Interview - Thierry Boutsen : Alonso est le seul qui arrive à faire la différence

"Il pourrait même piloter une voiture à trois roues"

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8 novembre 2014 - 13:23
Interview - Thierry Boutsen : Alonso est

Retraité des Grands Prix depuis 21 ans maintenant, Thierry Boutsen continue toutefois de suivre avec attention l’évolution d’une discipline qui aura occupé plus de dix ans de sa vie. De passage à Sportel, le salon international des contenus sportifs organisé chaque année à Monaco, le Belge en profite pour jeter un regard lucide sur cette saison 2014.

Thierry, Lewis Hamilton vient de remporter à Austin sa 10ème victoire de la saison et compte désormais 24 points d’avance sur Rosberg. A-t-il effectué un pas décisif vers son deuxième titre ?

Peut-être. Hamilton est certainement plus agressif en course que Nico, mais Nico a une manière tout à fait différente de gérer cela. Les circonstances de course ont fait que Nico a perdu une victoire en Angleterre. Il aurait également pu gagner à Singapour parce qu’il maîtrisait bien son sujet là-bas. On aurait deux victoires en moins pour Hamilton et deux en plus pour Rosberg. Ils seraient quasiment à égalité. C’est un concours de circonstance qui fait que l’un est devant l’autre en ce moment, mais ce n’est pas vraiment la valeur des pilotes qui est en cause.

Après quatre saisons de domination du binôme Sebastian Vettel-Red Bull, la Formule 1 vit cette année l’une des saisons les plus palpitantes de son histoire. Quel regard portez-vous sur cette cuvée 2014 ?

Palpitante cela dépend pour qui. Si on est Red Bull et si on est Sebastian Vettel c’est moins palpitant (Sourire). Il est très intéressant de voir à quel point la technique a pris le pas sur le pilotage et la performance des pilotes. Même si on met le plus mauvais pilote du plateau dans la meilleure voiture il va gagner. Si on ne lui donne pas la meilleure voiture il ne peut absolument rien faire.

Cette prépondérance de la machine sur les performances des pilotes vous chagrine-t-elle ?

C’était déjà le cas à mon époque, mais c’était beaucoup moins flagrant et il y avait toujours moyen, dans certaines circonstances un peu particulières, de faire la différence comme j’ai pu le réussir à quelques occasions. Actuellement c’est toujours la meilleure voiture qui gagne. La différence entre les deux pilotes ne s’opère ensuite qu’en fonction de la chance ou de la malchance et d’un concours de circonstance.

Hormis Fernando Alonso, aucun pilote ne semble aujourd’hui capable de réaliser des choses extraordinaires au volant d’une mauvaise voiture …

C’est tout à fait vrai. Il pourrait même piloter une voiture à trois roues (Rires). Alonso est peut être le seul des pilotes de devant qui arrive à faire la différence actuellement en Formule 1. On ne peut pas vraiment juger les pilotes de la queue de peloton parce que leur voiture est trop mauvaise par rapport à celles qui se battent pour les victoires.

« Le Vettel d’il y a deux ou trois ans aurait dominé Ricciardo »

Daniel Ricciardo constitue indéniablement l’une des révélations de ce championnat. Vous attendiez-vous à une telle saison de sa part ?

Qu’il soit au-dessus de Vettel est à mon avis dû au fait que Sebastian ait gagné le championnat du monde ces quatre dernières années. Il est un peu moins motivé pour sortir la grosse attaque comme il l’a fait les saisons précédentes. Le Vettel d’il y a deux ou trois ans aurait dominé Ricciardo. Maintenant, le changement de données explique aussi cela. Cependant, Ricciardo fait vraiment du très beau boulot.

Vettel était-il condamné à quitter Red Bull pour se relancer et retrouver du crédit au sein du paddock ?

Condamné je ne sais pas, mais je pense qu’il a pris la bonne décision en choisissant de changer de crèmerie pour voir et comprendre ce qu’il se passe ailleurs. C’est un nouveau challenge, un nouveau défi. Il aurait certainement eu un coéquipier encore plus fort l’an prochain chez Red Bull puisque Ricciardo est toujours en train d’apprendre le plus haut niveau. Cela aurait été une lutte infernale entre les deux.

L’option Ferrari est-elle la bonne selon-vous ?

