Bévues et couacs en F1, tensions avec la FOM : y a-t-il un pilote dans l’avion FIA ?
Le bilan de Mohammed Ben Sulayem déjà en cause ?
Après le fiasco d’Abu Dhabi et le limogeage déguisé en reclassement de Michael Masi, à la direction de course de la FIA, la Fédération avait décidé de prendre des mesures de prime abord appréciées : réduire les responsabilités dévolues au directeur de course, et en nommer d’ailleurs deux pour le prix d’un, Niels Wittich et Eduardo Freitas.
Les grandes manœuvres ne sont d’ailleurs pas finies : on a appris, il y a une heure, le départ d’une autre figure de la FIA, le directeur du sport et des monoplaces Peter Bayer.
L’état de grâce se mue cependant rapidement en état de disgrâce pour les nouveaux locataires de la Place de la Concorde ; la contestation monte en effet contre le duumvirat au pouvoir, ou plutôt le triumvirat puisqu’il faut bien y inclure Mohammed Ben Sulayem, le successeur de Jean Todt, à la FIA.
Quatre termes peuvent résumer l’évolution du jugement global porté sur la nouvelle direction de la FIA : soulagement, optimisme, doute et incompréhension.
— Soulagement d’avoir vu partir un directeur de course, Michael Masi, dépassé par les événements.
— Optimisme grâce aux premières décisions prises par le duo Freitas-Wittich.
— Doute après l’apparition des premières anicroches.
— Incompréhension suite aux ratés inquiétants de Miami et Monaco.
Le GP de Monaco ou quand la FIA tombe du Rocher
Ces dernières courses en effet, et plus particulièrement à Miami et Monaco, les critiques envers la direction de course se sont accumulées et à raison.
Revenons d’abord sur le Grand Prix le plus récent, celui de Monaco. Et sur un incident qui aurait pu tout simplement décider de la victoire et du podium de l’épreuve…
Lors de ce Grand Prix, la FIA a ainsi commis une erreur grossière - ou plutôt Eduardo Freitas, le directeur de course pour l’épreuve.
En effet, les notes du directeur de course apparaissaient en contradiction avec le propre règlement sportif de la FIA, concernant un point crucial : la tolérance sur le franchissement de la ligne jaune à la sortie des stands. On se souvient que Ferrari avait demandé une pénalité ou du moins une clarification à la FIA sur cette fameuse ligne jaune, car Sergio Pérez, et surtout Max Verstappen, semblaient l’avoir franchie à la sortie des stands. La Scuderia était dans son bon droit : elle se basait sur la rédaction des notes du directeur de course…
Et pourtant, il s’est avéré qu’Eduardo Freitas avait bâclé la rédaction de ses notes, en faisant un copier-coller des règles 2021… alors même que le règlement 2022 avait évolué sur ce point précis - allant, pour résumer, dans un sens de plus grande tolérance sur le passage sur la ligne jaune.
Dès lors, la FIA s’est livrée à un exercice d’équilibriste assez ridicule : les commissaires dans leur décision ont bien dû constater que les notes de la direction de course ne cadraient pas avec les notes du directeur de course. Or, ces notes, dans la « hiérarchie des normes » de la FIA, ne peuvent et ne doivent pas avoir de valeur supérieure au règlement sportif. Ce que les commissaires ont donc constaté dans l’embarras : « En conséquence, les notes émises par le Directeur de Course ne peuvent pas contredire le Code ou le Règlement Sportif de la Formule Un. »
Il a donc bien fallu juger que Ferrari avait raison selon les notes du directeur de course, mais tort selon le règlement sportif (la requête a donc été rejetée).
Une série d’erreurs en Principauté
Au passage, notons que l’an dernier à Abu Dhabi, les notes du directeur de course avaient bien prévalu sur le règlement sportif, ce qui fut une manière bien étrange pour la FIA de justifier sur le moment l’erreur tellurique, depuis reconnue, de Masi.
Voilà donc le tort le plus flagrant d’Eduardo Freitas à Monaco : écrire des notes du directeur de course en contradiction avec le règlement sportif. Mais Freitas a également commis d’autres erreurs à Monaco.
