Dudot : L’histoire de l’épopée turbo chez Renault, de 1977 à 1986

De la théïère jaune à une prétendante au titre mondial

Par Franck Drui

23 juin 2013 - 10:09
Dudot : L'histoire de l'épopée

La première épopée du moteur turbo de Renault en F1 s’est étendue sur dix saisons mémorables, de 1977 à 1986. Mais l’héritage de cette époque a prospéré bien plus longtemps. L’expérience acquise avec le moteur V6 de 1,5 litre a contribué au développement de Renault Sport. A partir de 1992, l’équipe a cumulé dix titres de Champion du monde des Pilotes et onze titres Constructeurs. Une nouvelle ère s’ouvre aujourd’hui avec un nouveau – et très différent – Power Unit F1 turbo qui verra le jour en 2014.

Renault Sport est né en 1976. A cette époque, la Marque avait déjà pris la décision de développer une version F1 de son V6 utilisé en Sport-Prototypes. Depuis longtemps, le règlement autorisait l’adoption d’un moteur 1,5 litre turbocompressé, mais personne n’avait jamais tenté l’aventure pour rivaliser les 3 litres atmosphériques de huit ou douze cylindres. Les ingénieurs de Renault croyaient pourtant qu’un turbo pouvait être aligné en F1. Et qu’il avait surtout la capacité de s’imposer.

« Construire un moteur turbo fut une décision très importante », se souvient Bernard Dudot, à la tête du programme technique de l’époque. « Nous étions un groupe de jeunes ingénieurs à Viry Châtillon, tous très enthousiastes avec une vision audacieuse de l’avenir. Nous étions tellement sûrs de nous que nous avons pu convaincre le président de Renault, Bernard Hanon, que nous devions aller en F1. C’était une idée vraiment folle à l’époque. Heureusement, il nous a suivis. Il croyait en l’intérêt du mariage de la compétition et de la F1. »

Il restait à convaincre la direction de Renault que le turbo était la voie à suivre. Il fallait aussi prouver que Renault Sport était capable de développer une F1 de bout en bout. Cette solution avait été choisie en interne au détriment d’un partenariat avec une écurie existante.

« Nous avons commencé à tester deux types de moteur au banc », continue Dudot. « En fin de compte, c’était le turbo ou rien. Il n’y avait pas de plan B... Turbo ou pas de F1 ! Nous avons dû démontrer nos capacités. Les frais ont été payés par Elf. Ensemble, nous avons commencé cette aventure. A l’époque, aucun d’entre nous n’avait encore travaillé en F1. »

Le moteur F1 était développé en parallèle du programme d’Endurance. Durant la seconde moitié des années 70, Renault visait la victoire aux 24 Heures du Mans. C’était un énorme défi. Le département moteur a dû créer un moteur V6 qui pouvait être intégré efficacement dans une monoplace, tandis qu’une autre équipe d’ingénieurs travaillait sur le châssis.

Jean-Pierre Jabouille a fait ses premiers tours de roues avec le prototype F1 sur la piste d’essais Michelin à Clermont-Ferrand le 23 mars 1976. Le début d’une longue aventure alors que l’écurie préparait son arrivée dans la discipline...

« Nous avions besoin d’avoir suffisamment de puissance pour nous mesurer aux moteurs atmosphériques », se rappelle Dudot. « Avec le turbo, nous devions composer avec un temps de réponse de plusieurs secondes. On ne savait jamais à quoi s’attendre sur les différents types de piste. Le principal problème était l’assemblage du moteur et son intégration dans une petite voiture. Il était lourd et la répartition des masses n’était pas idéale. C’était l’un de nos problèmes majeurs lors du développement de la monoplace.

L’expérience des V6 turbo, qui prenaient beaucoup de place dans la voiture, a confirmé mon sentiment que l’intégration moteur-châssis était absolument essentielle. Tout a été mis en place pour que le moteur devienne un accessoire du châssis. C’était vrai en termes d’échappements, de collecteurs, de dissipation thermique, d’écoulement d’air, de radiateurs et de centre de gravité ».

En juillet 1977, la nouvelle équipe Renault fait sa première apparition en public avec l’engagement de Jean-Pierre Jabouille au Grand-Prix de Grande-Bretagne. Le pilote français abandonne... Il n’atteint pas non plus l’arrivée des trois autres Grands Prix auquel il participe, mais cette saison est mise à profit pour acquérir un maximum d’expérience.

Durant toute l’année 1978, l’apprentissage continue. La fiabilité reste un défi majeur. En octobre, Jabouille se classe au quatrième rang du Grand Prix des Etats-Unis et marque les premiers points de Renault et d’un moteur turbocompressé.

