étions persuadés que nous allions perdre en performance. Nous sommes cependant parvenus à augmenter la puissance et rendre la monoplace plus rapide !

Nous avons re-calibré le moteur pour 18 000 tr/min tout en l’appréhendant d’une manière différente. Nous avons également étroitement collaboré avec notre partenaire pour le carburant, Total, afin de gagner en performance grâce aux trompettes d’admission, au carburant et au lubrifiant. Ils nous ont beaucoup aidé à améliorer notre consommation d’essence et réduire la friction. Leurs innovations nous ont apporté à elles seules un gain
de 1 à 2%.

D’autres progrès ont permis de mieux accoupler le moteur au châssis, notamment le développement du désormais célèbre « échappement soufflé », les températures de fonctionnement du moteur, etc… Ce cycle de développement permanent, en particulier lors des trois dernières années, a contribué à rendre les voitures une seconde plus rapides sans pour autant assister à une quelconque augmentation de la puissance.

Avez-vous également amélioré la consommation de carburant ?

Nous avons radicalement amélioré celle-ci et pas seulement grâce à la qualité du carburant que nous utilisons. Nous avons notamment fait de gros progrès dans la gestion de la consommation. Nous avons également développé l’utilisation du moteur, en coupant par exemple les cylindres dans les courbes afin de réduire le flux de carburant, ou en mettant en place différentes gestions lors de certaines phases de course. Nous pouvons ainsi aujourd’hui économiser 6% de carburant sans avoir touché à la moindre pièce. Cet apport est non négligeable car 6% du réservoir correspond à 10 kilos d’essence, soit un gain de 0,2 à 0,4 seconde au tour.

Pouvez-vous prétendre avoir à ce jour exploré toutes les solutions offertes par le moteur ?

Je ne pense pas que l’on puisse le prétendre. Nous avons toujours respecté le règlement mais il subsiste toujours de nouvelles voies à explorer. Le travail effectué sur les échappements et les diffuseurs soufflés, apparus en 2010 et 2011, en est l’illustration. Cependant, nous devons désormais soigner l’entretien du bloc car nous sommes à la limite sur tous les aspects : tolérances, pièces… Bien que ce ne soit pas facile, il existe une véritable relation entre le sous-traitant, le constructeur, l’équipe et le moteur. Malheureusement, les V8 de F1 sont des divas et vous devez les soigner et leur consacrer le plus de temps possible. Même si c’est la septième saison du RS27, nous apprenons encore tous les jours (et continuons parfois de transpirer !)

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