Chronologie, rétro-ingénierie, copie avérée : la FIA explique sa sanction contre Racing Point
Un rapport de 14 pages dont voici les points saillants
Dans un document publié aujourd’hui, la FIA a expliqué le sens de sa sanction contre Racing Point, suite à la plainte portée par Renault.
Cette sanction peut apparaître dans un premier temps ambiguë : Racing Point perd 15 points pour le seul Grand Prix de Styrie, écope d’une réprimande pour chacun des deux autres Grands Prix suivants, et devra payer une lourde amende de 400 000 euros. Mais les monoplaces ne sont pas disqualifiées et l’équipe peut toujours continuer à utiliser ses conduits de frein pour le reste de l’année.
Pourquoi une telle sanction « entre deux eaux » ? La FIA en dévoile longuement les raisons dans un rapport de 14 pages.
Dans son verdict, la FIA tranche tout d’abord un premier point crucial pour le raisonnement, d’ordre chronologique. En 2020, les conduits de freins font partie des pièces listées. Ce n’était pas le cas l’an dernier. Or Racing Point dit avoir copié les conduits de freins de Mercedes de l’an dernier, pour les transposer en 2020, en assurant de la légalité de cette approche.
Mais la FIA a livré un clair verdict sur ce point : « Le fait que ces conduits ont été dessinés en 2019 (…) ne fait aucune différence. (…) