Interview - Gasly : Je crois clairement au projet Toro Rosso - Honda

Il connait déjà bien les Japonais

Par Franck Drui

18 octobre 2017 - 09:37
Interview - Gasly : Je crois clairement

Ce mois-ci, l’équipe de minute-auto.fr a pu interviewer Pierre Gasly, le nouveau jeune pilote français qui a fait ses débuts chez Toro Rosso.

Gasly ne roulera pas ce week-end à Austin mais il défendra ses chances d’être titré au Japon, en Super Formula. Il se projette aussi sur 2018, lorsque Toro Rosso roulera avec le moteur Honda.

Bonjour Pierre, vous partez ce week-end jouer le titre au Japon, en Super Formula. Est-ce que vous souhaitiez cette décision, sachant que l’on vous retrouvera en Formule 1 ensuite, quoi qu’il arrive ?

Pierre Gasly : Pour moi, les deux choix étaient excitants. D’un côté, le Grand Prix des Etats-Unis de F1 m’aurait permis d’accumuler de l’expérience et de préparer la suite mieux encore. D’un autre côté, je vais jouer le titre au Japon. Je suis super content de pouvoir finir le travail entamé et d’avoir l’opportunité d’ajouter une ligne à mon palmarès, après le sacre conquis en GP2 l’an dernier.

Qu’est-ce qui a fait pencher la balance du côté de la Super Formula, en vue de ce week-end ?

P.G. : C’est Red Bull qui a fait le choix, en concertation avec Honda. Je pense que le titre est important pour le motoriste japonais et il l’est évidemment pour moi aussi. Je ne rate finalement qu’un seul Grand Prix de F1, tout en pouvant concrétiser le travail de toute une année.

Revenons quelques instants sur les trois dernières semaines, lors desquelles vous avez vécu vos deux premiers Grands Prix en Formule 1. Comment avez-vous vécu ce grand tourbillon ?

P.G. : Cela a juste été extraordinaire ! Chaque minute de chaque journée a représenté du pur bonheur pour moi... Je rêvais de devenir pilote de F1 depuis l’âge de 6 ans. Au fur et à mesure, le rêve s’est transformé en objectif de carrière, et même de vie.

Dès lors, il n’est pas facile de bien réaliser ce qui est en train de se passer... Ce n’est que lorsque je suis rentré en France, après Suzuka, que j’ai enfin réalisé ce qui venait d’arriver. Avant cela, j’étais tellement concentré que je n’avais pas le temps de prendre conscience des événements. La F1, c’est quand même une autre dimension. Il faut construire son week-end séance après séance, puis il m’a fallu gérer l’engouement survenu en Malaisie lorsque je suis passé de pilote de réserve à pilote titulaire, c’était assez incroyable !

Vous rêviez de cela depuis votre enfance, vous avez donc eu le temps de vous imaginer beaucoup de choses... Etait-ce conforme, mieux ou moins bien que ce à quoi vous vous attendiez ?

P.G. : C’était clairement à la hauteur de ce à quoi je m’attendais... et même mieux ! Lorsque j’avais 8 ou 9 ans, je regardais un pilote comme Fernando Alonso à la télévision et je ne pouvais évidemment pas imaginer me retrouver à ses côtés en F1 un jour...

Je vis aujourd’hui ce que j’ai toujours voulu vivre, c’est-à-dire avoir la chance de pouvoir me bagarrer avec les meilleurs pilotes au monde. C’est le top niveau, et c’est du pur bonheur.

En revanche, et même si j’avais déjà l’expérience d’un pilote de réserve, je ne m’attendais pas à ce que les journées soient à ce point chargées en tant que pilote titulaire. Il y a le job de pilote, mais aussi tout ce qu’il faut gérer avec les médias et les sponsors. Durant un week-end de course, je n’ai pas eu une seule fois 20 minutes pour moi, pour me reposer, c’est vraiment non-stop du jeudi au dimanche soir.

Du coup, les lundis doivent être difficiles, lorsque la fatigue se fait sentir...

P.G. : Le premier lundi, après la Malaisie, je ne l’ai pas trop ressenti car j’étais émerveillé par ce que je venais de vivre. De plus, j’étais déjà concentré sur le Japon. Je me suis relâché après le Japon et là, le coup de barre fut assez énorme.

On vous a aperçu très serein lors de ces deux week-ends de course. Etait-ce réellement le cas, intérieurement ?

