La FIA bannit les ‘déclarations politiques’ des pilotes : doit-on crier à la censure ?

Quid de la liberté d’expression des pilotes ?

Par Alexandre C.

20 décembre 2022 - 11:10
La FIA bannit les ‘déclarations (…)

Faut-il mélanger sport et politique ? La question traverse l’ensemble des sports en cette période de troubles géopolitiques.

Récemment encore, le Président ukrainien Volodymyr Zelensky comptait faire diffuser, avant la finale de la Coupe du Monde de football, un message vidéo dénonçant la guerre en Ukraine et appelant à protéger les droits humains. Cependant, la FIFA, dans la préoccupation de « respecter la neutralité du sport », a refusé d’accéder à cette demande, et il n’y a pas eu de message vidéo diffusé devant des milliards de téléspectateurs.

Or voici que la FIA ne partage pas seulement trois lettres avec son homologue footballistique : mais aussi une même intention de serrer la vis sur les messages politiques.

La FIA a en effet aujourd’hui apporté une modification à son Code Sportif International, pour bannir les « déclarations politiques » venant de pilotes, qui s’exprimeraient sans la permission de la FIA. En bref, la FIA impose un contrôle préalable des propos des pilotes.

La FIA interdit désormais « la diffusion et l’affichage général de déclarations ou de commentaires politiques, religieux et personnels, notamment en violation du principe général de neutralité promu par la FIA en vertu de ses Statuts, à moins qu’ils n’aient été préalablement approuvés par écrit par la FIA pour les Compétitions internationales, ou par l’ASN (autorité sportive nationale) concernée pour les Compétitions nationales relevant de leur juridiction. »

De plus, « le non-respect des instructions de la FIA concernant la désignation et la participation de personnes lors des cérémonies officielles de toute Compétition comptant pour un Championnat de la FIA » sera désormais considéré comme une infraction au règlement. » Et pouvant donc ouvrir la voie à des pénalités sportives ou financières.

L’aboutissement d’une politique de plus en plus stricte de la FIA

Cette révision du Code Sportif International ne vient pas de nulle part : elle constitue en réalité le point d’aboutissement d’une tendance lourde constatée depuis au moins deux ans.

Au Grand Prix de Toscane 2020 par exemple, Lewis Hamilton était monté sur le podium avec un T-Shirt comportant le slogan : « Arrêtez les flics qui ont tué Breonna Taylor ».

Visiblement ulcérée, la FIA avait alors serré la vis, interdisant aux pilotes par la suite de porter des T-Shirt contenant des messages politiques sur le podium. Il fallait désormais que les trois pilotes sur le podium « restent vêtus uniquement de leur combinaison, fermée jusqu’au cou et non ouverte à la taille tout au long de la cérémonie du podium et après la course lors des interviews. »

Cette sévérité assumée n’était pas encore suffisante visiblement pour Mohammed Ben Sulayem. Le président de la FIA s’était publiquement agacé en début d’année que Sebastian Vettel « se promène avec un drapeau arc-en-ciel » ou que Lando Norris « se préoccupe désormais de santé mentale. »

« Pour moi, il s’agit de décider si nous devons imposer nos croyances [sic] à travers le sport tout le temps » rétorquait l’Emirati.

A noter que cet agacement n’était pas seulement celui de la FIA. L’an dernier aussi, Stefano Domenicali, réagissant aux rumeurs de boycott des Grands Prix au Qatar ou en Arabie saoudite, avait dressé un point de comparaison historique du temps où la F1 courait (ou ne courait plus) dans l’Afrique du Sud de l’apartheid : « Ce qu’a dit Nelson Mandela est tout à fait compréhensible, mais c’était à une époque différente du monde. Aujourd’hui, l’approche consiste à s’assurer qu’à travers la F1, nous puissions être la grande focale, montrant que chaque pays veut vraiment prouver au monde qu’il veut changer. (...) Nous ne pouvons pas prétendre changer du jour au lendemain une situation millénaire. Je dirais que nous allons aider la communauté à changer plus rapidement plutôt que plus lentement. »

Des gestes politiques marquants qui appartiennent désormais au passé ?

La question peut être désormais posée : les gestes politiques que nous avons vus par le passé, venant surtout de Sebastian Vettel et Lewis Hamilton, vont-ils appartenir au passé ? Les pilotes oseront-ils braver la FIA ?

Car en effet, Sebastian Vettel comme Lewis Hamilton s’étaient distingués par leurs prises de positions fortes depuis 2020.

