Interview de Nicolas Lapierre

"Personne ne nous attendait à un tel niveau"

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26 novembre 2012 - 08:26
Interview de Nicolas Lapierre

Véritable fer de lance du Team ORECA Matmut ces dernières saisons avec notamment une victoire aux 12 Heures de Sebring 2011, Nicolas Lapierre a rejoint cette année les rangs du Toyota Racing avec le succès que l’on connaît en Championnat du Monde d’Endurance : six courses, trois victoires ! Difficile de faire mieux pour les débuts en compétition de la TS030 HYBRID face à l’ogre Audi. Au fil des saisons, Nico Lapierre s’est affirmé comme l’un des meilleurs pilotes d’Endurance de la planète. Sa passe d’armes avec l’Audi de son pote Benoît Tréluyer restera comme l’une des images fortes des dernières 24 Heures du Mans. Le natif de Thonon-les-Bains a semé le trouble dans le camp adverse en compagnie de Alex Wurz et Kazuki Nakajima. De quoi être pleinement satisfait de la campagne 2012 et de voir 2013 sous de bons auspices...

Laurent Mercier : Nico, quel bilan tires-tu de cette saison ?

Nicolas Lapierre : « Elle est très positive même si le début a été difficile. On savait que la performance était au rendez-vous, mais pas forcément la fiabilité. De plus, nous avons connu une sortie de piste en essais. Le programme a pris du retard si bien qu’il a fallu différer les débuts en compétition et commencer carrément par les 24 Heures du Mans. Nous avons abandonné plus tôt que prévu et l’autre auto a eu l’accident que l’on sait. Au Mans, l’équipe était dans le rush. La préparation s’est terminée peu de temps avant et faire rouler pour la première fois une auto, qui plus est nouvelle, aux 24 Heures du Mans n’a pas été chose facile. »

La seconde partie de saison a été nettement plus à l’avantage du Toyota Racing...

« Je scinderai notre année en deux. Il y a eu un déclic sur la seconde moitié de saison. Décrocher trois victoires devant Audi n’est pas négligeable. La performance était là, mais aussi la fiabilité. Personne ne nous attendait à un tel niveau. Les 24 Heures du Mans nous ont permis d’acquérir de l’expérience en vue de 2013. A l’issue des 24 Heures, nous avons bien debriefer et pris part à des essais. On était par la suite nettement mieux en fiabilité. Le kit aéro a toujours besoin de mise au point et la consommation a posé quelque problèmes par rapport à la concurrence. L’équipe a réglé le problème après Silverstone. Les progrès ont été nets sur ce sujet. Le refuelling a aussi été amélioré car nous perdions environ 6 secondes à Silverstone par rapport à Audi. »

A partir de Silvserstone, la TS030 HYBRID a montré qu’elle pouvait faire jeu égal avec les Audi...

« Sao Paulo a été une délivrance pour l’équipe et une belle satisfaction pour tout le travail accompli. Cette première victoire ne s’oubliera pas de si tôt. Le tracé de Bahrain correspondait bien à l’auto malgré des problèmes électriques. Nous avons perdu sept minutes puis il y a le contact qui nous a relégué hors du podium. Ce sera ma déception personnelle de l’année. C’est la première fois depuis mes débuts en Endurance que ce genre de contact m’arrive. Sans cela, je pense que nous pouvions terminer sur le podium. »

La pression est encore montée d’un rang à Fuji ?

« Oui car tout le monde attendait le Toyota Racing. Depuis le début de saison, on entendait parler de cette course très importante pour Toyota où il y a eu beaucoup d’opérations. L’avenir du programme aurait même pu dépendre de cette course. Il y a eu le succès sportif, mais aussi un public nombreux et passionné. Kaz (Nakajima) a fait une superbe course. La course avec Audi a été très serrée. A Shanghai, tout le monde a fait un sans-faute. L’équipe a maintenant une maturité exemplaire. A Shanghai, l’écart avec Audi était tout de même important surtout qu’ils ont tout donné. »

Es-tu surpris du potentiel de la Toyota dès sa première année ?

« Nous savions dès les premiers essais au Paul Ricard qu’elle serait compétitive. On savait où on en était. Être bien c’est une chose, mais de là à remporter trois courses, c’est quelque chose que nous n’avions pas imaginé, surtout à une auto contre deux. »

La combinaison Japon-Allemagne-France a parfaitement fonctionné ?

« C’est sûr que c’est un vrai melting-pot. La partie française est assurée par ORECA et son savoir-faire. Le Japon amène son expérience du système hybride et TMG la partie conception. Les cultures sont différentes et il a fallu du temps pour que tout ce petit monde cohabite et trouve ses marques. ORECA a apporté son expérience sur le plan stratégique et l’exploitation. TMG maîtrise parfaitement le côté aéro et la partie conceptuelle du châssis. Les Japonais sont très forts sur le domaine de l’hybridation. Chacun a donc apporté son point fort et le cocktail est explosif. »

Tu as aussi fait partie du développement de l’auto. Une nouvelle expérience enrichissante ?

