Entretien à coeur ouvert avec Guillaume Moreau

Il ne reprendra pas la compétition à n’importe quel prix

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10 octobre 2012 - 10:29
Entretien à coeur ouvert avec Guillaume

Gravement accidenté le 4 juin dernier lors de la Journée Test des 24 Heures du Mans, Guillaume Moreau se remet petit à petit de sa blessure à la moelle épinière. Depuis, le pilote OAK Racing est tenu éloigné des circuits même si sa première sortie de l’hôpital a été pour rendre une petite visite au paddock du Mans Classic début juillet. Quelques jours seulement après une longue opération, nous avions vu un Guillaume combatif, toujours aussi souriant et volontaire, si bien qu’il se déplacait déjà pour quelques pas à l’aide d’un déambulateur. Fin juin, il quitte l’hôpital d’Angers pour rejoindre l’Arche au Mans afin d’entamer un long processus de rétablissement. Fin juillet, c’est lui qui nous sert de chauffeur pour aller déjeuner avant une séance quotidienne d’exercice physique. Début septembre, il peux enfin rejoindre son domicile de Limoges et reprendre une vie "quasi normale", en alternant chaque jour sport et kiné. Il est peu de dire que les progrès ont été énormes en cette période si courte. Quatre mois après son accident, Guillaume fait le point sur son état de santé, ses envies, ses coups de gueule sur la sécurité, mais aussi sur l’Endurance en général. Entretien...

Laurent Mercier : Guillaume, tout d’abord comment vas-tu ?

Guillaume Moreau : « Je progresse petit à petit. Bien sûr c’est un peu moins visible qu’au début mais avec le recul, je me rends bien compte que les progrès sont déjà importants. En quatre mois, je suis passé du fauteuil roulant au déambulateur, et maintenant je marche seul. Les muscles au niveau du mollet gauche sont bien revenus et les triceps côté droit progressent. Il m’en manque encore, mais cela commence à revenir. Je partage mes journées entre kiné et sport avec Sophie Roulaud, ma préparatrice physique. Je suis bien entouré. Patrick Jouhaud, mon ostéopathe m’aide aussi énormément. De nos jours, l’ostéopathe peut traiter la neurochirurgie. Les exercices de kiné sont assez répétitifs. Il faut stabiliser le muscle du pied et accentuer le sens de l’équilibre. Je passe aussi pas mal de temps à faire des activités balnéo. Sur le plan sportif, je fais du rameur, de la musculation pour le gainage. Cela me fait le plus grand bien. »

« Ce n’est pas comme une grosse fracture. Ici il n’y a pas de vrai verdict. Je suis en forme et de nature positive. Je suis satisfait de voir que cela progresse. Même aujourd’hui (ndlr : entretien réalisé le 4 octobre), je fais des mouvements que je ne faisais pas avant. Je n’ai pas mal au dos. Je prends aussi du repos, d’où une alternance selon les jours entre sport et kiné. »

La prochaine visite complète sera maintenant pour la fin d’année ?

« Disons que le verdict est un peu quotidien. J’ai rendez-vous à Angers à la mi-décembre pour passer un scanner et un IRM afin de voir où en est la greffe osseuse. Il faut laisser du temps au temps. Il faut voir si le dos reprend sa solidité naturelle. Tout se passe bien pour le moment. Je suis quelqu’un de confiant et j’ai conscience qu’il faut être patient. »

C’est là qu’on te dira ce qu’il en est de ton avenir en sport automobile ?

« Il faudra voir selon les résultats. Ce ne sera pas l’unique réponse, mais une des clés. En quatre mois, les progrès sont immenses. Il y a tout de même eu une compression de la moelle épinière. La nature humaine fait que tu en veux toujours plus et toujours plus vite. J’ai toujours eu un gros mental et je ne vais pas lâcher. Il y a quatre mois jour pour jour, je n’avais aucune notion de mon avenir, et là j’arrive de ma séance de sport seul au volant de ma voiture et nous sommes chez moi autour d’une table en train de discuter devant un café. C’est signe que les progrès ont été importants, non ? Mais il est vrai que le sportif veut toujours plus. »

En attendant, on peut te voir sur les circuits en 2013 dans un autre rôle au sein du OAK Racing ?

