Le jour où une F1 équipée d’un gouvernail a dépassé les 400 km/h

Un record de Honda qui tient toujours actuellement

Par Emmanuel Touzot

24 avril 2021 - 17:07
Le jour où une F1 équipée d'un

En 2006, Honda a signé le record de vitesse d’une monoplace de Formule 1. Grâce aux lacs salés de l’Utah à Bonneville, l’équipe a pu faire monter une RA106 modifiée à près de 400 km/h, grâce à un Alan van der Merwe courageux.

Si le nom Alan van der Merwe vous dit quelque chose, c’est parce qu’il est aujourd’hui le pilote de la Medical Car en F1, soit une des deux personnes ayant aidé Romain Grosjean lors de son terrible accident de Bahreïn.

Il s’agit de la vitesse homologuée la plus haute connue pour une F1, mais pas de la plus haute atteinte. Car pour homologuer une vitesse, il faut faire deux passages distincts sur un kilomètre ou un mile.

Le projet a débuté avec une BAR 007 de 2005, qui fut testée pour tenter d’atteindre les plus hautes vitesses maximales. Mais le département marketing, qui avait eu cette brillante idée, n’avait pas franchement conscience de sa demande.

Une F1 classique était un "outil inadéquat"

Comme attendu par les ingénieurs, la F1 dans sa configuration normale n’allait pas à plus de 360, voire 370 km/h. "Ils nous ont dit ’ajoutez de la puissance’, mais il ne s’agit juste pas de tourner une vis et d’ajuster une valve ici et là. C’était un outil inadéquat pour ce travail" se souvient van der Merwe.

L’équipe a alors travaillé d’arrache-pied pour améliorer la performance moteur, mais aussi réduire la traînée aérodynamique. Et c’est ainsi que lors des tests, la monoplace est revenue avec un gouvernail...

"Quand nous avons vu le gouvernail, beaucoup on ri. Ils étaient habitués à envoyer de la puissance dans ces machineries de précision. Ils ont été hilares. Nous ne pouvions pas passer la deuxième vitesse."

"L’ECU ne pouvait pas supporter autant de patinage. La voiture était trop légères, elle avait d’énormes ballons en guise de pneus sur le sel glissant, et ça a réduit les espoirs de tout le monde à néant."

Une monoplace bien plus rapide qu’attendu

Après correction de ces problèmes grâce à des solutions pour mieux réussir à passer la puissance et le couple au sol, Alan van der Merwe a pu accélérer, et même plus qu’il ne pensait le faire initialement.

"C’est ce qui est amusant. La première fois que j’ai piloté la voiture en spécification finale, c’était lors d’un test aéro à Lyneham en Angleterre. Mon ingénieur m’a demandé de faire un run à 280 km/h. Mon affichage ne montrait que les températures et pressions, et j’ai accéléré jusqu’à ce que je pensais être 280 km/h."

"Quand je suis rentré, il m’a dit que j’avais fait 360 km/h. J’avais mal jugé car la voiture accélérait encore énormément. Cela m’a appris les références sur lesquelles me baser : la voiture accélérait et l’on sentait la traînée lorsqu’on arrivait au bout des rapports, mais elle avait des rapports très longs."

"J’étais probablement en quatrième ou cinquième vitesse, et elle continuait à monter de manière incroyable, donc je pense que j’étais entre 250 km/h et 280 km/h. Pour les runs suivants, j’ai dû me calmer parce qu’on ne savait pas comment la voiture se comporterait."

Une pointe à 413 km/h avant d’aller à Bonneville

Plutôt que de miser sur une longue piste d’aéroport, l’équipe a vu les choses en grand et a décidé d’utiliser le paysage spectaculaire des lacs salés de l’Utah pour organiser cette séance hors du commun.

Van der Merwe se souvient du sentiment de grandeur qui l’entourait : "Il n’y a aucun retour, vous êtes entouré par cette étendue blanche. La piste faisait 200 mètres de large et 17 kilomètres de long. Les seules choses qui vous font savoir que vous allez vite, c’est le casque qui veut s’arracher de votre tête et la voiture qui hurle en septième vitesse."

Une première tentative fut effectuée à Mojave, en Californie, mais sur une petite distance, afin de savoir si la voiture était capable d’atteindre la vitesse voulue. La réponse fut positive avec une pointe à... 413,205 km/h !

Mais il fallait tenir la vitesse sur la longueur du trajet aller-retour, et il fut plus compliqué pour van der Merwe de franchir la barre des 400 km/h. Celle-ci fut tout juste franchie sur un aller, mais le Sud-Africain ne parvint pas à refaire la même performance au retour.

Un objectif manqué, mais un record de vitesse accompli

Finalement, le meilleur roulage aller-retour de van der Merwe fut enregistré à une vitesse moyenne de 397,396 km/h. Un record dont se satisfait le pilote, sans aucune frustration d’avoir manqué l’objectif fixé par Honda pour moins de 3 km/h.

"Pour être honnête, on n’aurait pas dû être aussi proches ! Je pense que nous aurions eu besoin d’un outil totalement différent pour atteindre 400 km/h, mais nous nous sommes beaucoup amusés à nous en rapprocher et à signer le record. C’était un projet unique et j’ai été chanceux d’en faire partie."

"Cela a changé mon point de vue sur la compétition de vitesse aussi. J’étais pilote sur circuit, donc je ne comprenais pas. Je voyais ces choses américaines de 2000 chevaux construites dans la grange de quelqu’un, et ça ne me parlait pas."

"J’imaginais que ça pouvait être amusant, mais je ne voyais pas comment les gens y devenaient accros, simplement en pilotant en ligne droite sur du sel en essayant de trouver un dixième de mile par heure. Je ne voyais pas l’intérêt."

"Mais travailler sur ce projet a changé mon point de vue. On était 50 ou 60 personnes et il nous a fallu deux ans pour réussir ce qu’on a fait. Vous apprenez que ce qui se passe sur le sel est la partie émergée de l’iceberg. Trouver ce dixième peut prendre neuf mois de travail."

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