Partir sur une base complètement différente pour lui est quelque chose qu’il devait faire à ce moment précis de sa carrière. L’avenir nous dira si le choix Ferrari était le bon. Il essaye de répéter ce qu’a fait Michael Schumacher. On verra bien. Il a changé d’écurie et ce sera à lui de voir. Il faut espérer que les ingénieurs de Ferrari produisent une voiture suffisamment compétitive.

L’un des évènements majeurs de ces dernières semaines est le départ de Luca Di Montezemolo de la présidence de Ferrari après 23 ans de règne. Ces multiples changements peuvent-ils permettre à la Scuderia de retrouver son lustre d’antan ?

Ils font toujours ce genre de choses là chez Ferrari. Ce n’est pas le premier qui se fait limoger de la sorte de la part de la Scuderia. Di Montezemolo préfère en rire, mais il avait déjà anticipé son départ selon moi. Il a quand même amené Ferrari là où elle en est aujourd’hui au niveau des ventes des voitures de route. Il n’y a que le service compétition qui ne fonctionne pas très bien, car le reste marche parfaitement. Dans la vie d’un homme il faut parfois changer des choses plutôt que de rester éternellement au même endroit.

« Avoir laissé le tracteur en piste était insupportable pour moi »

En dépit de leur grande expérience, les commissaires de piste de Suzuka ont sans doute trop tardé à dégager la voiture de Sutil lors de l’accident de Jules Bianchi. N’y-a-t-il pas un problème à régler dans ce domaine, notamment sur les nouveaux circuits, pour essayer de tendre vers une organisation plus efficace comme à Monaco ?

Oui, mais dans des circonstances normales les drapeaux jaunes sont brandis ou on sort la voiture de sécurité. Le problème principal est que les gens ne sont pas aussi performants qu’à Monaco. Il y a d’autres endroits où cela se passe moins bien et où il y a plus de lenteur. Mais le fait d’avoir laissé le tracteur en piste pendant autant de temps était insupportable pour moi.

Felipe Massa fut l’un des rares pilotes à avoir dénoncé la décision de la direction de course de ne pas interrompre le Grand Prix. Selon lui la luminosité devenait trop faible et les conditions étaient trop difficiles en piste. Fallait-il stopper le Grand Prix plus tôt selon-vous ?

Chacun a son avis sur la question. C’est difficile à analyser, car certains ne diront jamais qu’il est difficile de rouler dans ces conditions. J’ai gagné des courses sous la pluie dans des circonstances extraordinaires d’intensité. Cela m’a toujours plus de rouler sous la pluie. Cette difficulté m’a encouragé à réaliser des prouesses. Après, il y a des gens qui adorent rouler à Monaco et d’autres qui détestent. Ce sont des réactions à chaud qui ne veulent pas dire grand-chose.

Les conditions empiraient certes, mais rien n’incitait la direction de course à arrêter le Grand Prix…

Il a commencé à repleuvoir et les pneus étaient usés chez tous les pilotes. Des coulées d’eau traversaient également la piste. Les deux sorties de route à cet endroit là montrent que les conditions de piste étaient devenues très difficiles. Dans des circonstances normales, et si Sutil n’était pas sorti de la route, Jules serait allé frapper les barrières de protections en caoutchouc et il ne se serait rien passé du tout. C’est le fait qu’il y avait un tracteur là qui a crée cette polémique. Ce sont deux choses que l’on mélange et qui ne devraient pas être mélangées.

Les accidents de Michael Schumacher et d’Andrea De Cesaris rappellent que les pilotes sont avant tout des hommes comme tout le monde. N’est-ce toutefois pas incroyable que des pilotes de F1 qui ont risqué leur vie pendant des années au volant puissent disparaître dans un simple accident de la vie de tous les jours ?

On ne vit qu’une fois vous savez. Et il existe des millions de façon de mourir. Que ce soit dans une Formule 1, dans la rue, à la suite d’une maladie, d’une attaque terroriste ou encore dans son lit. On est à la merci de quoique ce soit tous les jours et à tout moment. Il est vrai qu’un pilote prend des risques sur un circuit, mais il en prend moins que quelqu’un qui prend sa voiture pour aller au travail. J’ai fait de la compétition en sport automobile pendant une bonne partie de ma vie et c’est mon père qui est décédé sur la route après s’être fait percuter par une autre voiture.

Propos recueillis par Andrea Noviello

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