Vettel versus Leclerc ou le dilemme insoluble de Binotto chez Ferrari

Vettel, victime collatérale principale de l’affrontement fin 2020 ?

Par Alexandre C.

23 novembre 2019 - 18:10
Vettel versus Leclerc ou le dilemme

L’accrochage entre les deux Ferrari de Sebastian Vettel et Charles Leclerc, lors du Grand Prix du Brésil, restera comme l’une des images fortes de la saison. Cet accrochage a été largement commenté et analysé de près par les observateurs ; aucun pilote ne semble devoir assumer à 100 % la responsabilité de l’accident. Mais là n’est peut-être pas l’essentiel.

En effet, cet incident fratricide devrait surtout laisser des traces en interne et empoisonner quelque peu la cohabitation entre les deux pilotes maison l’an prochain, en particulier en cas de nouvel incident. L’émotion affichée par John Elkann, le président de Ferrari, après la course, en témoigne. Elkann a ainsi fait part de sa « colère » après le Grand Prix, en accusant directement ses pilotes : « Ce qui est arrivé nous fait comprendre l’importance de Ferrari. Les pilotes, peu importe leur niveau, ne doivent pas oublier qu’ils sont des pilotes Ferrari. »

Mattia Binotto a certes relativisé ce qui était arrivé à son équipe au Brésil (« Ce qui s’est produit, je dirais que c’est une chance que ça se soit produit cette saison, car on aura l’opportunité de clarifier cela avec eux. » )

Le problème, c’est que cette ambition de « clarifier » la situation actuelle chez Ferrari risque de se heurter à un mur, le mur d’un dilemme insoluble.

Trois choix, tous insatisfaisants, s’offrent en effet à Mattia Binotto. Le premier de ces choix est de mettre en place des consignes d’équipes claires. Autrement dit, Ferrari interdirait manifestement à ses pilotes de tenter toute manœuvre en course sur l’autre voiture, afin de minimiser les risques d’accrochage.

Cette solution avait été déjà envisagée à chaud, par Toto Wolff, après le Grand Prix d’Espagne 2016 (lors duquel les Mercedes s’étaient sorties au premier tour), sous la forme d’une menace (« Si ce genre d’incident se reproduit, nous pourrions envisager de recourir à des consignes d’équipe. ») Force India avait au contraire adopté clairement cette approche restrictive et répressive après le Grand Prix du Japon 2017, lors duquel Esteban Ocon et Sergio Pérez s’étaient encore accrochés (après la Belgique et Singapour). Otmar Szafnauer justifiait alors cette décision en ces termes : « Nous faisons passer l’équipe en premier. Maintenant, c’est à nos pilotes de nous prouver qu’ils peuvent de nouveau courir l’un contre l’autre de manière raisonnée afin d’assouplir nos règles. (…) Se crasher ce n’est pas maximiser le potentiel de l’équipe. Et c’est ce qu’ils ont fait à un moment. Pour l’instant nous ne sommes pas encore prêts à relâcher la bride. »

Mais en vérité, cette option des consignes d’équipe se heurte à deux contretemps majeurs. Tout d’abord, elle risquerait de nuire fortement à l’image de Ferrari, qui court principalement pour des raisons marketing en F1. En effet, le retour des consignes fait écho à la face plutôt sombre de l’ère Michael Schumacher / Rubens Barrichello (le fameux Grand Prix d’Autriche 2002), sans compter le rappel de l’épisode du Grand Prix d’Allemagne 2010 entre Felipe Massa et Fernando Alonso (« Felipe, Fernando is faster than you. » La sportivité, l’éthique de Ferrari, et en définitive son image, seraient amoindries dans l’esprit du public, car ce choix entrerait en contradiction profonde avec le désir des fans (laisser les pilotes se battre).

Ne rien faire, laisser les pilotes aussi libres qu’avant, serait donc la deuxième option. L’avantage serait de faire apparaître Ferrari comme une équipe joueuse et sportive. Mais il y aurait encore deux désavantages. Tout d’abord, même dans ce cas, l’image de Ferrari pourrait être altérée : car quand deux monoplaces rouges se sortent mutuellement, l’image donnée est terrible pour la Scuderia, une image oscillant entre l’amateurisme et la crise interne. Ensuite, et bien sûr, ce choix du laxisme augmenterait les chances de connaître, comme lors du dernier Grand Prix du Brésil, des dimanches à 0 point. Si Ferrari joue le titre l’an prochain, cette éventualité est proprement impensable et vu la concurrence qui est à attendre de Mercedes et de Red Bull, la Scuderia ne pourrait aucunement se permettre ce luxe.

La troisième voie qui s’offre à Mattia Binotto, et celle qui semble le plus probable à ce jour, est une voie hybride : Ferrari rappellerait à ses pilotes la nécessité de ne pas se toucher, tout en n’imposant formellement de consigne ferme et contraignante. Ce fut le choix que Toto Wolff avait fait pour Mercedes, sur le long terme, pour régler la cohabitation entre Lewis Hamilton et Nico Rosberg. Cette option, mi-chèvre mi-chou, est la plus adaptative et la plus plastique. Tout en ménageant l’image de Ferrari, elle ne paraît cependant pas assez ferme et tranchée pour éviter clairement, à l’avenir, tout risque d’accident.

En réalité, quelle que soit l’option choisie, Mattia Binotto se heurte à une équation insoluble. Lui-même en avait conscience après Interlagos : « On a déjà eu des consignes en début d’année, ça n’allait pas, on a essayé de gérer après et ça n’allait pas non plus. Là, ils étaient libres de se battre mais ce sont des choses qui peuvent arriver. »

Cette situation place le directeur d’écurie de Ferrari dans une situation embarrassante. Elle risque aussi de mettre en parenthèses l’avenir de Sebastian Vettel au sein de la Scuderia.

En effet, puisque la situation semble sinon insondable, du moins insoluble, il est clair que cette cohabitation entre les deux pilotes maison risque de devenir de plus en plus houleuse. Et Ferrari pourrait être amenée à faire un choix entre Sebastian Vettel et Charles Leclerc.

Or, le pilote allemand approche de ses 32 ans, et n’a plus l’avenir devant lui (son contrat finit d’ailleurs fin 2020) ; il a commis de nombreuses erreurs cette saison, comme s’il donnait déjà quelques signes de déclin ; dans le même temps, Charles Leclerc est en pleine ascension et a encore 15 bonnes années de F1 devant lui.

C’est ainsi ce qui fait dire à Ralf Schumacher que Sebastian Vettel risque d’être le fusible ou la victime collatérale de cette affaire : « Je pense que c’est assez sérieux et que si ça ne se calme pas, s’il n’y a pas d’engagements clairs, Ferrari pourrait penser à changer quelque chose. Ce sera difficile pour tous les deux, mais surtout pour Sebastian. (…) S’ils ne peuvent pas trouver de solution, il est clair que le futur sera avec Charles. »

Le dilemme insoluble de Mattia Binotto trouverait in fine une solution : remplacer Sebastian Vettel. Ce serait certes un aveu d’échec et une sortie par le bas ; mais Ferrari aura-t-elle vraiment le choix ?

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