Un génie despotique ? Colin Chapman imposait ‘des nuits blanches’ chez Lotus F1
‘J’ai commencé le lundi matin et j’ai fini le mercredi matin’
Colin Chapman reste encore l’un des plus grands dirigeants d’équipe de l’histoire en F1.
Non seulement Chapman dirigeait (d’une main de fer, on le verra) l’équipe Lotus, notamment durant l’âge d’or de Jim Clark ; mais encore fut-il lui-même à l’origine de plusieurs fameuses innovations comme la Lotus 78, première F1 à effet de sol.
Herbie Blash, aujourd’hui conseiller principal permanent de la direction de course à la FIA, a commencé sa longue et riche carrière en F1 chez Lotus, comme mécanicien. Blash eut donc le privilège de côtoyer la légende Chapman… mais était-ce d’ailleurs bien un privilège ?
Pour le podcast "Beyond the Grid", le Britannique de 74 ans a confié ses souvenirs sur le talent, mais aussi le management très dur, de Chapman (qui n’était pas connu pour son tendre caractère – il s’était même brouillé avec Rindt sur la fin).
« Tout d’abord, il était un génie » confie Blash sur Chapman.
Avant de quelque peu relativiser : Chapman était un génie, mais n’était pas un génie solitaire.
« Deuxièmement, il a toujours été bien entouré. À l’époque où j’étais chez Lotus, Maurice Philippe était là et entre Maurice Philippe et Colin, c’était l’une de ces équipes de rêve. »
À la limite du harcèlement au travail ?
Le succès de Lotus ne tombait pas cependant du ciel : et Blash de se livrer ainsi sur l’éthique de travail, immensément exigeante, de Chapman.
Un homme à burn-out potentiel, à entendre Blash !
« Mais Colin, évidemment, est bien connu pour le fait qu’il voulait que tout soit aussi rapide que possible sur la voiture. Il travaillait jusque tard dans la nuit, toujours en train de se demander comment faire pour aller plus vite. Que pouvons-nous faire ici ? Qu’est-ce qu’on peut faire ici ? »
« Lorsque j’étais chez Lotus, en l’espace de deux ans, Chapman s’est fortement impliqué dans la Lotus 49B, nous avons eu les quatre roues motrices, la Lotus 72, et tout cela en l’espace de deux ans. Colin a participé à tous ces projets. Et tout a été fait dans ce seul atelier. »
« Je me souviens que lorsque j’ai quitté Rob Walker [équipe privée, pour aller chez Lotus], Tony Cleverley, le chef mécanicien, m’a dit : "Vous allez aimer les nuits blanches". »
« Mon premier jour, j’ai commencé le lundi matin et je ne suis rentré dans mon appartement que le mercredi matin. Bienvenue chez Lotus ! »
« Avec Colin, vous étiez toujours en train de modifier la voiture. Normalement, nous étions les derniers à arriver sur le circuit parce que nous venions de travailler toute la nuit à l’usine. »
« On ne travaillait jamais sur le circuit. On chargeait les voitures, on les emmenait dans un garage, puis on travaillait dessus loin de la piste. Il n’y avait pas de stands dans lesquels on pouvait travailler. »
C’est ainsi que pour le Grand Prix de Monaco, l’équipe de Blash espérait pouvoir faire un détour, une respiration, dans un restaurant de Nice. Bien entendu, cela n’était pas dans les plans de Chapman.
« Je n’oublierai jamais qu’à Monte-Carlo, après l’interdiction des ailerons, nous travaillions tout près de Nice. Nous allions voir si nous pouvions trouver quelque chose à manger. Colin Chapman est arrivé directement et a dit : "D’accord, d’accord, tout d’abord, nous allons avant fabriquer quelques pièces ou travailler sur le moteur". Et il a commencé à dessiner des pièces. Nous ne nous sommes jamais approchés d’un restaurant et nous avons travaillé toute la nuit. »
Ironie du sort d’ailleurs, ce fut Bernie Ecclestone (alors manager de Jochen Rindt, pilote Lotus), qui n’était pourtant pas le plus tendre des managers, qui sauva un jour une soirée de l’équipe éreintée de Blash.
« Puis, littéralement, [après cette nuit de travail], c’était directement le circuit le lendemain matin. C’est l’un des premiers jours où j’ai rencontré Bernie et où il nous a vus travailler dans ce garage. Il a emmené Colin Chapman dîner. Quel soulagement ! Bernie savait ce qu’il faisait, il aidait les mécaniciens à avoir une vie un peu meilleure, mais c’était du travail non-stop. »