P.G. : Curieusement, oui. Je n’étais pas en excès de confiance mais je me sentais très bien. J’arrivais là où je voulais être. J’avais conscience depuis des années que toute l’expérience que j’accumulais était nécessaire afin d’être prêt le jour où j’arriverais en F1. Quelque part, je n’avais donc plus qu’à répéter les mêmes actions. Bien sûr, l’échelle est autrement plus haute, les attentes aussi, tout comme les performances de la voiture, mais je me sentais déjà prêt après avoir été titré en GP2 et je suis donc arrivé en Malaisie en me disant qu’il me suffisait d’agir de la même manière pour obtenir la performance.

Je suis un bosseur, un compétiteur, il n’y avait donc pas de révolution à envisager ni de pression supplémentaire à se mettre. Sincèrement, j’ai parfois ressenti bien plus de pression dans ma carrière que ces dernières semaines. La filière Red Bull engendre beaucoup de pression. Du coup, je n’ai pas ressenti de stress additionnel en arrivant à Sepang.

Avez-vous parfois été spectateur de ce que vous étiez en train de vivre, en côtoyant des pilotes comme Lewis Hamilton ou Fernando Alonso ?

P.G. : Pas vraiment. En tant que pilote de réserve, je les côtoyais déjà un peu, en participant par exemple au briefing des pilotes. J’étais déjà dans le paddock, j’avais donc déjà passé ne fut-ce qu’une soirée en leur compagnie. Lewis (Hamilton) et Kimi (Räikkönen) sont les deux seuls pilotes avec qui je n’avais pas encore discuté avant la Malaisie, mais je me suis retrouvé à côté de Lewis là-bas et nous avons échangé quelques minutes, pour la première fois.

J’avais 9 ou 10 ans lorsqu’il est arrivé en F1, donc cela reste impressionnant. Cela dit, ces pilotes sont comme tout le monde et puis, pendant la course, on fait totalement abstraction des noms qui sont dans les autres voitures...

Quel pilote actuel vous inspire le plus, en termes de pilotage ou d’approche de travail ?

P.G. : Je pense que pour être le plus performant possible, il ne faut pas essayer de ressembler à quelqu’un. Si l’on fait ça et que l’on y parvient, on fera toujours un peu moins bien que le pilote pris comme modèle. J’essaie donc de faire ce qui me parait le mieux et le plus intelligent à faire, en me donnant toujours à 200%.

Sur la grille actuelle, il y a beaucoup de pilotes différents. Lewis a énormément de talent, Max (Verstappen) aussi, Vettel est sans doute plus rigoureux dans son approche, tout comme Daniel (Ricciardo). Je ne m’inspire pas, mais je connais bien les forces et les faiblesses de chacun.

Quelle a été votre plus grande satisfaction sur ces premiers Grands Prix ?

P.G. : Je n’ai commis aucune erreur, mis à part une petite faute en qualifications au Japon. J’ai donc pris beaucoup d’expérience sur des week-ends pas simples, lors desquels la pluie a perturbé le programme. Je suis aussi fier de ma qualification en Malaisie car, malgré un siège mal réglé, j’étais déjà très proche de Carlos (Sainz).

Y-a-t-il un commentaire qui vous a particulièrement touché ces dernières semaines ?

P.G. : Vettel a déclaré que j’étais un pilote rapide et qui méritait sa place en F1. Venant d’un champion du monde, cela fait toujours plaisir !

Avez-vous une anecdote à raconter à propos de ces deux courses ?

P.G. : Disons que si l’on m’avait dit que ma première course de F1 serait en Malaisie, sur l’un des tracés les plus physiques du championnat, et que j’allais être privé de boisson durant toute la course, je n’aurais sans doute pas accepté ! (Rire) C’est tout de même un endroit où l’on perd jusqu’à 3 litres d’eau dans le corps durant la course... Or, la pipette est sortie de ma cagoule avant même la course et, lorsque j’ai voulu boire, l’eau a coulé directement dans mon cou !

Sa relation avec Honda

Le GP2 vous avait déjà bien préparé à la F1. Qu’est-ce que la Super Formula vous aura apporté de plus, cette saison ?

P.G. : Toute nouvelle expérience est bonne à prendre. Lorsque l’on se retrouve dans des situations inédites, le challenge est présent, on se doit d’essayer de réagir de la meilleure des manières. Je ne connaissais rien de la voiture, j’ai découvert tous les circuits et j’ai pourtant dû m’adapter rapidement dans un contexte plutôt particulier.

