Technique F1 : Peinture Flo-Vis et sondes Pitot pour tester l’aéro
Des procédés très communs lors des essais hivernaux
Avec Nicolas D.Z
Lorsqu’une saison démarre, ou quand une équipe amène une évolution majeure sur sa monoplace, on peut voir différents artifices sur les monoplaces, que les équipes utilisent pour mesurer et vérifier la performance aérodynamique et la corrélation avec la théorie.
Lors des essais hivernaux de Bahreïn, qui débutent dès demain matin à 8h, on devrait de nouveau voir ces différents moyens de mesure fleurir sur les dix monoplaces en piste. Il existe principalement deux méthodes que nous allons étudier ici.
Une écrasante majorité de la recherche aérodynamique est effectuée par le bureau d’études et par les équipes d’essais à l’usine, que ça soit par CFD (analyse aéro sur ordinateur) ou dans la soufflerie.
Ces deux méthodes, bien que très utiles et assez fiables, ne sont que des outils et ne sont pas parfaitement représentatives de la réalité. La CFD utilise des formulations théoriques et la soufflerie n’est qu’à l’échelle 60%.
Dans les deux cas, cela se déroule dans un environnement limité et contrôlé. Cela présente des avantages mais aussi l’inconvénient de pas avoir la certitude que la voiture réagira en piste comme elle le fait dans la soufflerie. C’est ainsi que des outils de corrélation sont utilisés en piste.
Qu’est-ce que la peinture Flo-Vis ?
Le Flo-Vis est un nom dérivé de flow visualization, soit la visualisation des flux. Il s’agit d’un colorant mélangé à de la paraffine, cette dernière étant juste un outil pour que le colorant se répande sur la voiture pendant les premières minutes des essais.
Après cela, la paraffine sèche et le colorant reste en place pour permettre d’analyser la manière dont la paraffine a bougé sur la carrosserie lors du retour aux stands.
C’est pour ça que l’on peut voir plusieurs couleurs, et que certains colorants sont fluorescents. En effet, ce type de peinture est très efficace pour identifier davantage de détails sous la lumière spécifique d’un garage.
Comment fonctionne la peinture Flo-Vis ?
Le but du Flo-Vis n’est pas d’avoir des données précises et quantifiables, comme une analyse CFD ou une sonde Pitot le permet. Avec le Flo-Vis, les équipes vont analyser les formes du colorant sur la carrosserie. Le principal objectif est de voir comment s’écoule l’air, et en particulier s’il s’écoule comme l’équipe l’avait prévu.
Une question se pose : est-ce que le flux est d’air est propre et laminaire, ce qui va former des lignes droites et propres sur les surfaces, ou au contraire, est-ce que c’est un flux turbulent qui va créer des lignes saccadées ?
Le flux d’air laminaire signifie que la voiture génère un maximum d’appui. Quand il y a un flux d’air turbulent en revanche, cela veut très souvent dire qu’un élément est venu interagir et nuire à la création d’appui. Le plus souvent, il s’agit d’une surface ou d’un autre flux d’air.
Il est aussi important de voir où le Flo-Vis est ’attaché’ à la surface et où il se ’détache’ de la surface. Cette constatation est en effet représentative du flux d’air et permet donc de confirmer que la surface est exploitée comme espéré.
Les limitations de la peinture Flo-Vis
Comme la soufflerie n’est qu’à l’échelle 60%, il n’est pas rare que certains détails ne soient pas exactement représentés comme sur la voiture réelle, en particulier les changements de courbure et les formes complexes.
Attention toutefois, le Flo-Vis présente aussi certaines limites. En effet, le détachement du flux se fait souvent à haute vitesse, et si le colorant s’est déjà rependu sur la surface à faible vitesse, l’équipe ne peut pas visualiser l’effet à haute vitesse.