« Je dois avouer qu’il nous a fallu un certain temps pour atteindre un bon niveau de fiabilité, » admet Dudot. « Au début, nous avions besoin de mettre nos fournisseurs au diapason. Ce fut le cas pour les pistons, les soupapes et ainsi de suite. Nous avions besoin d’améliorer le contrôle de la qualité. Progressivement, nous avons atteint nos objectifs, et au fil des années, nous avons gagné en fiabilité et nous avons pu nous battre pour de meilleurs résultats.

Le problème, c’est que pour avoir bon niveau de puissance, nous avions besoin d’avoir un très bon niveau de boost, même avec le turbocompresseur. La température était un autre problème.

Malheureusement, nous ne souffrions pas seulement d’un manque d’expérience F1 en interne. Nos fournisseurs étaient dans le même cas. Nous n’avions aucune expérience des contraintes de la F1. Nous avons eu très souvent des problèmes avec les pistons, d’où le surnom de ‘théière fumante’ ! »

Cette quête de fiabilité s’est conjuguée à la recherche de la performance, et progressivement Renault atteint les deux cibles.

« L’un des principaux avantages que nous avions était la possibilité d’atteindre le même niveau de performance et de puissance que les moteurs atmosphériques... Puis d’aller plus loin. Cependant, pour ce faire, nous avions besoin d’améliorer la fiabilité. Chaque fois que nous gagnions en performances, nous perdions en fiabilité. Il fallait trouver le bon équilibre. »

Le passage à un bi-turbo au Grand-Prix de Monaco 1979 a été l’une des grandes étapes. L’équipe avait enfin percé le problème crucial du temps de réponse du turbo. Jabouille a marqué l’histoire en remportant la première victoire de la marque à domicile à Dijon, en partant de la pole position. Pendant ce temps, les ingénieurs continuaient les développements.

« Pour Zeltweg, nous avions fait de gros changements sur les radiateurs », se souvient Dudot. « Normalement, le compresseur doit comprimer l’air. Mais nous avions besoin de le refroidir avant de le faire entrer dans le moteur. À l’époque, nous n’avions qu’un intercooler à air. Mais il était difficile de gérer le bon niveau de température. Nous avons donc préféré l’eau à l’air. Nous avions alors deux étapes de refroidissement pour un résultat beaucoup plus efficace.

Quand nous avons réalisé que nous avions besoin d’avoir un très faible niveau de refroidissement pour les qualifications, nous avons commencé à utiliser de la glace. Mais ce n’était pas de la glace sèche, c’était littéralement de l’eau glacée. Nous l’avions récupérée grâce au pêcheur du coin. La voiture et tout le stand puaient le poisson tout le week-end ! »

Au début des années 80, Renault est devenu un rival redouté, non seulement en Grand Prix, mais aussi pour la conquête du titre de Champion du Monde. Une par une, les autres équipes ont suivi la voie du turbo, reconnaissant que Renault avait pris la bonne option. En 1983, la marque a commencé à fournir d’autres écuries via un partenariat avec Lotus. Avoir une deuxième équipe avec des châssis propres a contribué à accélérer le processus de développement.

« Chaque année, nous avions besoin d’un nouveau moteur », poursuit Dudot. « Tout était différent – le turbo, l’intercooler, le contrôle du boost, l’injection – et, dans une certaine mesure, très sophistiqué.

L’injection était purement mécanique et la quantité de carburant n’était pas contrôlée. Il fallait donc embarquer beaucoup d’essence. Nous sommes passés à l’injection électronique, une première chez Renault, en 1984. Durant cette période, nous avons appris à être des pionniers et à créer de nouvelles technologies. »

En 1985, Renault profitait d’un étalon avec la première victoire du tandem Ayrton Senna / Lotus Renault. Ce fut le premier succès de Renault en tant que fournisseur de moteurs. Au terme de cette saison, l’équipe officielle Renault a cessé ses activités. Mais la marque a continué à fournir trois écuries : Lotus, Ligier et Tyrrell. En 1986, l’ensemble du plateau utilisait des moteurs turbo avec des puissances allant au-delà des 1 000 chevaux. Une donnée que les ingénieurs de Renault n’imaginaient pas atteindre quelques années auparavant.

Toutefois, un nouveau défi se profilait. La FIA avait décidé de mettre fin à l’ère des moteurs turbo devenus trop puissants. Une nouvelle définition technique, avec des moteurs atmosphériques de 3,5 litres de cylindrée voyait le jour. Les turbos furent progressivement bridés avant d’être interdits en 1989.

Les compétences et les connaissances que les ingénieurs de Renault avaient développées durant ces dix années allaient poser les bases de la future réussite de Renault. En 1989, Renault faisait son retour en tant que motoriste de Williams avec son premier bloc atmosphérique. La boucle est désormais bouclée avec le retour du turbo en F1 dès 2014, même si cette technologie est intégrée à un groupe motopropulseur plus complexe.