La procédure d’avant-course a fait aussi parler. Mattia Binotto a ainsi jugé que la décision de ne laisser aux équipes qu’un délai de 5 minutes pour chausser les maxi-pluie, avant le lancement de la procédure de départ, a fait partie des « décisions étranges » de la FIA.
Tout récemment c’est encore Pierre Gasly qui s’est ému de cette inertie de la FIA à faire reprendre la course, mettant en cause la direction des opérations : « Le premier drapeau rouge était, je pense, légitime parce qu’à partir de ma 17e place, je pilotais littéralement à l’aveugle, je ne pouvais rien voir, donc je pense que c’était la bonne décision. Mais, après ça nous aurions pu commencer plus tôt. Je ne pense pas qu’ils devraient remettre en question nos compétences. Je pense que cela fait partie de notre travail et de notre défi. Nos compétences sont mises à l’épreuve et c’est ce qui m’excite personnellement. »
Un manque de rigueur sur le suivi des courses
La Fédération a été également accusée d’avoir caché les véritables raisons des multiples reports de l’épreuve à Monaco. A savoir, une panne du système électrique, ou des problèmes de liaison avec le centre de la FIA à Londres.
Cerise sur le gâteau, a-t-on appris via Martin Brundle hier, il y aurait eu des bisbilles internes au sein même de la direction de course. Y aurait-il de la discorde place de la Concorde ?
Et ce n’est pas tout : en pleine course, la pénalité infligée à Esteban Ocon a elle aussi fait parler. La FIA, comme nous l’expliquions, semble avoir commis une double erreur… Sa principale faute ayant été en apparence de ne se baser que sur les images de la (mauvaise) réalisation TV grand public à Monaco, ce qui interroge également.
Le silence coupable de la FIA à Miami
Monaco n’est pas la seule course qui ne laisse pas d’interroger sur la gestion de la FIA. Le Grand Prix de Miami a interloqué, et contrit jusqu’aux principaux acteurs du sport, à savoir les pilotes.
En effet, au virage 14 du nouveau circuit de Floride, les pilotes avaient demandé, avant même le lourd crash de Carlos Sainz dans cette courbe, de prendre des mesures supplémentaires, en ajoutant des TecPro en plus des barrières de béton, forcément moins amicales.
Or la FIA, après le crash de Sainz, a persisté à ne prendre aucune mesure – sans même tenir audience aux pilotes.
Le lendemain, Esteban Ocon se crashait de nouveau à ce virage, prenant 51 G dans un accident qu’il qualifia lui-même « d’inacceptable » surtout étant donné les avertissements préalables.
L’inaction, et le manque total d’écoute de la FIA, énervèrent ainsi plusieurs pilotes comme par exemple Lando Norris : « Il est important que lorsque nous donnons des conseils, ils soient pris en compte et que des mesures soient prises, surtout lorsque l’absence d’un TecPro a des conséquences beaucoup plus graves que la présence d’un TecPro, par exemple, c’est quelque chose de simple. Surtout quand cela se produit une fois, nous avons dit quelque chose [après le crash de Carlos Sainz], rien n’a été fait. Cela s’est reproduit, et c’était encore pire. Les gens doivent juste nous écouter. C’est nous qui conduisons les voitures. Nous en savons plus qu’eux dans beaucoup de domaines, ils en savent plus que nous dans certains. Nous devons simplement travailler davantage ensemble. Mais à l’heure actuelle, il semble que nous ne soyons pas beaucoup entendus. »
Une Fédération qui ne fédère pas : avec la FOM, le torchon brûle aussi
Mais il n’y a pas que sur un plan purement sportif et sécuritaire que la FIA se retrouve dans le viseur. Il y a en effet de l’eau dans le gaz (russe justement) entre le régulateur, la FIA, et le promoteur, la FOM. Et cela sur plusieurs points.
Mohammed Ben Sulayem est tout d’abord accusé de vouloir imposer son autorité (autoritarisme ?) ou son pouvoir sur plusieurs points face à la FOM, et face aux pilotes.
Le nouveau président de la FIA avait certes annoncé la couleur dès sa prise de fonctions, en cherchant à sanctionner Lewis Hamilton pour son absence au traditionnel gala FIA de fin de saison, en 2021. Le Britannique avait pourtant des raisons d’être vexé : après tout, la FIA elle-même a depuis reconnu une erreur personnelle de Masi à Abu Dhabi, une erreur qui a coûté un titre mondial au pilote Mercedes. Bagatelle, sans doute !
