Sécurité en F1 : La prise de conscience des années 60 et 70
Après l’insouciance des années 50
Autrefois considérée comme une quête allant à l’encontre de l’ADN du sport automobile, la sécurité est devenue un cheval de bataille des organisateurs de la F1. Dans cet article en trois parties, nous revenons sur son histoire, ses obstacles et sa réussite.
Bien que le risque zéro ne soit pas une réalité, les pilotes prennent moins de risques de graves blessures qu’avant, et il est parfois difficile de faire passer l’idée, dans l’inconscient collectif, qu’ils n’en sont pas moins des athlètes hors normes, ni même des gladiateurs des temps modernes.
Pourtant, la sécurité a rapidement été une inquiétude dans l’Histoire de la F1, et elle a été au centre de nombreuses évolutions, techniques, réglementaires ou dans les mœurs, pendant plus de 60 ans sur les 72 ans de l’Histoire de la discipline.
Cependant, le manque de technologie l’a fait progresser à un faible rythme jusque dans les années 90 et 2000, où les plus grandes avancées ont été effectuées pour faire en sorte que la mort de pilotes puisse être évitée au maximum.
Des premières années insouciantes
Les balbutiements en matière de protection des pilotes ne sont pas arrivés lors de la création du Championnat du monde de Formule 1, en 1950. La première décennie laissait une grande liberté aux constructeurs d’engager les voitures qu’ils voulaient, et ce malgré les 12 décès que la discipline a compté pendant les années 50.
Parmi ceux-ci, huit ont eu lieu lors des 500 Miles d’Indianapolis, qui comptait alors pour le championnat. Mais en 1955, la tragédie qui a frappé les 24 Heures du Mans en causant plus de 80 décès dans le public a prouvé que des évolutions devaient être apportées, même s’il fallut attendre bien plus longtemps pour voir une vraie prise de conscience sur les dangers inhérents aux circuits eux-mêmes.
C’est en 1961 que la première vague de mesures fut adoptée, avec notamment l’obligation pour les pilotes de porter un casque et une combinaison. S’il semble aujourd’hui impensable qu’il ait fallu 11 ans d’existence du championnat du monde de F1 pour en arriver à une décision si évidente, cela montre les progrès qui étaient alors à faire dans l’inconscient collectif face au danger.
La même année, la FIA imposa des inspections de sécurité, et adopta un système de drapeaux pour prévenir les pilotes des problèmes en piste. Par ailleurs, les réservoirs d’essence furent renforcés, et le système de ceinture de sécurité fut lui aussi rendu plus sûr.
Plusieurs évolutions techniques vinrent s’ajouter sur les monoplaces avec une réduction de la cylindrée des moteurs, qui devaient être obligatoirement atmosphériques, tandis que le carburant futt normalisé et que les circuits de freins furent doublés.
Des efforts qui n’empêchaient pas les drames
Pourtant, la F1 n’en restait pas moins très dangereuse, comme le prouva l’accident de Wolfgang Von Trips à Monza, en septembre 1961. Au total, 16 personnes furent tuées ce jour-là, et l’année suivante, deux décès furent à déplorer, dont l’un des plus grands espoirs du sport, Ricardo Rodríguez.
En 1966, l’accident de John Taylor, décédé sur le Nürburgring après l’embrasement de sa Brabham, imposa à la F1 de revoir ses standards, notamment en matière d’incendies, et s’ensuivirent de nombreuses modifications lors de la deuxième partie de la décennie.
La fin des années 60 et le début des années 70 présentent un bilan humain catastrophique. En un peu plus de quatre ans, la F1 perdit en effet sept pilotes dont Lorenzo Bandini, Jo Schlesser, Piers Courage, Jochen Rindt et Jo Siffert.
C’est durant cette période que les monoplaces furent équipées de la marche arrière, de l’arceau de sécurité, de cockpits aux dimensions imposées par la FIA pour faciliter les interventions, et surtout d’un système d’extincteurs censé prévenir des accidents comme celui de Taylor.
Pourtant, cela n’empêcha pas les décès de Schlesser et Courage dans des circonstances similaires, posant la question des réservoirs eux-mêmes et des châssis en magnésium qui sont réputés pour faciliter la propagation du feu. Entre 1970 et 1972, le châssis fut renforcé, le réservoir devint souple et une mousse de protection y fut ajoutée pour éviter des ruptures et l’embrasement des monoplaces.
Jackie Stewart, fer de lance de la sécurité
Outre cette série noire de décès à la fin des années 60, la F1 a bien failli perdre un autre de ses représentants les plus iconiques, Jackie Stewart, lors d’un gros accident subi à Spa-Francorchamps en 1966.
Après avoir percuté un poteau téléphonique et terminé sa course dans la propriété d’un fermier aux alentours du circuit, l’Écossais volant se retrouva bloqué par la colonne de direction de sa monoplace, et littéralement baigné dans le carburant de sa voiture, qui se vidait dans l’étroit cockpit.
Mais cet accident était une représentation bien plus profonde des dysfonctionnements de la F1 : aucun médecin n’était présent sur le site, où n’était installée aucune infrastructure médicale. Secouru par Graham Hill et Bob Bondurant, Stewart fut ramené à l’arrière d’un pick-up dans ce qui était le centre médical du circuit.
Disposé sur un brancard à même le sol au milieu de mégots de cigarettes et de détritus en tous genres, il fut récupéré par une ambulance qui l’emmena à l’hôpital de Liège… non sans se perdre entre temps.
