Les questions que posent l’arrivée d’une nouvelle équipe en F1
Comment expliquer le revirement de la FOM ?
La décision de la FIA de lancer un appel d’offres pour attirer une 11e équipe en F1 (voire plus !), couplée à l’optimisme désormais affiché d’Andretti de concrétiser leur arrivée prochaine en F1, ont eu de quoi surprendre.
En effet, ces derniers mois, de nombreux commentaires – venant davantage de la FOM il est vrai – signalaient une volonté de la part des instances dirigeantes, de restreindre l’accès au sport, et de conserver les 10 structures existantes a priori, sans avoir pour priorité d’en ajouter de nouvelles.
Changement de braquet sur la nouvelle équipe ?
Alors qu’Andretti tambourine plus ou moins subtilement à la porte de la F1 depuis de longs mois désormais, Stefano Domenicali avait en effet affiché une attitude de fermeture, voire de surdité, envers les demandes de la structure américaine.
Voici ainsi ce qu’il disait encore à l’été dernier : « La F1 n’est pas confrontée à un problème de quantité en ce qui concerne ses équipes. L’approche très vocale et publique d’Andretti pour essayer d’entrer en Formule 1 n’est peut-être pas la bonne voie à suivre. Il n’est pas question de céder à une voix plus grosse ou plus forte, il y en aura d’autres – Andretti a été assez vocal sur sa demande, mais il y en a d’autres qui disent les choses d’une manière différente et ne font pas de forcing. »
En novembre dernier encore, interrogé sur les rumeurs liées à Andretti, Stefano Domenicali se montrait plus ou moins sceptique, laissant entendre qu’Andretti apporterait peu de valeur ajoutée à la FIA : « La première chose que nous devons considérer, c’est que cette éventuelle possibilité apportera une valeur supplémentaire au championnat. Si je peux me permettre, ce n’est pas un problème d’avoir une équipe de plus, il y a beaucoup d’intérêt. Mais nous le ferons si cela permet d’avoir de meilleures courses. Si une nouvelle équipe vraiment incroyable veut discuter avec nous, nous sommes prêts à discuter, mais nous ne sommes pas dans cette position pour le moment. »
Les deux grands critères d’une nouvelle équipe pour entrer en F1
Stefano Domenicali rappelait alors les deux grands critères pour que le sport accueille une nouvelle équipe. Il faudrait qu’une nouvelle structure soit elle-même solide financièrement, tout en apportant quelque chose au sport en termes de valeur ajoutée : « Lorsque nous parlons de Formule 1, nous avons besoin d’une entité ou d’une équipe ou d’un constructeur qui soit vraiment solide, qui soit vraiment fort et qui s’engage pleinement sur une durée incroyablement longue. Aujourd’hui, je ne vois honnêtement pas la nécessité de cette augmentation qui aurait une grande valeur pour le sport de la Formule 1. Je ne vois pas de faiblesse dans le nombre d’équipes en Formule 1. »
En clair, si une 11e équipe diluerait les revenus des 10 autres, elle permettrait aussi d’augmenter la taille du gâteau à partager en conquérant de nouveaux marchés.
Mais voici : la situation a désormais changé, presque du tout au tout. Peu avant l’officialisation de l’ouverture de l’appel d’offres par la FIA, Michael Andretti fanfaronnait dans les médias : il disait « espérer » un « beau cadeau de Noël » dans « les prochaines semaines. »
Un tel revirement de situation, relativement inattendu concernant la situation d’Andretti, pose ainsi trois questions au moins. Passons-les en revue.
Un désaccord entre FIA et FOM ?
Première interrogation : les vues sont-elles réellement et pleinement alignées entre FIA et FOM ? Nous avions précédemment rappelé les positions, assez sceptiques, sans être totalement fermées, de Stefano Domenicali, le patron de la FOM, qui dirige l’activité commerciale de la F1.
Or c’est bien la FIA qui a lancé un appel d’offres pour ouvrir la F1 à d’autres équipes. De là naît une interrogation légitime : la FIA aurait-elle forcé la main à la FOM, en lançant d’elle-même l’appel d’offres ? Elle pourrait être légitime à le faire en tant que fédération organisatrice du championnat. Cela ne serait d’ailleurs pas surprenant compte tenu des bisbilles récurrentes entre FIA et FOM ces derniers temps (voir notre article).
Mais en vérité, en novembre dernier, Stefano Domenicali rappelait aussi que tout appel d’offres serait lancé d’un commun accord entre FIA et FOM : « En ce qui concerne la valeur ou le processus lié à la possibilité pour une équipe d’être dans le championnat, bien sûr, il y a la première étape que nous et la FIA devons avoir un accord pour cela ».
A supposer donc que les accords passés entre FIA et FOM aient été respectés (il faut l’espérer !), la théorie de la FIA comme cavalier solitaire pourrait être ainsi écartée.
Andretti, un projet qui apporterait finalement une grande valeur ajoutée ?
Deuxième interrogation que ce revirement de situation soulève : en quoi Andretti correspondrait finalement, selon les critères de la FIA et de la FOM, au profil d’un candidat idéal pour entrer en F1 ?