Selon The Guardian, la FOM ne comprendrait pas non plus l’acharnement de la FIA sur la régulation du port de bijoux durant les Grands Prix. Serait-ce une vengeance envers Lewis Hamilton ? Une volonté là encore de Mohammed Ben Sulayem d’asseoir son autorité ? Le promoteur jugerait quoi qu’il en soit « inutile et vaine » une telle obstination de la FIA.
C’est l’attitude sereine et souveraine de Mohammed Ben Sulayem (qui chercherait toujours à asseoir son autorité) qui agacerait également la FOM concernant l’inévitable Grand Prix d’Abu Dhabi. Selon The Guardian, la FOM aurait regretté que la FIA n’aille pas plus loin dans son introspection des erreurs commises à Yas Marina, en cherchant presque à se défausser sur l’erreur personnelle de Masi.
Ce manque d’examen en profondeur aurait déçu Liberty Media, qui est bien conscient que des polémiques répétées pourraient nuire à l’image du sport.
Une mésentente politique et financière
D’autres points de frictions sont nés avec la FIA, plus encore politiques. Il semblerait que Mohammed Ben Sulayem ait poussé pour que les pilotes russes, après l’invasion de l’Ukraine du 24 février, puissent continuer à courir sous drapeau neutre en F1. Alors que la FOM poussait pour leur bannissement pur et simple. C’est la FOM, aidée aussi en cela par les décisions de fédérations nationales (comme la britannique), qui a remporté ce bras de fer.
Enfin, le dernier point de friction est vieux comme le monde : financier. La FIA aurait fait elle aussi blocage pour que le nombre de courses sprint n’augmente pas de 3 à 6. Ou en tout cas, pas sans avoir reçu un dédommagement financier pour gérer les surcoûts afférents à cette surcharge de travail.
« Après Abu Dhabi, les gens disaient qu’ils voulaient changer ceci ou cela. Je ne comprends donc pas pourquoi on demanderait soudainement à l’équipe de la FIA d’en faire plus. Si un incident impliquant la voiture de sécurité se produit dans le futur, que devons-nous faire ? Nous devons avoir une vue d’ensemble afin de prendre les bonnes décisions. Laissez-nous gérer nos opérations. Nous allons améliorer tout ça » déclarait ainsi sur ce sujet Mohammed Ben Sulayem.
Cette opposition FIA / FOM avait d’ailleurs surpris jusqu’aux équipes, dont les directeurs s’étaient exprimés en termes mesurés.
Comme le résume The Guardian, bien informé sur le sujet, « certaines sources craignent que l’instance dirigeante ne nuise à ce sport au moment même où il connaît un regain de popularité. »
Une question de moyens ?
Eduardo Freitas n’est guère le seul coupable de ces multiples manquements ou anicroches. Ni même son nouveau duo avec Niels Wittich.
En réalité, c’est peut-être le manque de moyens apparent de la FIA qui est en cause : manque de personnel pour surveiller toutes les images à Monaco, systèmes de communication défaillants, manque de personnel encore pour communiquer avec les médias et les équipes. Avec peut-être une volonté de compenser ce manque de moyen par un surcroît d’autorité se muant en autoritarisme.
« Pour le bien de la F1, la FIA doit urgemment procéder à certains changements et nommer : un directeur de course entièrement dédié et habilité qui sera accompagné d’une doublure, un inspecteur des circuits, ainsi qu’un département de la communication efficace. Je considère que c’est un problème prioritaire à résoudre » propose ainsi Martin Brundle après le Grand Prix de Monaco.
Alors que la F1 connaît une pleine croissance, il serait temps à la FOM peut-être de verser effectivement une part de revenus supplémentaires à la Fédération. On comprend ainsi mieux la lutte de Mohammed Ben Sulayem pour rediriger plus de revenus de la FOM vers la FIA.
En définitive, la F1 doit bien comprendre qu’un sport en bonne santé est un sport bien arbitré. Ou pour le dire avec Juvénal : Quis custodiet ipsos custodes ? (Qui gardera ces gardiens-là ?).
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