Danger sur les budgets plafonnés : les constructeurs détourneront-ils des dépenses liées à la F1 ?
La FIA face à une équation insoluble
D’ici octobre, les Accords Concorde, qui définiront le futur du sport à partir de 2021, devraient être finalisés et signés. Afin de rapprocher les performances entre les écuries de pointe et le milieu de grille, l’une des mesures phares, promue par la FIA et Liberty Media, est d’introduire des budgets plafonnés à 175 millions de dollars pour toutes les écuries. Un contrôle strict des dépenses, dont les modalités demeurent à préciser, sera mis en place pour assurer le respect de ces règles.
Le montant de ces budgets plafonnés est cependant moindre qu’initialement escompté par les petites écuries (elles espéraient 150 millions). De plus, les budgets plafonnés contiendront de nombreuses exclusions : dépenses marketing, salaires des pilotes et des 3 plus hauts dirigeants, achat de l’unité de puissance… L’une de ces exceptions majeures est compréhensible : Mercedes, Honda, Renault et Ferrari n’auront pas à faire rentrer les coûts de développement moteur dans leurs plafonds.
Mais les craintes sont vives aujourd’hui quant au possible détournement de l’esprit de ces budgets plafonnés. Les motoristes (Ferrari, Mercedes, Honda, Renault), mais aussi les constructeurs auto comme McLaren, pourraient être tentés de « sortir » certaines dépenses (R et D, simulations et études en tout genre, développement et conception de pièces et solutions aérodynamiques…) du budget des écuries F1, pour les rebasculer vers les budgets généraux des constructeurs auto – que la F1 ne plafonnera évidemment pas. En clair, Mercedes pourrait développer certains concepts aérodynamiques, applicables pour la F1, dans ses centres de recherche dédiés aux voitures de série, à Stuttgart.
Il ne s’agit pas d’une crainte imaginaire ou d’une vue de l’esprit. De manière particulièrement éclairante, Honda F1 a révélé, le mois dernier, que le département « moteur à réaction » de l’entreprise avait aidé à la conception de la dernière spécification de l’unité de puissance F1. « Nous avons un département R&D, à Sakura, qui s’occupe du projet F1 » expliquait ainsi le directeur technique de Honda en F1, Toyoharu Tanabe. « Ensuite, nous avons un grand centre technique qui inclut de nombreux types de technologie. Nous collaborons avec ces ressources de manière très étroite. Pas seulement avec le département moteur à réaction, mais avec d’autres aussi. Par conséquent, nous avons introduit, lors de la dernière course, un nouveau turbo qui a été développé en collaboration avec le département moteur à réaction. Nous avons essayé de maximiser la performance en nous aidant aussi de toutes les ressources R&D de Honda. »
A l’avenir, qu’est- ce qui empêchera les départements de Sakura de mener aussi des développements directement applicables aux monoplaces Red Bull et Toro Rosso ? On sait bien que, depuis 2014 en particulier, les performances moteur et aérodynamiques sont étroitement corrélées, et Honda pourrait tirer profit de cet argument pour soulager le budget recherche et aérodynamique de Red Bull… A Sakura, les Japonais disposent certainement du savoir-faire en interne, et il sera forcément très tentant de prendre un avantage sur la concurrence en menant de tels tests parallèles.
Ces craintes sont, en réalité, partagées depuis de nombreux mois par les acteurs du monde de la F1. Ancien directeur technique de McLaren et Ferrari, John Barnard rappelait ainsi, en août 2018, que « le développement peut être fait en usine sur un autre projet. Il peut être soudainement transféré sur la F1. C’est très difficile à contrôler. »
« Une limite budgétaire sera très difficile à contrôler » surenchérissait Helmut Marko, le responsable de la filière jeunes de Red Bull, en janvier 2019. « Dans le cas d’une équipe d’usine d’un constructeur automobile (Mercedes, Ferrari et Renault, ndlr), comment faites-vous la différence entre les ordinateurs qui sont utilisés pour les voitures de série et ceux qui sont utilisés par l’équipe de Formule 1 ? »
Du haut de sa longue expérience en F1, Bernie Ecclestone confiait également, en mars dernier, ses doutes à propos de l’efficacité des budgets plafonnés : « À mon époque, Jean Todt [Président de la FIA] travaillait sur les budgets plafonnés. Mais comment pourriez-vous, par exemple, contrôler si Mercedes fait de la recherche au service de son équipe F1 dans ses quartiers généraux de Stuttgart ?! »
En somme, ces risques de détournement pourraient bien faire totalement échouer les ambitions certaines des budgets plafonnés. Les grands constructeurs feront face à un dilemme du prisonnier : si Mercedes, par exemple, tente de contourner l’esprit du règlement, Ferrari, Red Bull-Honda, Renault et McLaren seront bien obligées de suivre. Du même coup, ce seraient les écuries de milieu de grille, des écuries privées et indépendantes qui ne disposent pas de telles capacités de développement en interne (Williams, Racing Point, Haas…) qui pourraient se voir nettement désavantagées, alors même que l’objectif du nouveau règlement est de resserrer les écarts.
Comment faire pour parer à ce danger ? La FIA se retrouve dans une équation insoluble : elle ne peut tout simplement pas mettre un gendarme financier dans chaque département des groupes Mercedes, Ferrari, Renault… La tâche serait à la fois trop immense et trop intrusive.
L’année 2020 servira, au moins, de test à la FIA : les budgets des écuries commenceront à être contrôlés « à blanc », afin d’être prêts pour 2021 ; le résultat de ces expérimentations pourrait livrer ses premiers enseignements…
Puisque les budgets plafonnés ne pourront donc servir à eux seuls pour rapprocher considérablement la concurrence, la FIA et la FOM ont souhaité que, dans le cadre de la renégociation des Accords Concorde, des mesures complémentaires soient adoptées. Une meilleure redistribution des revenus, comme la standardisation de certaines pièces, sont ainsi les pistes subsidiaires explorées. A la lumière des risques de contournement des budgets plafonnés, de telles précautions semblent en effet bien heureuses…
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