« Revenir sur les circuits me plairait, mais pour le moment je suis bien occupé. Prendre l’avion est encore compliqué pour moi et je ne veux pas brûler les étapes. Pour le moment, mon objectif est que l’on m’ôte le titane que j’ai dans le dos. Je suis toujours impliqué chez OAK Racing et bien sûr que je serais content d’être présent physiquement. Il faudra voir selon l’évolution. Ma vision des choses a changé. Quand je vois des gens qui se déplacent en fauteuil roulant, je ne peux pas me plaindre. Mon passage à l’Arche a été difficile, mais enrichissant sur plusieurs points. »

Tu ne reprendras pas la compétition à n’importe quel prix...

« Non c’est certain ! Il faut que l’habitacle des prototypes changent, notamment avec une cellule pour amortir les lombaires. Je suis passé tout près de la correctionnelle et je ne suis pas le seul. Il ne faut pas attendre qu’il arrive quelque chose de plus grave pour faire changer les choses. Si on prend l’enchaînement des « Virages Porsche/Karting » au Mans, il est bien trop dangereux. L’ACO doit faire quelque chose sur ce plan-là. La Formule 1 arrive bien à mettre des technologies en place, alors pourquoi pas l’Endurance. Les autos servent de laboratoires technologiques, mais les circuits doivent en faire autant. Je ne reviendrai pas au Mans dans la configuration actuelle du circuit. On a les moyens d’améliorer cette zone. On arrive à une vitesse supérieure à 200 km/h et le pilote encaisse beaucoup trop. Pour mon cas, ce n’est pas le choc à 200 km/h qui m’a blessé, mais lorsque l’auto est retombée de tout son poids. Il faut se donner les moyens de la sécurité même si le circuit est historique. Il faut changer les choses. La chose est comparable à ce que l’on voit aux Etats-Unis où les dégagements sont peu nombreux. La longueur pour les dégagements est très important. Déjà, on ne peut que se féliciter que les autos soient toutes fermées à l’avenir. Il est vrai que la gestion du trafic n’en sera que plus compliquée, mais je pense que cela s’apprend. »

Tu as d’autres idées pour améliorer la sécurité ?

« Je pense qu’il faudrait mettre une ouverture réglementaire pour pouvoir extraire un pilote plus facilement. Il faut réfléchir à cela et avoir des sièges extractibles. Une GT est plus sécuritaire car le siège est fixé et en cas de choc c’est lui qui s’écrase, alors que dans un prototype, c’est le corps qui s’écrase. Il ne faut pas que le corps soit compressé. Beaucoup de pilotes ont eu de la chance, et notamment Timo (Bernhard) à Sebring. Je ne suis pas un grand fan du Castellet, mais il faudrait un juste milieu selon les circuits. On sous-estime le problème de la sécurité. Il n’y a rien eu depuis le crashbox et le HANS. Il y a pourtant eu pas mal d’avertissements en seulement quelques mois. Il n’y a rien qui ne vaut une vie. Sortir à fond dans Signes et au Virage du Karting n’auront pas les mêmes conséquences. Pourtant, les deux se font à haute vitesse. Il faut réagir ! Les autos vont de moins en moins vite en ligne droite et on compense en passant de plus en plus vite dans les virages. Il faut des réunions avec les législateurs pour pousser au développement de la sécurité. C’est pour le bien de notre sport. »

On sait aussi qu’une partie des pilotes ne sont pas assurés à titre personnel...

« Il est vrai qu’une assurance coûte de l’argent et qu’il faut déjà pour la plupart trouver les budgets pour la saison. Pour ma part, je suis bien content d’être assuré. Cette assurance couvre la personne et pas la voiture. Quand il arrive quelque chose, c’est là que tu comprends l’intérêt de prendre une assurance. Il existe des compagnies dédiées au sport automobile et au sport en général. Il ne faut surtout pas sous-estimer la chose. »

Selon toi la cohabitation entre protos et GT devient de plus en plus compliquée ?