Parler de sécurité n’était pas bien vu
Il se lança alors dans une croisade pour la sécurité, accompagné notamment du patron de BRM, Louis Stanley, avec comme priorité l’aménagement des circuits et la présence de commissaires et de personnel médical pour la prise en charge des pilotes blessés.
"Si je dois avoir un héritage dans ce sport, j’espère que ce sera dans le domaine de la sécurité, car quand je suis arrivé en Grand Prix, des soi-disant précautions étaient prises, et les mesures de sécurité étaient minables", a-t-il déclaré bien plus tard.
"Nous courions sur des circuits où il n’y avait aucune barrière devant les stands, et le carburant était disposé dans des bidons à même le sol. Une voiture pouvait se crasher dans les stands à tout moment, c’était ridicule", avait-il aussi rappelé.
C’est ce qui lui a valu une mauvaise image à l’époque, et il savait avoir contrarié l’opinion publique en réclamant de la sécurité. "J’aurais été plus populaire si j’avais dit ce que les gens voulaient entendre. Je serais mort, mais j’aurais été plus populaire", avait dit Stewart, non sans ironie, à Speedhunters. Mais c’est aussi grâce à sa prise de position radicale, et aux boycotts qu’il a provoqués, que l’Ecossais a réussi à faire évoluer les standards, notamment au niveau des circuits.
La sécurité ne dépendait pas que des monoplaces
C’est en 1970 qu’une première série d’aménagements de sécurité passive furent effectués pour éviter que le bilan des accidents ne soit aggravé par les structures et infrastructures. L’une des principales, qui était aussi une bataille pour Stewart, fut la séparation de la piste et des garages par le fameux mur des stands, jusque-là inexistant.
Des doubles glissières de sécurité furent adoptées, une bande d’herbe de trois mètres fut ajoutée en bord de piste, et des inspections furent rendues obligatoires pour s’assurer que les pistes étaient conformes aux nouvelles directives concernant leur largeur et les propriétés de leur surface.
En 1972 et 1973, les bottes de paille furent déconseillées et des obligations arrivèrent au sujet des grillages pour protéger les spectateurs. Les dimensions de la grille de départ furent également modifiées, et en 1974, des bacs à sable furent ajoutés aux grilles pour définir l’extérieur de la piste. En 1975, la FIA obligea l’installation de routes dans l’enceinte des circuits pour que les secours puissent se déplacer plus rapidement.
C’est en 1979 que les tracés reçurent l’obligation de posséder des systèmes de ventilation pour pouvoir assister la respiration des pilotes en cas d’accident. Mais cette décennie passée à renforcer la sécurité des circuits a vu naître de nombreuses autres améliorations aux voitures et à l’équipement des pilotes, qui n’ont pas été sans lien avec la diminution de la mortalité en F1.
Améliorer la sécurité active en parallèle
Comme dit précédemment, un travail important a été fait au niveau du réservoir d’essence pour éviter les embrasements, et ce perfectionnement s’est poursuivi sur les monoplaces avec l’arrivée d’un dispositif de coupe-circuit, des harnais à six points, d’un feu rouge à l’arrière des monoplaces, et d’une poignée extérieure pour l’extincteur.
L’année suivante, le réservoir fut même entouré d’une structure déformante, tandis que les suspensions ne devaient plus être chromées. En 1976, un an après l’arrivée des combinaisons ignifugées, des règles de sécurité furent élaborées pour la conception des pédales et du tableau de bord des voitures.
En 1978, après l’interdiction de la Brabham BT46B et de sa turbine, des nouvelles contraintes furent appliquées pour renforcer l’arceau et la cloison séparant le pilote du moteur. Le décès de Ronnie Peterson poussa la FIA à écarter un peu plus les emplacements sur la grille de départ, qui furent éloignés de 14 mètres en longueur.
C’est seulement en 1979 que les rétroviseurs devinrent obligatoires sur les F1, tandis que l’utilisation des extincteurs fut davantage encadrée. Mais outre les progrès sur les voitures et les circuits, c’est aussi la formation des membres des unités de secours et du personnel présent lors des Grands Prix qui permit de maîtriser de mieux en mieux les problèmes survenant lors des accidents.
Un nombre de morts qui ne diminuait pas
Les commissaires reçurent des consignes et des entraînements spécifiques au fil des années 70, ainsi que du matériel avec l’arrivée de véritables infrastructures permettant de réanimer les pilotes. Et c’est bien grâce à ces formations, rendues obligatoires, que les secouristes parvinrent à sauver des vies qui, vraisemblablement, n’auraient pas été épargnées quelques années plus tôt.
Mais malgré tous ces aménagements et l’abandon de la course du Nürburgring après l’accident de Niki Lauda, Roger Williamson décda en 1973 dans l’embrasement de sa monoplace à Zandvoort, tandis que les toutes nouvelles glissières de sécurité coûtèrent la vie à François Cevert, Peter Revson, ou encore Helmuth Koinigg.
Ces morts, ajoutés au décès tragique de Tom Pryce lorsqu’il percuta un commissaire à Kyalami en 1977, prouvèrent alors à la FIA que tout reste à faire en termes de sécurité, sur tous les plans, et tous les regards se tournèrent vers les monoplaces, dont la vitesse semblait de plus en décalage avec les risques qu’elles faisaient prendre aux pilotes.
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