Les équipes peuvent aussi utiliser plusieurs couleurs pour visualiser les intégrations des flux entres différentes zones. Le meilleur exemple étant Williams, qui avait recouvert intégralement sa monoplace de plusieurs couleurs lors des premiers tests du règlement aéro simplifié de 2019, en Hongrie en 2018.
Qu’est-ce qu’une sonde Pitot, ou tube de Pitot ?
Si le Flo-Vis est utile pour son aspect très visuel, les équipes auront plus d’informations en utilisant des sondes Pitot. Ces dernières sont les petits capteurs à l’extrémité des grillages que l’on voit fleurir sur les F1 pendant les essais hivernaux. Il s’agit des mêmes tubes que l’on peut apercevoir sur le nez d’un avion.
Elles permettent de mesurer la vitesse de l’air au niveau de chaque sonde. On pourrait se demander les raisons qui poussent à mesurer la vitesse de l’air, alors que l’on connait déjà la vitesse de déplacement de la voiture.
En réalité, les conditions météorologiques comme le vent peuvent modifier la vitesse de l’air, qui peut être inférieure ou supérieure à la vitesse de déplacement. Mais surtout, les formes complexes de la voiture, et en particulier des ailerons, peuvent impacter la vitesse de l’air.
En effet, l’appui crée une différence de vitesse entre l’air d’un coté d’une surface et de l’autre coté de celle-ci. Pour créer de l’appui, il est donc important de contrôler et de connaitre les vitesses de l’air. De plus, les pneus sont en rotation et déplacent de l’air, créant d’autres flux.
Les grillages avec les sondes ne sont pas utilisées en Grand Prix parce que le poids est non négligeable et parce que les grilles et les sondes elles-mêmes perturbent le flux aéro et donc la voiture serait moins performante.
Néanmoins, les équipes les apportent parfois pour les EL1, afin de vérifier le fonctionnement d’une évolution. On devrait le voir souvent cette année avec la courbe de développement très élevée que promettent les teams.
Comment fonctionne une sonde Pitot ?
La sonde Pitot comporte au moins deux trous, le premier permettant de faire rentrer l’air venant face à la voiture, ce qu’on appelle pression dynamique. Le second est perpendiculaire à la direction de l’air pour mesurer la pression statique, c’est à à dire la pression de l’air qui ne bouge pas.
Comme la pression et la vitesse sont liées, cela permet de calculer la différence de pression, et donc la différence de vitesse. Les équipes utilisent ces sondes pour mesurer les vitesses à des endroits qui sont représentatifs des résultats en CFD.
En effet, les analyses en CFD sont faites à des points donnés et à des vitesses définies. Il est donc important de placer les sondes au même endroit que lors du travail en CFD, et de rouler à une vitesse constante, la même que lors des analyses théoriques.
Puisque le flux d’air peut changer en fonction de la vitesse, il n’est pas rare qu’une même analyse soit faite à plusieurs vitesses, et donc que le pilote doive utiliser plusieurs lignes droites à différentes vitesses.
Cependant, celles-ci seront toujours constantes, dans le but de donner toutes les données aux aérodynamiciens. Le plus souvent, les sondes sont parallèles au sens de déplacement de la voiture, puisque cela permet de meilleures analyses.
Ferrari innove dans l’utilisation des tubes de Pitot
Mais Ferrari a innové pendant les essais hivernaux de Barcelone, avec des sondes qui semblaient orientées dans le sens du flux derrière le pneu arrière. La Scuderia a dû pour cela utiliser une grille en titane conçue en impression 3D, avec des formes très courbées et complexes.
Le plus souvent, seules les équipes savent quel est le but d’un test, mais il semblait évident dans ce cas que l’objectif était d’analyser le flux d’air derrière le pneu. Cela permettait de vérifier si le modèle CFD du pneu était représentatif de la réalité.
Si ça n’était pas le cas, les ingénieurs du département CFD auront été contraints de retravailler le modèle pour qu’il devienne représentatif. Cette zone est un enjeu majeur cette année avec l’introduction des pneus 18 pouces.