« Les deux peuvent cohabiter, mais tu ne peux pas débuter dans un Championnat du Monde sans aucune expérience. On doit avoir fait d’autres championnats auparavant. On donne bien une Super Licence pour rouler en Formule 1. Les gentlemen ont l’outil le moins performant et ont le moins d’expérience. Le cocktail peut être explosif. Les dix tours obligatoires au Mans, tout le monde peut les faire. Il doit y avoir une vraie limite de temps et aucune dérogation. C’est la même chose si un pilote devait être impliqué dans un incident à plusieurs reprises. Il y a bien des cartons au football. Deux cartons et on exclut le pilote pour un meeting, et peu importe que ce soit un pilote professionnel ou un gentleman. La sanction doit être la même. On ne peut pas se trouver plusieurs fois dans le même problème. Il faut s’en tenir aux sanctions. Tout dépend où on met les règles. Il faut qu’elles soient bien définies. Ce sont souvent les choses les plus simples qui fonctionnent le mieux. On peut aussi utiliser les caméras embarquées pour juger les actions. Avec la vidéo, aucune polémique n’est possible. Il y a aussi la question de la catégorisation des pilotes et de l’équivalence de matériel. »

On peut voir justement que la catégorisation des pilotes a atteint ses limites. C’est aussi ton avis ?

« En Endurance tu as les Pros et les Gentlemen. Quand tu termines deuxièmes des 24 Heures du Mans, tu ne peux plus être classé comme Gentleman. Le système Gold, Silver et Bronze ne sert à rien. Il faut baser le niveau réellement sur le palmarès du pilote. Chaque pilote devrait au moins disputer une qualification dans la saison. Que le pilote ait un travail durant la semaine ou pas ne change rien et il faut arrêter de modifier les catégorisations durant l’année. Un pilote arrivant de la monoplace doit d’office être classé en Pro. Comme je l’ai dit, on ne peut pas s’inscrire dans un Championnat du Monde comme ça. »

Venons-en au plan sportif. Tu es satisfait du retour de la OAK-Pescarolo LMP1 ?

« Je suis content de voir cette association avec HPD. Cela fait longtemps que j’en rêvais même si je regrette de ne pas en être. C’est un très gros effort réalisé par l’équipe. Je pense que si nous avions eu le moteur Honda à Sebring, on aurait pu faire mal car le châssis OAK-Pescarolo était bien en Floride. A Fuji, un pilote japonais sera en plus dans le baquet, ce qui ravira les fans. Il va falloir voir où en est l’auto par rapport à la concurrence. C’est bien de pouvoir préparer 2013. L’équipe mérite de bien figurer. »

Tu suis le championnat à distance ?

« Oui via Endurance-Info (rires). Maintenant je le vis de l’extérieur et je vois les choses différemment. Quand on est à l’intérieur, on est dans son monde, et je me rends compte que peu de gens savent qu’il existe un Championnat du Monde d’Endurance. Bien sûr ce n’est que la première année mais la Formule 1 prend tout. Il n’y a pas de retombées. On ne voit rien sur les récapitulatifs des courses du week-end dans les médias. Pas un mot, pas une ligne. Je sais qu’il faut laisser du temps au temps. Il faut un championnat serré pour que les gens s’y intéressent, et faire vivre l’événement. Les gens connaissent Audi mais ne savent pas qui il y a derrière. Certains pensent encore que Peugeot est encore présent. L’équation est difficile à résoudre. L’appellation du championnat fait que l’on doit avoir le top. Les pilotes, la réglementation, la sécurité, rien ne doit être laissé au hasard. »

« Le format des courses peut paraître un peu long pour les spectateurs. Avoir deux ou trois pilotes est un facteur économique et sportif. Avec des courses de trois heures et deux pilotes par équipage, le problème serait réglé. Je pense qu’il faudrait aussi faire vivre la course avec plus de points pour la qualification où la notion de performance est importante. Il pourrait aussi y avoir le prix de la meilleure remontée et celui qui passe le moins de temps dans les stands. C’est quelque chose de motivant pour les mécaniciens. Il faut pimenter la course comme cela se fait en cyclisme. »

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