Or, en F1, il faut toujours pouvoir s’adapter le plus rapidement possible aux conditions, aux voitures toujours différentes d’une année à l’autre. Ce fut donc un bon exercice cette saison, dans une compétition où les voitures sont super performantes. C’est clairement ce qui se rapproche aujourd’hui le plus des F1 en termes de charges aérodynamiques, sans compter qu’il y a là-bas des ex-pilotes de F1, des pilotes des 24 Heures du Mans, ou encore des pilotes japonais qui ont 15 ans d’expérience dans la discipline. Je vais clairement en sortir grandi et meilleur pilote qu’il y a 12 mois.

Vous avez donc travaillé avec Honda cette année et, si tout se passe bien, cela devrait se poursuivre l’an prochain en F1 avec Toro Rosso. Quelle relation entretenez-vous avec les gens de chez Honda ?

P.G. : Clairement, c’est un vrai plus pour moi d’avoir travaillé avec Honda cette année alors qu’ils vont arriver chez Toro Rosso. Tout est très différent chez eux : leur culture bien sûr, mais aussi leur communication, leur méthode de travail.

Il m’a fallu un peu de temps pour arriver à comprendre comment bien travailler avec eux cette saison. Maintenant, je sais beaucoup mieux comment communiquer avec eux. Fort de cette expérience, j’espère donc avoir l’opportunité d’évoluer avec eux l’an prochain en F1.

Concrètement, qu’est-ce qui est diffère dans leur approche de ce que nous connaissons en Europe ?

P.G. : Ils n’ont pas pour habitude d’être trop durs, trop directs. Les Japonais communiquent toujours de façon constructive et il ne faut donc jamais les braquer. Ils ont tendance à dire oui à tout, alors qu’ils ne sont pas pour autant d’accord... Pour s’assurer que l’on est sur la même longueur d’ondes, il faut donc parfois vérifier les choses dix fois plutôt qu’une seule.

Faut-il pour autant accepter que les choses prennent parfois plus de temps pour se régler ?

P.G. : Absolument. Ils accordent beaucoup d’importance à la hiérarchie : tant que le patron n’a pas donné son feu vert, rien ne peut bouger. Les prises de décision ne sont donc clairement pas aussi rapides que chez nous.

Visiblement, Honda vous apprécie tout particulièrement. On imagine que c’est évidemment très agréable ?

P.G. : C’est sûr, j’ai vraiment passé une très bonne année avec eux au Japon. Et les performances sont là aussi, puisque je suis à ce jour deuxième en Super Formula et seul pilote Honda dans le top 8.

J’ai gagné deux courses pour eux et notre relation s’est bien développée. Je sais qu’aujourd’hui, je bénéfice d’un grand soutien de leur part et cela me fait très plaisir, car ce n’était pas forcément le cas en début de saison, lorsque je suis arrivé là-bas. Les liens sont forts et cela ne peut que m’aider pour la suite.

Yamamoto San, l’un des patrons de Honda, est venu me voir plusieurs fois. Je me suis également rendu chez eux, à Tokyo, où tous les ingénieurs m’ont salué et m’ont félicité pour mes performances.

Son avenir

Vous sentez-vous confiant vis-à-vis du projet Toro Rosso - Honda, et confiant quant à ce que votre expérience de 2017 vous permettra d’y apporter ?

P.G. : Oui, je crois clairement en ce projet. Ce sont des perfectionnistes qui, de plus, ont envie de prouver qu’ils sont capables de réussir. Il y a sans doute une question d’honneur pour eux, après une relation de trois ans assez compliquée avec McLaren. Aujourd’hui, ils veulent démontrer qu’ils peuvent retrouver leur lustre d’antan (lorsqu’ils ont raflé plusieurs titres en compagnie de McLaren, ndlr).

Ils ont beaucoup progressé ces six derniers mois, en comparaison des deux années précédentes. Bien sûr, il faut aussi être objectif : rattraper le retard pris sur les autres motoristes ne se fait pas du jour au lendemain. On verra où Toro Rosso et Honda en seront début 2018, mais cela prendra forcément du temps.

Honda a besoin de temps de développement. Ils investissent beaucoup d’argent. Personnellement, je ne suis pas ingénieur, je ne connais pas non plus les secrets de Mercedes. Honda doit beaucoup travailler afin de trouver la recette magique pour leur moteur. Ce que je peux faire de mon côté, c’est entretenir la meilleure relation possible afin d’optimiser notre package. Communiquer au mieux avec les ingénieurs et rester constructif, tout en tirant bien sûr le maximum de ce que l’on possédera.