C’est un défi que Dudot connait bien : « Le nouveau turbo est très impressionnant. Pour un ingénieur, c’est une opportunité incroyable. C’est très compliqué, probablement le défi le plus compliqué jamais proposé en F1. Cela signifie que nous allons beaucoup apprendre au sujet de la consommation de voitures de série. Car les objectifs sont particulièrement ambitieux. »

L’AVENTURE, ANNÉE APRÈS ANNÉE

1977

Première apparition de la RS01 pilotée par Jean-Pierre Jabouille lors du Grand Prix de Grande-Bretagne. Départ de la 21e position avant un abandon. Participations aux Grand Prix des Pays-Bas, d’Italie et des Etats-Unis avec une dixième place pour meilleure qualification.

1978

Jusqu’au mois de juin, Renault se concentre sur les 24 Heures du Mans où Didier Pironi et Jean-Pierre Jaussaud s’imposent. Une fois cet objectif atteint, la F1 devient la priorité. L’équipe manque les deux premiers Grand Prix de la saison mais Jabouille participe au reste des épreuves avec la RS01. Il se qualifie au troisième rang en Autriche et en Italie et marque les premiers points de la marque en terminant quatrième aux Etats-Unis.

1979

L’écurie aligne une seconde monoplace pour René Arnoux. Jabouille signe la première pole position de Renault en Afrique du Sud avec la RS01 avant de découvrir la nouvelle RS10 à effet de sol. En juillet, Jabouille remporte une première victoire en partant de la pole position à Dijon. Il signe ensuite de nouvelles pole positions à Hockenheim et Monza. Dans le même temps, Arnoux est en pole à deux reprises et monte trois fois sur le podium.

1980

L’équipe joue régulièrement aux avant-postes. Arnoux remporte ses premiers Grands Prix au Brésil puis en Afrique du Sud et signe trois pole positions. Jabouille triomphe en Autriche et s’adjuge deux pole positions. Renault termine à la quatrième place du Championnat du Monde.

1981

Alain Prost remplace Jabouille. Le jeune Français est immédiatement dans le coup. Il gagne en France, en Italie et aux Pays-Bas et signe deux pole positions avec la RE30. Malgré quatre pole positions, Arnoux ne parvient pas à concrétiser en course. Renault termine troisième du Championnat du Monde.

1982

Prost et Arnoux continuent de faire progresser l’écurie. Chaque pilote gagne deux Grands Prix avec la RE30B et se partagent équitablement dix pole positions. Renault termine à nouveau au troisième rang du Championnat du Monde.

1983

Arnoux est remplacé par Eddie Cheever. Prost réalise une grande saison et se bat pour le titre avec trois pole positions et quatre victoires au volant de la RE40. Il reste dans la course au titre jusqu’au dernier Grand Prix de la saison en Afrique du Sud tandis que Renault termine à la deuxième place du classement des constructeurs. Renault signe un contrat avec Lotus pour fournir ses moteurs aux monoplaces de Nigel Mansell et Elio de Angelis. Le Britannique signe le meilleur résultat de ce nouveau partenariat en terminant troisième du Grand Prix d’Europe à Brands Hatch, alors que l’Italien s’était élancé depuis la pole position.

1984

Tout change chez Renault avec l’arrivée de Patrick Tambay et Derek Warwick sur les RE50. Les deux pilotes montent sur des podiums et réalisent un meilleur tour en course chacun. Tambay signe la pole position en France. Sans victoire, Renault termine à la cinquième place du Championnat du Monde. De Angelis part en pole position au Brésil avec une Lotus, comme Mansell à Dallas. Ligier s’ajoute aux écuries partenaires de Renault.

1985

Renault vit une année difficile avec son écurie officielle, même si Tambay monte à deux reprises sur le podium. Ayrton Senna, avec Lotus, remporte deux victoires au Portugal et en Belgique et s’empare de sept pole positions. De Angelis s’impose aussi avec Lotus à Imola et signe la pole position au Canada. Jacques Laffite fait le meilleur tour en course avec Ligier à Brands Hatch et termine sur le podium à trois reprises. Après Lotus et Ligier, Tyrell devient le troisième partenaire de Renault.

1986

Avec le retrait de l’équipe officielle, Lotus devient le porte-drapeau de Renault. Senna s’impose à Jerez et Detroit et signe huit pole positions. Laffite monte à deux reprises sur le podium avec Ligier et Martin Brundle termine quatrième pour Tyrrell en Australie, lors de la dernière apparition du moteur turbo Renault.

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