« En signant chez Toyota, je ne savais pas trop à quoi m’attendre car le programme n’était pas totalement défini. J’ai fait partie du développement en compagnie d’Alex (Wurz) et c’est une grande fierté pour moi. Sur le papier, je ne suis pas celui qui a le plus d’expérience. Quant à Kazuki, il débutait dans la discipline avec beaucoup de pression. Il a commis une petite erreur au Mans dans des conditions extrêmes. A Silverstone, il n’a pas commis la moindre faute et à Fuji il a roulé quasiment la moitié de la course en décrochant la pole. Alex, je le connaissais un peu du temps de Peugeot. Notre relation est montée en puissance au fil de la saison et il y a une belle complicité entre nous. C’est quelqu’un de très ouvert. Le mix entre nous trois est très bon. C’est de bonne augure pour 2013. »

Ta passe d’armes avec l’Audi de Ben (Tréluyer) aux 24 Heures du Mans restera dans les annales. Un grand souvenir ?

« On m’en parle encore très souvent et je vois bien qu’elle a marqué les esprits. Cela reste un grand moment de ma saison. J’étais dans mon cinquième relais dans la Toyota qui marchait de mieux en mieux. Il a fallu remonter un handicap de 40 secondes et je suis revenu sur Ben. On a pu avoir cette lutte parce que c’était lui. Je savais que ça allait bien se passer car c’est quelqu’un pour qui j’ai beaucoup de respect et d’amitié. C’était important de prendre la tête et de mener ces 24 Heures du Mans. Je savais qu’il ne tenterait pas n’importe quoi. »

Selon toi, les zones de freinage mises en place sur les différents circuits pour récupérer de l’énergie sont une bonne idée ?

« Je pense que nous avons le système hybride le plus efficace. Ces zones compliquent un peu les choses. S’il n’y avait pas de zones, cela ne changerait pas grand-chose. Ce serait plus simple pour le grand public. Les batteries peuvent stocker 500 kj donc on ne pourrait pas en emmagasiner plus. »

Le pilotage d’une auto hybride est particulier ?

« Il a fallu mettre le système au point et maîtriser la puissance. L’équipe a travaillé pour savoir comment équilibrer le tout. Il faut que cette énergie récupérée soit restituée de manière progressive sans détruire les pneus arrière. On sent bien le coup de boost à l’accélération et il n’y a aucune sensation particulière au freinage. Le système est très appréciable dans le trafic pour compenser le couple du diesel dans les petites lignes droites. C’est un avantage pour dépasser. »

Quel est ton regard sur cette première année de ce Championnat du Monde d’Endurance ?

« C’était une bonne première saison : l’organisation, les circuits, la direction de course. C’est vraiment digne d’un label Championnat du Monde. Bien sûr, on voudrait plus de médiatisation et un plateau encore plus fourni, notamment en LMP1. Il faut plus de médias et c’est essentiel pour le championnat d’avoir la télévision. »

Le calendrier 2013 te satisfait ?

« C’est pour moi une déception que Sebring soit remplacé par Austin. Les 12 Heures de Sebring, c’est la deuxième plus belle course après Le Mans et en plus elle dure 12 heures. Austin n’a aucune histoire en Endurance. Cela ne va pas dans le sens d’augmenter la popularité du championnat. Le premier virage semble compliqué lorsqu’il y a du trafic, mais ce sera la même chose pour tout le monde. La piste est moderne et aseptisée. Le reste du calendrier a du sens même si c’est risqué d’aller à Silverstone en avril. En revanche, c’est une bonne chose que Bahrain ait été repoussé. »

Voir le Toyota Racing aux 12 Heures de Sebring est plausible ?

« Franchement je ne pense pas. C’est risqué d’y aller dans une course hors championnat. Il faut immobiliser le matériel et les hommes assez longtemps. Pendant ce temps, on ne fait pas d’essais. En revanche, cela a un avantage en termes de fiabilité. Ce serait une course en Europe, pourquoi pas. C’est trop compliqué et aussi trop proche de la première manche du Championnat du Monde d’Endurance. »

Justement, quel est le programme 2013 du Toyota Racing ?

« Toyota souhaite la continuité. Les équipages devraient être les mêmes sachant qu’il y a une incertitude sur Seb (Buemi) du fait de ses contacts pour rouler en F1.Une deuxième auto sur l’intégralité du championnat n’est pas confirmée à 100% à ce jour. Il faut aussi préparer 2014 selon les souhaits de Toyota et voir s’il faut développer une nouvelle auto. Il faut regarder où dépenser l’énergie des hommes. Avoir deux autos aux 24 Heures du Mans serait dans la continuité de cette année. Il ne faut pas casser la bonne dynamique. L’organisation devrait être la même avec ORECA à nouveau intégré au sein de l’équipe. »

On pourrait te voir sur un autre programme ?

« Ce n’est pas à l’ordre du jour. En signant avec Toyota, j’ai souhaité m’y consacrer à fond. Il y a beaucoup de séance sur le simulateur, d’essais et il ne faut pas se disperser. »

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