Ferrari et les consignes d’équipe : d’un excès à l’autre…

Pas assez de consignes en 2018, trop en 2019

Par Alexandre C.

20 avril 2019 - 18:42
Ferrari et les consignes d'équipe :

Avant le premier Grand Prix de la saison, Mattia Binotto avait déjà annoncé la couleur : en cas de nécessité, la Scuderia Ferrari privilégierait Sebastian Vettel à Charles Leclerc, et donnerait des consignes d’équipe en ce sens.

En adoptant une telle approche, le nouveau directeur d’écurie estimait tirer les leçons des ratés de 2018 - Ferrari n’avait pas donné assez de consignes d’équipe ; mais la Scuderia n’est-elle pas allée trop loin dans le sens inverse, au point que cette nouvelle stratégie se révèle aujourd’hui contre-productive ? Après trois courses, il est permis de se le demander…

L’approche de Mattia Binotto, en ce début de saison, avait certes de quoi être rationnelle : car en 2018, Ferrari, à l’inverse de Mercedes, n’avait pas assez fait usage de consignes d’équipe pour maximiser les points pris par Sebastian Vettel, le pilote le mieux placé au championnat.

A Hockenheim, Sebastian Vettel était par exemple resté bloqué durant deux tours derrière Kimi Räikkönen, pourtant sur une autre stratégie. Monza fut cependant la course la plus révélatrice. En qualifications, l’aspiration y est décisive. Or, ce fut le Finlandais qui, à deux reprises en Q3, partit derrière Sebastian Vettel et put ainsi bénéficier de quelques centièmes supplémentaires. Logiquement, Sebastian Vettel ne signa que le deuxième temps. Et parut très agacé après la séance, en lançant un incisif « We speak later. » Les conséquences de ce loupé se payèrent très cher le lendemain : Sebastian Vettel fut dépassé par Lewis Hamilton au départ, s’accrocha et repartit en fond de peloton. Beaucoup de points de gaspillés, alors que l’Allemand – et pas Kimi Räikkönen – était encore en lice pour le titre.

Dans le même temps, Mercedes avait respecté un certain équilibre : en qualifications à Monza, Lewis Hamilton et Valtteri Bottas eurent le droit de profiter de l’aspiration un tour chacun.

En 2019, il est ainsi compréhensible que Mattia Binotto cherche, d’emblée, à ne gaspiller aucun point en instaurant une hiérarchie claire entre Sebastian Vettel (censé être plus performant grâce à son expérience) et Charles Leclerc : le premier sera avantagé sur l’autre.

A Melbourne, Charles Leclerc revenait ainsi sur Sebastian Vettel en fin d’épreuve, mais l’ordre lui fut intimé de rester derrière son coéquipier. A Bahreïn, le Monégasque partit en pole position, Sebastian Vettel le surprit au départ ; plus rapide que Sebastian Vettel, Charles Leclerc demanda l’ordre de le dépasser, le muret des stands refusa, Charles Leclerc n’obtempéra pas. A Shanghai, Charles Leclerc, 3e, fut prié de laisser passer Sebastian Vettel, censé avoir un meilleur rythme que lui pour rattraper les Mercedes – ce qui fut loin d’être évident. En conséquence, la course du jeune pilote Ferrari fut ruinée par une stratégie douteuse, et il ressortit de son premier arrêt aux stands dix secondes derrière Max Verstappen.

Ces consignes d’équipe interrogent fortement aujourd’hui : elles semblent trop franches, précoces, inefficaces et illégitimes, pour toute une série de raisons. Tout d’abord, il est loin d’être évident que Sebastian Vettel sera le pilote le plus rapide et le plus régulier de la Scuderia tout au long de la saison : Charles Leclerc, et pas seulement à Bahreïn, a affiché un potentiel très prometteur. Ces consignes interviennent donc trop tôt dans la saison, alors que la hiérarchie n’est pas encore établie.

