L’adieu au V8 : Interview de Léon Taillieu, chef de projet du moteur RS26
Le premier V8 de Renault F1
Racontez-nous la genèse du bloc RS26, le premier moteur V8 Renault.
Cette période a été particulièrement chargée. Nous avions développé de 2001 à 2003 une série de V10 avec un angle très ouvert qui ne se sont pas avérés aussi compétitifs que nous l’espérions. Afin de gagner en fiabilité et en performance, nous avons décidé en 2004 de revenir à une génération plus ancienne avec un angle réduit. Les progrès ont alors été significatifs et cela s’est confirmé en 2005 grâce à un excellent châssis et ce très bon nouveau moteur au V « fermé ». Conscients que nous pourrions demeurer très compétitifs en 2006, et même s’il avait dû s’agir d’un V10, nous souhaitions présenter un moteur dont l’angle du V serait de 90°. Nous nous battions cependant déjà pour le championnat 2005 et c’est devenu l’une de nos priorités. En sachant que le V8 constituerait l’avenir, il nous a fallu soigner les premières étapes de son développement. Nous n’étions pas très nombreux autour de ce projet en mai 2004 lorsque nous avons commencé carnous avions donc deux dossiers importants à développer en simultané, et en plus un championnat à remporter !
Comment ce projet a-t-il ensuite évolué ?
La nouvelle réglementation technique sur le V8 a été validée très tardivement. Nous avons pensé que ceci pourrait être un avantage car nous avions déjà planché tardivement sur le V10, avec des victoires à la clé ! Les discussions ont débuté en mai 2004 et le premier cahier des charges a été distribué en interne au mois d’octobre de cette même année. Compte tenu des délais, nous avons transformé notre V10 à 90° en un V8 de fortune caractérisé par seulement 8 cylindres actifs sur les 10 contenus dans le bloc. Ce prototype a commencé à fonctionner fin 2004. Il s’agissait de la solution la meilleure et la plus rapide pour être prêts à temps.
A cette époque, quelles étaient les priorités ?
Conscients des courts délais à respecter, nous avons beaucoup travaillé en banc d’essais tandis que nos concurrents testaient leur nouveau V8 en piste, accouplé à un ancien châssis. Ayant tiré les enseignements de notre association avec Williams dans les années 90, nous étions persuadés que notre stratégie s’avérerait payante à long terme car l’emploi d’une voiture hybride n’est pas forcément la bonne option. Nous nous sommes donc concentrés à effectuer un grand nombre d’essais de concepts sur simulateur pour tester différents types d’allumages, d’acoustique, et apprendre à régler le V8. Réduire les vibrations a ensuite été notre préoccupation majeure et les longues heures passées au simulateur ont justifié notre choix de son utilisation intensive. Les tests du cylindre unique ont enfin débutés fin 2004 et ce fut la toute première fois que nous utilisions cette méthode. Ce fut très utile pour comprendre le processus de combustion.
Un an avant son introduction, quelles ont été les étapes les plus importantes dans le développement du V8 ?
Le RS25 combinait les points forts des moteurs à angle très ouvert et ceux de la génération plus ancienne des RS24. Le RS26 était aussi une amélioration du RS25. Il ne s’agissait pas d’une révolution car nous avons calqué notre travail sur l’expérience acquise précédemment, à savoir ouvrir l’angle du V et modifier l’alignement des cylindres pour une meilleure intégration au châssis. Nous nous sommes adaptés au règlement le plus strict en ce qui concerne les matériaux et la fabrication. Nous avons également travaillé sur la chambre de combustion, l’allumage, les soupapes et bien entendu sur la performance. Pour cela nous avons disposé de deux versions du moteur : la première avec une culasse identique au V10, deux cylindres en moins ; puis une évolution apparue un peu plus tard. Si les années précédentes les blocs ont tourné pour la première fois tourné fin juin, il aura fallu patienter jusqu’au début du mois d’août pour celui-ci. Nous avons volontairement souhaité reporter d’un mois sa mise en route afin d’optimiser les calculs et les résultats d’essais dans le cadre du calendrier qui nous était imparti. Ce fut encore une fois une bonne décision car la puissance du moteur était très proche de nos prévisions, de l’ordre de 680 chevaux pour 93 kilos alors que le poids minimum autorisé était de 95 kilos. Nous avons ensuite poursuivi les essais de fiabilité et d’endurance puis en décembre 2005 nous lui avons fait subir un premier test axé à 100% sur la longévité. Nous avons par conséquent été en mesure d’accoupler directement le moteur au nouveau châssis, avec des pièces homologuées et sans rencontrer de soucis majeurs.
