Imola 1994, point de départ d’une sécurité revue à la hausse en F1

Un week-end qui a tout changé, aussi pour le meilleur

Par Emmanuel Touzot

1er mai 2019 - 19:47
Imola 1994, point de départ d'une

Il ya 25 ans, se terminait l’un des week-ends les plus noirs qu’ait connu la Formule 1. Ayrton Senna et Roland Ratzenberger étaient morts, Rubens Barrichello blessé dans un accident le vendredi, tout comme quatre spectateurs et quatre mécaniciens, blessés en course.

Mais par l’onde de choc qu’il a provoquée au sein de la Formule 1 et de ses administrations, la FIA et la FOM, ce funeste week-end d’Imola 1994 a permis à la sécurité de faire un gigantesque bond en avant.

La saison 1994 fut quelque peu chaotique, d’autant que le sort allait s’acharner sur la Formule 1 dès la course suivante, à Monaco, puisque Karl Wendlinger perdait le contrôle à la sortie du tunnel et venait percuter les barrières de sécurité latéralement, comme l’ont fait Jenson Button et Sergio Pérez, respectivement neuf et 17 ans après lui.

Onze jours après le décès de Senna, la F1 est de nouveau frappée par un accident grave, puisque Wendlinger est dans le coma. Il y restera 19 jours, avant d’être placé en sommeil artificiel pendant deux semaines supplémentaires. Bien remis durant l’année 1994, sa carrière en pâtit et il ne retrouve pas sa pointe de vitesse, le poussant à quitter la F1 en fin de saison 1995.

Des mesures d’urgences avant de se pencher sur les monoplaces

De son côté, la FIA panique clairement et décide de ralentir les voitures coûte que coûte. A Barcelone, à l’ancien emplacement du virage 9, une chicane composée de deux piles de pneumatiques est installée pour ralentir les pilotes dans cette section du circuit, à la demande de l’association des pilotes (GPDA).

La chicane installée à Barcelone en 1994

Ce Grand Prix d’Espagne est d’ailleurs la continuité de la série noire de ce début de saison 1994, puisque l’Italien Andrea Montermini se crashe dans le dernier virage du circuit et se brise la cheville et le pied. Cela fait suite à la longue liste composée de Barrichello, Ratzenberger, Senna, Wendlinger, mais aussi Jean Alesi et J.J Letho, blessés aux vertèbres cervicales lors de deux gros accidents en début de saison.

Dès lors, décision est prise d’installer une chicane dans la ligne droite du circuit Gilles Villeneuve, à Montréal. La chicane restera deux ans en place et en 1994, terrifiée à l’idée qu’un accident s’y produise, la FIA décide même d’interdire les dépassements à cet endroit de la piste !

Silverstone est également revu en profondeur : L’angle du virage de Stowe est fermé, tandis que celui d’Abbey, précédant la descente vers le célèbre virage de Bridge, devient une chicane. Il le restera jusqu’à ce que la piste soit revue totalement en 2009.

Malgré les dangers et les inquiétudes, le fait de voir le Raidillon de l’Eau Rouge défiguré par une chicane fait largement râler cette année-là, et les voitures perdent cinq secondes par tour entre le ralentissement dans le virage et la perte de vitesse à la sortie de celui-ci.

A Estoril, une chicane est installée à la place d’un très rapide virage à droite, jugé trop dangereux. Du côté de Hockenheim, deux des trois chicanes sont resserrées pour ralentir les monoplaces. A Monza, les deux virages de Lesmo sont resserrés, une modification qui est encore visible sur le circuit.

Mais dans les années qui suivent, ce sont les monoplaces qui sont modifiées au niveau des protections latérales du cockpit. Rehaussées à hauteur de la coque en 1995, elles sont encore mises à l’épreuve cette année-là lorsque Mika Häkkinen se crashe en Australie et ne doit sa survie qu’à une trachéotomie pratiquée à même la piste.

En 1996, les protections latérales du cockpit sont encore relevées

De retour en 1996 en parfaite santé, le Finlandais constate notamment que la FIA a pris son accident très au sérieux, puisque les protections des cockpits, sur les côtés de la tête des pilotes, sont encore relevées de quelques centimètres, pour leur éviter le coup du lapin en cas de choc latéral.

Le système HANS entre dans la danse

Un programme d’étude de diverses options pour éviter les lourdes blessures à la tête est alors lancé par la FIA, qui envisage un moment l’implémentation d’un airbag autour du pilote. Mais cette option est rapidement abandonnée et un système pour renforcer la stabilité du casque sur les épaules des pilotes est alors étudié.

