Renault : Le turbo a été à la fois une rupture et une révélation

"Les gens ne croyaient pas en nous"

Par Franck Drui

23 juin 2013 - 15:12
Renault : Le turbo a été à la fois (...)

Jean-Pierre Menrath, Directeur des essais et développement et membre de l’équipe Renault en 1977, revient sur la première ère turbo de la F1, quand la marque au losange a introduit cette technologie dans la catégorie reine.

Quelle image aviez-vous dans les paddocks en tant que pionniers du moteur turbo ?

Les gens ne croyaient pas en nous. Techniquement, c’était un challenge incroyable. Fin des années 70, début des années 80, la technologie en était à ses débuts et à chaque GP on amenait des modifications. On pensait qu’on allait terminer la course, mais on était à 1000 lieues de réussir. Mais l’enjeu était ailleurs : on y croyait. On voyait que nous progressions et qu’à un moment ou l’autre nos efforts allaient payer. Le regard a changé quand on a gagné notre première course, le Grand Prix de France. Ça a été à la fois une rupture et une révélation : le danger du moteur turbo était réel. Cela leur a fait comprendre qu’il faudrait songer à abandonner l’atmosphérique pour passer au turbo.

Quels étaient les caractéristiques et les challenges du moteur turbo, à l’époque ?

Le challenge qui revenait le plus souvent ; c’était le temps de réponse. Il fallait absolument que le pilote adapte sa façon de conduire. Ensuite, pour concevoir une monoplace performante, l’aspect « évacuation thermique » du moteur turbo était bien sûr le plus contraignant. Les radiateurs devaient être plus gros : un moteur turbo est plus difficile à intégrer dans une monoplace en raison de cet aspect, contrairement à un moteur atmosphérique. Ensuite, l’enjeu majeur, c’était la puissance. Tirer plus de 500 chevaux avec un moteur de 1500 cm3, à l’époque, c’était un exploit. On était obligé de produire plus de puissance que la référence atmosphérique de l’époque, Cosworth, afin de gommer les défauts du moteur, donc la fiabilité était le point le plus délicat au début. Mais il faut rappeler que l’on est passé de 520/530ch en 79 à plus de 1000 en l’espace de 5 ans ! Le moteur de qualification pouvait même développer jusqu’à 1200 chevaux à la fin 86 grâce à de nouveaux turbos, dotés d’un nouveau dessin. Ils étaient à la base destinés à être utilisés en altitude et au final, au niveau de la mer, ils produisaient des
performances exceptionnelles. Mais le moteur durait alors 3 tours !

Quels sont vos souvenirs de cette époque ?

Les souvenirs sont excellents. Le développement technique était fabuleux. Il y a beaucoup plus de travail de mise au point. Pour mon métier pur c’était captivant. En tant qu’ingénieur d’essai ou d’exploitation, on prenait énormément de plaisir à travailler sur ce projet. Le développement d’un moteur turbo, c’est beaucoup de temps passé sur la piste : la proportion de développement sur circuit est plus importante que sur un atmosphérique. Sur un atmosphérique, il faut que les conduits soient beaux, que la circulation soit optimale, etc.... Sur un moteur turbo, il faut le faire fonctionner ! C’est empirique. Une anecdote, on a été en altitude à Kyalami. Il y a moins d’air : le moteur on n’arrivait pas à le démarrer. On ne parvenait pas à trouver le réglage pour faire démarrer le moteur. Il fallait le faire chauffer deux ou trois heures avant pour pouvoir le démarrer. On a découvert des difficultés sur des choses aussi basiques que démarrer le moteur ! Après, il reste quand même un sentiment d’échec parce qu’on n’a pas été champion du monde. Bon, cette aventure nous a permis de repartir derrière sur de meilleures bases pour la suite et de réussir. Le fait d’avoir développé cette nouvelle technologie dans un univers comme la F1, j’en garde un très bon souvenir.

Quelle comparaison pouvez-vous faire entre ce moteur des années 80 et celui de 2014 ?

La grosse différence, bien sûr, et le gros apport technologique aujourd’hui, c’est l’électronique. On a débuté avec le moteur turbo avec des distributeurs et des allumeurs qui ne se font plus aujourd’hui. Il y avait une injection sans électronique. Et puis au niveau de l’étude, les outils modernes de simulation n’existaient pas, toute l’informatique pour mieux dessiner les moteurs et mieux les suivre. Il n’y avait pas de télémétrie, il n’y avait pas d’acquisition de données. Une anecdote : le pilote pouvait régler la pression de suralimentation. Notre « mouchard » c’était un cadran et il y avait une aiguille qui restait bloquée au plus haut. Donc c’était un niveau de surveillance somme toute limité. Aujourd’hui, la technologie du moteur est bien plus performante. On est très proche de l’aéronautique.

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