Elles risquent, de plus, de créer un climat délétère au sein de la Scuderia : Charles Leclerc aura le sentiment légitime d’être injustement privé de bons résultats. C’est donc la cohérence et l’unité de toute l’équipe Ferrari qui pourraient être affaiblies, comme le pressent Toto Wolff : « Quand vous commencez à faire ce genre de choses, cela peut devenir très compliqué à gérer parce qu’il faut toujours se justifier ensuite. Pourquoi c’était la bonne décision, à cet instant ? Vous vous exposez à des problèmes et vous risques des appels radio de vos pilotes à chaque course et qu’à chaque fois l’un des deux dit qu’il est plus rapide que l’autre. »

Ferrari semble, ainsi, être passée d’un excès à l’autre : de « pas assez de consignes » en 2018, à « trop de consignes, et trop tôt » en 2019.

Plusieurs voix s’élèvent aujourd’hui pour demander à Mattia Binotto de revoir sa stratégie. Celle de Mika Hakkinen par exemple : « Dans cette lutte contre Mercedes, personne ne devrait se soucier de savoir si c’est Charles Leclerc ou Sebastian Vettel qui remportera la course. Je pense que Leclerc avait raison d’être en colère après la course, parce que la stratégie, en Chine, l’a fait reculer à la 5e place, derrière Max Verstappen. (…) Sebastian Vettel et Charles Leclerc ont le potentiel pour devenir l’opposition la plus solide à Mercedes chaque week-end. Mais Ferrari doit donner aux pilotes le soutien, et la flexibilité qu’il faut, leur permettre d’assez concentrés pour y arriver. Et pour cela, il faut oublier les consignes d’équipe, et se concentrer sur les moyens de faire gagner l’équipe. »

Curieusement, Mercedes est dans une situation inverse à celle de Ferrari cette année : l’an dernier, l’écurie allemande, en fin de saison, avait nettement donné la préférence à Lewis Hamilton par rapport à Valtteri Bottas, qualifié de « lieutenant » par Toto Wolff. Le Finlandais fut ainsi prié de laisser passer son coéquipier à Sotchi. Or cette année, Toto Wolff estime qu’il est encore trop tôt pour favoriser l’un ou l’autre pilote. C’est ainsi qu’à Shanghai, c’est Valtteri Bottas, pourtant 2e, qui s’est arrêté avant Lewis Hamilton, tandis qu’un double arrêt a été ensuite été exécuté pour éviter de trop favoriser l’Anglais.

« Je n’aime pas vraiment les consignes, ce n’est pas cool, ce n’est pas bon pour le sport ni pour le pilote » confiait Toto Wolff à Monza, l’an dernier. « Lewis ne veut pas de cadeau et Valtteri ne veut rien lâcher. Nous étudions la situation course après course. Nous en avons discuté dimanche matin, étudié les divers scénarios, et il n’y avait aucune nécessité pour cette course. Nous verrons ce qu’il en est à Singapour, je veux retarder ce moment le plus possible. »

Nico Rosberg, l’an dernier après le Grand Prix d’Allemagne, (Ferrari n’avait pas demandé assez rapidement à Raikkonen de laisser passer Vettel, tandis que Mercedes avait ordonné à Valtteri Bottas, pourtant sur une stratégie plus rapide, de ne pas dépasser Lewis Hamilton), résumait parfaitement la situation : « C’est plutôt ironique que Ferrari soit l’équipe réputée pour utiliser des consignes d’équipe, mais que lorsque ça compte, ce soit Mercedes qui les utilise à son avantage et Ferrari qui ne les utilise pas et qui en sort perdant. »

En 2019, la situation est ainsi l’inverse : Ferrari utilise (trop) les consignes d’équipe, tandis que Mercedes laisse tranquilles ses pilotes. Ce qui ne change pas, c’est qu’à la fin, c’est Ferrari qui est critiquée, et Mercedes qui récolte la moisson des points le dimanche !

Mattia Binotto va-t-il être contraint de revoir sa stratégie de consignes d’équipe au cours des Grands Prix à venir ? Si Charles Leclerc continue de mettre autant la pression à Sebastian Vettel, et si les stratégies de la Scuderia apparaissent toujours aussi douteuses, nul doute que la position du nouveau directeur d’écurie deviendra rapidement intenable…

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