Vous disputerez donc - cette année encore - les Grands Prix du Mexique, du Brésil et d’Abu Dhabi. Un signe forcément positif pour la suite de votre carrière ?

P.G. : Red Bull et Toro Rosso sont clairement satisfaits après ces deux premiers Grands Prix, donc pour l’instant tout se passe en effet très bien. Leur consigne est simple, à ce jour : donner le maximum, prendre de l’expérience et donc ne pas commettre d’erreur.

Brendon Hartley vous remplacera chez Toro Rosso à Austin. Le connaissez-vous bien ?

P.G. : Il est de la génération au-dessus de moi, je sais qu’il était pilote Red Bull à une époque et je n’entendais que du bien de lui durant ces années-là. J’ignore pourquoi il n’a pas reçu sa chance en F1 plus tôt, mais on ne gagne pas les 24 Heures du Mans par hasard... Et puis, il est néo-zélandais, il doit donc être super cool !

Est-ce compliqué pour vous de retourner ce week-end en Super Formula après avoir goûté à la F1 ?

P.G. : Il me faudra sans doute quelques tours durant les essais libres pour avoir de nouveau la voiture bien en main. Mais pour le reste, je suis concentré sur mon objectif. L’opportunité est excellente et nous allons donc aborder ce week-end comme les autres, de façon méthodique. J’espère que nous pourrons décrocher le titre !

Le fait d’avoir roulé à Suzuka en F1 récemment vous aidera-t-il pour cette course de Superformula, qui se déroulera sur le même tracé ?

P.G. : Oui, c’est toujours une bonne chose de pouvoir rouler sur une piste plus longtemps. Mais ce ne sera pas non plus le jour et la nuit en comparaison des autres pilotes. J’espère pouvoir atteindre la limite plus rapidement mais nous sommes tous à bloc à ce niveau-là et cela ne jouera donc pas énormément au final.

Si tout se déroule comme prévu, vous devriez disputer la saison 2018 de F1 avec Toro Rosso. Quelle importance auront eu les Grands Prix disputés cette année dans la discipline ?

P.G. : C’est surtout une question d’expérience. Cela me permettra de savoir exactement à quoi m’attendre, notamment vis-à-vis du travail à effectuer lors des séances d’essais libres afin de préparer au mieux la voiture. Je pourrai également mieux gérer le début des qualifications, et cette expérience me permet aussi de mieux appréhender la fenêtre d’utilisation des pneumatiques, qui est très étroite en Formule 1.

Un pilote a énormément de procédures à répéter durant un week-end et, plus on répète ces choses, plus cela devient automatique. C’est donc là aussi une bonne chose d’être déjà présent en cette fin de saison, tout comme pour la relation entre l’équipe et moi.

Son quotidien

Parlons quelques instants de la vie de tous les jours. Quel conducteur êtes-vous sur la route ?

P.G. : Ah, c’est compliqué, ce genre de question ! (rires) La réponse parfaite est sans doute : j’essaie d’être un conducteur calme !

Avec quel véhicule roulez-vous ?

P.G. : En ce moment, je bénéficie de voitures de location à chaque fois que je rentre. Pour le reste, je possédais une Renault jusqu’à il y a peu et je vais avoir une Honda très prochainement.

Lorsque l’on est pilote comme vous, on s’ennuie beaucoup sur route ouverte ?

P.G. : Énormément, surtout lorsqu’il y a des lignes droites de 3 km et qu’il n’y a personne sur la route ! Mais bon, nous avons évidemment besoin de notre permis, pour rejoindre les aéroports par exemple.

Combien de points reste-t-il sur le permis de Pierre Gasly ?

P.G. : Vous auriez dû m’interroger 3 mois plus tôt ! (rires) On peut changer la date de l’interview ? J’en avais 12, mais j’en ai perdu 2 il y a quelques jours, je suis à 8 là, en fait. Mais une fois, j’ai été sauvé parce qu’un excellent gendarme m’a reconnu ! On est même restés en contact.

Quelle est la voiture de vos rêves ?

P.G. : J’hésite... J’adore Aston Martin ! J’aime aussi beaucoup Lamborghini, même si ça plait davantage aux joueurs de foot, en général !

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