Tout a fonctionné comme prévu ?
Les moteurs ont été livrés à Enstone fin décembre puis ont été montés sur les monoplaces dès le début du mois de janvier. Les premiers essais sur circuit ont eu lieu trois semaines plus tard et tout s’est déroulé comme dans un rêve ! Nous n’avions dès lors aucun regret d’avoir repoussé l’échéance de cette première sortie en piste.
N’avait-il jamais tourné sur aucun circuit auparavant ?
Dans la mesure où il n’existait aucune restriction des essais, la majorité des équipes a roulé dès décembre 2005. J’ai dû me montrer persuasif et nous avons décidé de reporter ces tests. L’installer sur la voiture aurait fait office de compromis, mais cela ne remplacera jamais la batterie de tests effectués sur le banc. C’est la raison pour laquelle le premier run ne s’est déroulé qu’en 2006.
S’agissait-il d’un pari que vous souhaitiez relever ?
Au sein des différents teams, la seule préoccupation était les vibrations … Ils n’avaient que ce mot à la bouche ! Nos concurrents, par ailleurs, avaient choisi d’effectuer la plupart de leurs essais en piste. L’option choisie était selon nous la meilleure, car nous avons pu recueillir sur le banc un nombre incalculable de données qui nous auraient certainement échappé sur une voiture hybride. V10 3,0 litres ou V8 2,4 litres, la cylindré unitaire étant similaire, nous avons insisté pour que l’équipe ne soit pas trop anxieuse au sujet des vibrations. Ils ont pu se remémorer la comparaison offerte par les V8 3,0 litres et les V12 de cylindrée identique dans les années 70… Certes, un V8 vibre davantage, mais il faut considérer de nombreux autres facteurs. Le moteur ne devait pas endommager le châssis et il a fallu convaincre tout le monde !
Comment s’est déroulée la première saison ?
Elle a plutôt bien débuté puisque nous avons remporté la victoire lors des trois premiers Grands Prix. Nous nous sommes ensuite attelés à fournir à chaque course de nouvelles évolutions que nous pouvons classer selon quatre spécifications.. La Spec B, qui a principalement concerné la culasse, l’étanchéité et l’arbre à came, est apparue lors de la quatrième épreuve. Nous avons également joué sur l’échappement et il en a résulté un réel gain de performance. La Spec C était attendue pour la 10e course et devait nous permettre d’effectuer un bond en avant. Grâce à l’augmentation de la pression de l’injection à 100 bar et de nouveaux réglages du moteur au niveau de la boîte à air, les performances offertes par la Spec D ont cette fois été en net progrès. Finalement, la Spec E a été pour nous l’opportunité de rassembler toutes ces améliorations. Nous en avons donc profité pour inclure tous les changements apportés pendant la saison et bénéficier de cette spécification sur laquelle nous avons poussé le développement des échappements, des cames, des réglages… En fin d’année, nous avons ainsi pu constater un gain de 5% par rapport aux performances initiales. Le championnat n’a pas été simple à remporter car nous l’avons gagné lors du tout dernier Grand Prix, mais c’est le travail abattu au début de l’année, qui nous a permis d’obtenir la couronne mondiale.