Il faudra plus de cinq années de développement pour qu’il soit officiellement présenté aux équipes de Formule 1, en 2001, puis rendu obligatoire en 2003, après les principaux championnats américains que sont le CART (ancienne appellation de l’IndyCar) et la Nascar.

En parallèle, au fil des années, les normes des crash-tests sont renforcées, la sécurité des circuits est également améliorée en ajoutant de véritables protections devant les murs, jusqu’aux TecPro utilisés aujourd’hui, mais aussi en remplaçant les graviers et l’herbe, remplacés par du gravier abrasif ayant un bien meilleur effet pour ralentir les voitures sans risquer de les retourner.

Toutes ces mesures ont sauvé un grand nombre de pilotes de blessures plus sérieuses. On peut penser à Martin Brundle, victime d’un énorme accident lors du GP inaugural de la saison 1996, on peut penser à Ricardo Zonta et Jacques Villeneuve, auteurs de crashs spectaculaires dans le Raidillon en 1999.

Et la liste des pilotes ayant évité des blessures graves au prix de celles payées ce week-end d’Imola 1994 ne s’arrête pas là : Luciano Burti (Belgique 2001), Takuma Sato (Autriche 2002), Fernando Alonso (Brésil 2003, Australie 2016), Mark Webber (Brésil 2003, Europe 2010), Ralph Firman (Hongrie 2003), Jarno Trulli (Silverstone 2004), Robert Kubica (Canada 2007), Heikki Kovalainen (Espagne 2008), Marcus Ericsson (2018), et tant d’autres accidents qui auraient pu mal tourner sans toutes ces évolutions.

Indemne, Webber quitte l’épave de sa Jaguar à Interlagos, en 2003

Des progrès qui trouvent leur origine en 1994

Jean Todt avait rappelé en 2014, à l’occasion des 20 ans de la mort de Senna et Ratzenberger, que la F1 leur devait beaucoup : "Les décès de ces deux hommes ont été un rappel à l’ordre pour nous tous et leur plus bel héritage c’est la poursuite des actions en faveur de la sécurité en sport automobile, sous toutes ces formes. Il n’y a jamais eu autant de volonté et de bonnes choses de faites en la matière que lors des 20 dernières années."

"Le dur travail a payé. La Formule 1 n’a pas connu d’accident mortel depuis 1994", rappelait-il quelques mois, hélas, avant l’accident qui serait fatal à Jules Bianchi. "Les voitures et les circuits sont plus sûrs que jamais, même les violents accidents de Michael Schumacher à Silverstone en 1999, Robert Kubica à Montréal en 2007, Felipe Massa en Hongrie en 2009 et Mark Webber à Valence en 2010 sont restés sans suite sérieuse pour les pilotes. Les technologies mises en place par la Formule 1 ont permis aux pilotes de survivre à ce type d’accidents horribles."

Le Président de la FIA n’hésitait pas à rappeler que la F1 avait une dette énorme envers ces deux pilotes aux chemins totalement différents, réunis par un funeste destin en ce week-end du Grand Prix de Saint Marin en 1994, où ils ont tous les deux perdu la vie.

"C’est l’héritage qu’ils ont laissé que nous célébrons aujourd’hui. Ils étaient passionnés, déterminés, avaient envie de gagner mais la triste vérité c’est qu’ils ne sont plus que dans nos mémoires. Nous pouvons par contre toucher, parler et rire avec de nombreux pilotes aujourd’hui, qui ont vu leurs vies sauvées grâce à cet héritage. Envers Ayrton et Roland, nous avons une profonde dette de gratitude à avoir."

Une dette similaire à celle que nous avons envers Jules Bianchi, dont l’accident fatal a été l’une des raisons de l’apparition du Halo, tout comme les accidents de Justin Wilson et Dan Weldon en IndyCar. Et l’on sait qu’un jour ou l’autre, le Halo sauvera une vie, comme chacune des évolutions du domaine de la sécurité l’ont toujours fait, tôt ou tard.

La sécurité est un sujet délicat lorsque l’on parle d’un sport où les pilotes atteignent 370 km/h, mais la réduction drastique du nombre de blessés et de morts au fil des décennies est le constat des bonnes décisions prises à ce sujet. Le risque zéro n’existera jamais, et l’accident de Bianchi en fut un terrible rappel, mais les apports effectués - massivement après Imola 1994 - ont porté leurs fruits, et personne ne peut nier que c’est le cas, ni le regretter.

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