Au Canada par exemple, en 2021, Sebastian Vettel avait dénoncé la politique environnementale « criminelle » du pays : « Ce qui se passe en Alberta est un crime parce que vous abattez beaucoup d’arbres et vous détruisez essentiellement une région juste pour extraire le pétrole. Et la manière de le faire avec les sables bitumineux… L’extraction du pétrole est horrible pour la nature et, évidemment, les émissions de gaz à effet de serre du Canada ont augmenté depuis qu’ils ont commencé à le faire. »

Ce qui avait déclenché une réaction outrée du gouvernement conservateur de l’époque, qui avait dénoncé « l’hypocrisie » du pilote Aston Martin F1.

Autre pilote à avoir pris des positions fortes par le passé : Lewis Hamilton bien sûr.

Très engagé pour la diversité, le pilote Mercedes n’avait pas eu crainte de juger « terrifiantes » les lois anti LGBTQ+en Arabie saoudite – nouveau pays hôte de la F1 et sponsor de la discipline à travers Aramco.

Sur Bahreïn également, interpellé l’an dernier sur la violation des droits humains dans le pays, Lewis Hamilton avait résumé sa position générale en haussant aussi le ton : « La question des droits de l’homme dans certains des endroits où nous allons est un problème constant et massif et je pense qu’il est très, très important. Nous sommes probablement les seuls à aller dans autant de pays différents et je pense qu’en tant que sport, nous devons faire plus. (...) Des pays ont mis en place des mesures pour les endroits où nous allons. Mais il est important de s’assurer qu’elles soient mises en œuvre de la bonne manière et qu’il ne s’agit pas seulement de dire "nous allons faire quelque chose", mais de voir des actions entreprises. »

Ce genre de prise de position sera-t-il toujours possible dans le futur ? Bien sûr, la retraite de Sebastian Vettel va simplifier les choses à la FIA… Mais Lewis Hamilton (et Mercedes) accepteront-ils cette muselière ?

Notons d’ailleurs qu’à Bahreïn l’an dernier, Lewis Hamilton avait tenu à garder « privées » ses actions en faveur des militants des droits humains… Après des coups de pression de la FIA ou de la FOM ?

Les droits humains sont-ils de la politique ?

Ce débat pose enfin une question fondamentale : évoquer les droits humains, est-ce se livrer à une prise de position « politique » ? Les droits humains sont-ils de la politique ?

Lewis Hamilton en 2020, alors que le mouvement Black Lives Matter battait son plein, avait son opinion sur le sujet (il commentait à l’époque la décision de la F1 de poser ses valises en Arabie saoudite) : « Il y a beaucoup d’organisations dans le monde qui ferment les yeux sur beaucoup de choses qui se passent et qui utilisent cette excuse, de dire que c’est politique. Les droits de l’homme ne sont pas une chose politique. Les droits de l’homme doivent être égaux pour tous. Nous allons dans tous ces pays où cela pose un problème et sans avoir besoin de tout arrêter dans ces zones, nous devons trouver comment nous pouvons nous engager davantage et comment nous pouvons vraiment utiliser nos plateformes pour encourager et pousser au changement. »

Des propos qui prennent bien sûr une autre teneur aujourd’hui.

Dans le même ordre d’idées, Sebastian Vettel avait estimé en juin dernier que les droits humains, la politique, étaient « plus importants que la F1. »

Et le pilote Aston Martin F1 visait entre les lignes l’attitude de Mohammed Ben Sulayem, jugé trop frileux sur le sujet : « Je pense qu’il y a des gens qui sont un peu trop en retrait au niveau de leur attitude. Il est donc bon de continuer à attirer l’attention sur cela. Je n’ai pas à endurer des choses qui ne vont pas, et je ne le ferai pas. Mais il s’agit aussi de ne pas imposer sa vision du monde aux autres et de la mettre au-dessus du sport. »

Visiblement, la « frilosité » de Mohammed Ben Sulayem ne s’est pas améliorée avec l’hiver.

Bien évidemment, il serait difficile de ne pas voir, dans cette sévérité accrue de la FIA, un lien avec l’extension du calendrier vers les pays du Golfe – et l’on a bien vu lors de la dernière Coupe du Monde au Qatar, la volonté du pays-hôte de limiter au maximum l’expression des prises de position jugées ’politiques’, par exemple le port de drapeaux LGBTQ+ dans les travées.

La FIA pourra toujours se réfugier derrière ses statuts, selon lesquels la Fédération « doit promouvoir la protection des droits de l’homme et de la dignité humaine, et s’abstenir de manifester toute discrimination fondée sur la race, la couleur de peau, le sexe, l’orientation sexuelle, l’origine ethnique ou sociale, la langue, la religion, les opinions philosophiques ou politiques, la situation familiale ou le handicap dans le cadre de ses activités et de prendre toute mesure à cet égard. »

Mais de même que Paris valait bien une messe, de même, le Moyen-Orient vaut-il bien une censure préalable ?

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