Newey : La planche à dessin est ’le langage que je maîtrise’
L’ingénieur de Red Bull ne veut pas passer au numérique
Adrian Newey est évidemment connu pour être l’un des designers de la F1 ayant connu le plus de succès. Mais il est aussi célèbre pour concevoir ses voitures, ou du moins leur idée de base, sur la planche à dessin. L’ingénieur explique pourquoi il n’a jamais cherché à s’adapter aux nouvelles technologies.
"Je suis un dinosaure et cela me convient... Pour moi, la conception assistée par ordinateur ou la planche à dessin sont des moyens de transposer les idées que l’on a en tête sur un support à partir duquel on peut les développer" explique Newey.
"Aujourd’hui, bien sûr, s’il s’agit d’aérodynamique, je regarde la dynamique des fluides numérique (CFD), c’est-à-dire l’aérodynamique sur ordinateur, un outil extraordinaire qui n’a atteint sa maturité en Formule 1 qu’à la fin des années 90. Je regarde le CFD et j’esquisse quelques idées à partir de là, puis je dessine quelque chose."
"Aujourd’hui, j’utilise une planche à dessin parce que c’est le langage dans lequel je me sens le plus à l’aise et que je maîtrise le mieux. Si j’essaie d’utiliser la CAO, j’ai l’impression que je ne serai jamais aussi à l’aise et que je passerai trop de temps à réfléchir à la manière de l’utiliser, au lieu de dessiner naturellement."
"La partie dessin doit être inconsciente, en tout cas c’est le cas pour moi. La CAO a fait son apparition en Formule 1 vers le début ou le milieu des années 90. Les premiers systèmes de CAO étaient assez mécaniques. Les gens devaient beaucoup se concentrer pour faire entrer les données dans le système."
"Bien sûr, aujourd’hui, les systèmes sont développés et les personnes qui les maîtrisent peuvent dessiner inconsciemment comme je le fais. Ce n’est pas le dessin qui les charge. Je n’y parviendrai jamais et, pour moi, cela n’a pas d’importance."
"Il me semble que j’ai une assez bonne capacité à visualiser quelque chose en 3D, puis à le mettre sur papier en 2D, alors que le système de CAO vous libère de cette contrainte. Il n’est pas nécessaire de passer par la 2D pour le faire. Vous pouvez commencer directement en 3D."
Les ordinateurs sont "la plus grande révolution" de la F1
Newey n’a jamais changé sa manière de concevoir les voitures, mais explique que la manière dont les données peuvent être créées et exploitées ont révolutionné la F1 : "Oui, c’est le cas. Je pense que les données sont plus complètes et mieux comprises que lorsque j’ai commencé."
"Si je pense à l’époque où j’ai commencé à concevoir des IndyCar, en 1984, les connaissances sur lesquelles vous pouviez baser une nouvelle conception n’étaient pas aussi bien informées qu’aujourd’hui, parce que les équipes étaient beaucoup plus petites et que nous n’avions pas les outils dont nous disposons aujourd’hui."
"Les gens demandent souvent quelle est la plus grande révolution que j’ai vue dans la course automobile au fil des ans. Et c’est sans aucun doute la puissance de calcul des simulations et des outils qui en découlent, car c’est ce qui permet une compréhension beaucoup plus approfondie de la voiture."
Des coups d’éclat dès l’époque Leyton House
Newey a réussi à trouver le succès en F1 sur plusieurs ères de développement, et il a su s’adapter pour gagner malgré diverses philosophies. Il nie toutefois que ses voitures aient toutes les mêmes qualités intrinsèques, prenant l’exemple de ses premières F1.
"D’un point de vue philosophique, je pense qu’il s’agit d’essayer de faire fonctionner la voiture sur une large fenêtre et c’est quelque chose que les Leyton House n’ont pas réussi à faire, dans la mesure où ces voitures fonctionnaient extrêmement bien sur certains circuits."
Mais si Leyton House était capable de coups d’éclat, c’est bien parce que les voitures de Newey étaient très performantes dans certaines conditions, au point que les pilotes McLaren, en 1988, saluent l’efficacité aéro de la conception de Newey et s’étonnent de sa vitesse.
"En effet, en 1988, je crois à Estoril, Ivan Capelli a terminé devant Ayrton au volant d’une McLaren dominante et se rapprochait de Prost dans sa McLaren. Ivan a ensuite mené une course, même si ce n’était que pour un tour, sur le mouillé à Suzuka à la fin de l’année. Cette voiture fonctionnait donc très bien sur certains circuits, mais pas sur tous."
"De manière assez amusante, je me souviens d’Ivan arrivant au tour précédent, avec Prost juste derrière lui, puis d’Ivan arrivant au tour suivant et nous dépassant sur la ligne droite principale, avec Prost traînant aux alentours de la troisième vitesse avant d’accélérer à nouveau."
"Je me suis demandé ce qu’il pouvait bien faire. Il s’avère qu’à la vitesse d’entrée d’Ivan dans ce long virage, Prost était convaincu qu’il allait avoir un accident et il ne voulait pas être impliqué dans l’accident, alors il a ralenti."
Une inspiration qui va au-delà de la F1
Mais Newey raconte aussi comment il s’inspire de divers domaines pour ses créations en F1 : "Oui, j’essaie de toujours regarder autour de moi. Par exemple, je me souviens d’être allé en vacances dans les Caraïbes. Je dois admettre que je préfère prendre deux semaines de vacances parce qu’il me faut une semaine pour me détendre."
"Mais pendant ces vacances, je crois que nous avons atterri sur une île, puis nous avons pris un petit avion à hélice pour aller d’une île à l’autre. En regardant l’avion avant de décoller, j’ai remarqué la forme de l’entrée d’air du moteur. Derrière l’hélice, elle était en col de cygne, et séparée du corps principal du moteur."
"Nous avions eu des difficultés en 1996 avec Damon, car la pression de la boîte à air, et donc la puissance du moteur, était incroyablement sensible à la forme de l’appui-tête et à la position du pilote."
"Cela m’a donné l’idée que ce qu’il fallait faire, c’était de relever la prise d’air de l’arceau de sécurité pour qu’elle soit complètement séparée de l’appui-tête, puis d’insérer l’appui-tête dans la ligne de la voiture, ce qui est la solution standard de nos jours. Mais c’est ce que j’ai fait en regardant autour de moi, et il y a d’autres petits exemples."
"Toujours une certaine dose d’instinct"
Malgré ses importantes connaissances théoriques sur la mécanique et l’aérodynamique, Newey reconnait qu’il va des fois au-delà de la simple théorie, et répond davantage à son instinct.
"Même avec tous les outils dont nous disposons aujourd’hui, il faut toujours une certaine dose d’instinct. La réalité est que, même avant le plafonnement des coûts, nos ressources et notre personnel étaient limités. Nous n’avons jamais eu la capacité d’étudier en détail une infinité de pistes différentes."
"Si vous prenez un exemple récent, il est évident qu’avec la voiture de l’année dernière, nous avons pris une direction académique avec les pontons, le design et le concept de la voiture, ce qui était presque à l’opposé de ce qu’a fait Mercedes. Mercedes a montré des signes de compétitivité l’année dernière, elle a évidemment gagné au Brésil."
"Vous êtes alors confronté à un choix : "Allons-nous commencer à faire des recherches sur Mercedes au cas où nous aurions raté quelque chose, ou allons-nous nous en tenir à ce que nous faisons ?Et notre instinct nous dit qu’il faut s’en tenir à ce que nous faisons."
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