Les ravitaillements de retour, une bonne idée ? Trois arguments qui rendent sceptique...
Au niveau stratégique, budgétaire, et sécuritaire
Le retour des ravitaillements, une idée qui fait son chemin, surtout depuis deux courses
Jean Todt a jeté, récemment, un pavé dans la mare, en évoquant un possible retour des ravitaillements en carburant pour l’année 2021 – date du prochain grand bouleversement réglementaire de la F1. Le président de la FIA entend ainsi répondre à une critique récurrente, formulée par les pilotes eux-mêmes : les F1 actuelles sont trop lourdes. En effet, surtout depuis l’introduction des blocs hybrides, le poids des monoplaces a progressé de quasiment 150 kg.
« Les voitures sont devenues trop lourdes, nous en avons discuté » a ainsi annoncé Jean Todt.
Quand il a reconduit sa Brawn GP de 2009 ce mois-ci, Jenson Button a été particulièrement frappé de voir à quel point elle était « mince » et « fine », ce que le Britannique expliquait simplement par des réservoirs en carburant moins grands, puisque les ravitaillements étaient autorisés il y a une décennie encore.
Il existe, de plus, un deuxième avantage clair au retour des ravitaillements, qui est d’ailleurs le corollaire du premier : avec des F1 plus légères, les pilotes pourront attaquer plus fort, plus longtemps. Or, à Silverstone, lors du dernier Grand Prix, en raison du nouvel asphalte, et des pneus endurants, les pilotes ont justement pu pousser « flat out » du début à la fin du Grand Prix, ce qui, selon Max Verstappen, n’a pas été sans incidence sur le formidable spectacle durant la course.
« Tout le monde préfère aller à fond plutôt que d’économiser les pneus. C’est aussi mon cas » explique le pilote Red Bull.
« En Autriche par exemple, nous avons pu aller à fond, pas d’économie d’essence, des pneus qui résistent, et la course a été géniale. A Silverstone aussi. Bien sûr, cela dépend des courses. Je ne sais pas si la F1 s’améliorera avec les ravitaillements mais les monoplaces actuelles sont devenues trop lourdes. Si cela permet d’améliorer le spectacle, que nous pouvons attaquer sans retenue, alors je suis pour. »
Déjà, en mai 2015, lorsque le Groupe Stratégie de la F1 considérait un retour des ravitaillements, Felipe Massa évoquait les mêmes arguments.
« Je pense que c’est une bonne chose et que ça changera complètement la physionomie des courses. Le problème actuel est que nous pilotons des voitures très lourdes avec le réservoir plein et qu’il y a une énorme différence entre les temps de la qualification et ceux de la course. C’est très lent comparé à l’époque où nous avions des ravitaillements. Je suis sûr que les courses seront ainsi plus intéressantes et plus sympas d’un point de vue pilotage. Je suis donc en faveur de cette décision. Nos voitures étaient plus rapides par le passé et ainsi plus attrayantes. »
Les ravitaillements, une fausse bonne idée ? Trois arguments qui tendent à le suggérer…
Pourtant, à force d’enjoliver le passé, ne risque-t-on pas d’oublier les effets pervers et potentiellement négatifs du retour des ravitaillements ? Trois séries d’arguments, de natures diverses, tendent en effet à suggérer que la F1 n’aurait pas forcément intérêt à aller dans cette voie.
Le premier argument est peut-être le plus fort et se situe sur le plan de la stratégie et du spectacle en course : les ravitaillements risqueraient de nuire à la qualité du suspense, puisque les stratégies des pilotes risqueraient d’être toutes les mêmes en course.
Paul Monaghan, ingénieur en chef chez Red Bull, l’avait assuré en mai 2018 : avec des ravitaillements, ainsi que l’avait démontré le travail de simulation chez Red Bull, les courses risqueraient d’être moins variées stratégiquement : « Si je me base sur ma mémoire et le travail de simulation fait avec Red Bull, je pense que les stratégies des équipes seraient toutes identiques, parce que vous n’aurez plus une voiture qui perdrait du poids au fur et à mesure de la course, ce serait comme un reset à chaque fois. Vous choisirez la solution la plus rapide pour faire la course, les arrêts aux stands dureraient un peu plus longtemps et nous ferions tous la même chose aux stands – mettre un tuyau dans la voiture. »
James Allison, le directeur technique de Mercedes, était du même avis : « Les stratégies avec les ravitaillements sont plus prévisibles et permettent moins de variation en course et moins de surprise que dans le cas contraire. Parce qu’avec les ravitaillements, vous devez vous arrêter au tour où vous n’aurez plus d’essence, ou un tour ou deux tours avant, et tout le monde saura alors à quel tour ce sera. Et il n’y aura plus de surprise lié à l’undercut ou à l’overcut, comme avec le règlement actuel. »
Les dépassements risqueraient ainsi de se produire davantage dans les stands que sur la piste ; et les stratégies pneumatiques (décisives en Q2) perdraient quelque peu de leur intérêt.
La FIA avait mené un travail de simulation en mai 2015 et, ainsi que l’avait précisé Charlie Whiting, un retour des ravitaillements n’aurait pas permis d’augmenter le nombre moyen de dépassements par course. C’est pourquoi un retour des ravitaillements avait été écarté à l’époque. La F1 a la mémoire courte…
Un deuxième argument en défaveur du retour des ravitaillements est de nature budgétaire : en 2015, il avait été estimé qu’un retour des ravitaillements coûterait un million d’euros par saison à chaque équipe. Il s’agit d’acheter la machine à ravitailler en carburant, d’en organiser le fret, de former les mécaniciens, et de moderniser le système existant à l’époque… Dans le même temps, la FOM et la FIA font tout leur possible pour réduire les coûts des écuries, avec l’introduction de budgets plafonnés. Le retour des ravitaillements serait ainsi purement et simplement contradictoire avec le but du règlement 2021.
Enfin, le troisième et dernier argument ne peut être négligé : la sécurité. Si la F1 avait décidé de bannir les ravitaillements en 2010, c’était aussi et peut-être surtout pour ces raisons de sécurité. Chaque ravitaillement poserait des contraintes et des interrogations sur ce plan. Les accidents ont été légion par le passé : la Benetton de Jos Verstappen prit spectaculairement feu, en 1994, à Hockenheim, comme la Jordan d’Eddie Irvine au Grand Prix de Belgique 1995 ; en 2009, le tuyau de la McLaren de Heikki Kovalainen était parti avec la monoplace, aspergeant et manquant d’enflammer la Ferrari de Kimi Räikkönen qui suivait de près ; Felipe Massa repartit aussi des stands, à Singapour 2008, avec un tuyau toujours attaché qui avait fait tomber un de ses mécaniciens. Au premier incident en 2021, une polémique ne manquerait pas de naître...
En somme, il faut ainsi relativiser l’efficacité et la pertinence potentielles d’un retour des ravitaillements en 2021. Pour permettre aux pilotes d’attaquer davantage, et pour favoriser le spectacle, d’autres pistes plus efficaces mériteraient d’être explorées : des Pirelli plus endurants, des asphaltes moins abrasifs, une utilisation du débit de carburant moins restrictive, et enfin, la fameuse convergence des performances, sans laquelle toutes les autres mesures seraient de toute manière condamnées à l’inefficacité.
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