Prenons d’abord le critère de la solidité financière. Celle-ci ne ferait aucun doute. L’arrivée d’Andretti serait financée par le groupe 1001 (une société de services financiers qui sponsorise déjà l’équipe IndyCar à travers la marque Gainbridge). Le propriétaire des LA Dogers, une équipe de baseball américaine, serait en outre associé. Ce serait lui qui financerait en majorité le paiement du fonds anti-dilution versé aux autres équipes (200 millions de dollars) et la construction d’une nouvelle usine (pour le même montant environ). En outre, Andretti dispose d’une base solide aux USA, et d’un réservoir de ressources humaines déjà bien rempli grâce à son expérience en IndyCar en particulier.
Quant à la valeur ajoutée qu’Andretti apporterait à la F1, celle-ci ne fait guère de doute non plus. En effet, alors que la F1 cherche en priorité à se développer aux USA, avec notamment l’organisation d’un 3e Grand Prix à Las Vegas cette année, quoi de mieux qu’une des équipes les plus emblématiques de l’Oncle Sam, avec un nom (Andretti) tout autant parlant, pour attirer l’attention des plus de 350 millions de consommateurs américains ?
Il faut dire qu’à l’heure actuelle, Haas peine à véritablement capitaliser sur son statut d’équipe américaine : l’équipe est d’ailleurs davantage basée dans les faits à Banbury, et à Maranello, qu’aux USA. En mai dernier, Günther Steiner reconnaissait d’ailleurs que Haas peinait à capitaliser sur son statut d’équipe américaine. Le fait de fricoter avec un sponsor russe (Uralkali) et de repeindre la livrée aux couleurs de la Fédération de Russie, à une époque pas si lointaine, n’a pas dû certes aidé…
En attirant de surcroît un pilote américain (Colton Herta dans un futur proche), Andretti contribuerait encore à faire grandir le sport aux USA – là où Logan Sargeant, le nouveau pilote titulaire Williams, n’est encore qu’un nom peu connu aux USA.
En somme, Andretti contribuerait certes à diluer les revenus de la F1… mais augmenterait aussi les revenus totaux du sport, en participant à la croissance du chiffre d’affaires en Amérique en général et aux USA en particulier.
Les deux critères fixés par Stefano Domenicali seraient ainsi remplis – peut-être que l’Italien aurait fini par en prendre conscience, ou peut-être a-t-il persuadé par l’arrivée de nouvelles garanties, qui sait…
Mais tout cela suppose que Michael Andretti ne se livre pas à un bluff psychologique quand il assure qu’une très bonne nouvelle arrivera de son côté ; qu’il n’est pas dans le vœu pieux, ou bien tout simplement dans le déni – alors même qu’Andretti a déjà engagé des dépenses monstres pour développer son projet F1, encore incertain à l’heure actuelle (avec notamment la construction d’un tout nouveau siège).
Un appel d’offres qui vise davantage Porsche ?
De là une troisième interrogation : en ouvrant son appel d’offres, la FIA et la FOM viseraient-elles moins Andretti qu’un grand manufacturier, à l’image de Porsche (ou de Ford ? ou une surprise ?).
Toto Wolff résumait l’argument général du paddock en septembre dernier : quand un manufacturier frappe à la porte de la F1, et en particulier un manufacturier aussi prestigieux que Porsche, cela n’est pas la même chose que quand une équipe indépendante, aussi brillante fût-elle, fait la danse du ventre à la F1 : « Si une équipe arrive avec un nouveau motoriste et dit que c’est c’est son projet, alors bien sûr, c’est une situation totalement différente et cela déclenchera des considérations différentes. C’est l’intérêt de tout cela pour moi en tant que propriétaire d’équipe. Ce n’est pas un problème de partager le gâteau si le gâteau est plus grand. (…) Si une marque comme Porsche, connue dans le monde entier, investit ses fonds de marketing dans l’activation de la Formule 1, nous en bénéficierons tous. »
Or justement, depuis le « niet » de Red Bull à Porsche pour s’associer dans le projet moteur de l’équipe de Milton Keynes, et depuis que Sauber a fait alliance avec Audi, Porsche se retrouve orpheline d’un projet F1. Une porte de sortie pourrait être le rachat d’AlphaTauri, une équipe en perte de sens actuellement… mais les dernières nouvelles sont contradictoires au sujet des intentions des nouveaux propriétaires.
Si Porsche avait confié son intention à la FIA et à la FOM de rentrer véritablement en F1, à travers la construction d’une toute nouvelle structure, on comprendrait ainsi mieux l’ouverture de cet appel d’offres début janvier : ce serait comme une formalité pour accueillir à bras ouverts une marque légendaire du sport automobile.
Mais cet appel d’offres aurait aussi toutes les raisons du monde de concerner d’Andretti, une équipe qui mériterait à son tour d’entrer en F1 selon les critères mêmes fixés par Stefano Domenicali : du reste, si Haas est en F1, pourquoi pas Andretti ?
Le bilan de Liberty récompensé
De là, finalement, une quatrième interrogation… et si nous avions bientôt en F1 non pas 11, mais 12 équipes ? A vrai dire, ce n’est pas le scénario le plus probable, mais ce n’est pas non plus le plus invraisemblable.
En définitive, cette attractivité renouée de la F1 est le signe de la santé florissante du sport. Les premiers à remercier sont les stratèges de Liberty Media, qui avec quelques mesures fortes mais indispensables (budgets plafonnés, ouverture à de nouveaux publics notamment à travers Netflix…) ont fait entrer la F1 dans ce qui ressemble, pour le moment, à un nouvel âge d’or.
Un homme aujourd’hui se frise la moustache : Chase Carey, le prédécesseur de Stefano Domenicali - celui qui a mis en place cette nouvelle donne pour la F1.
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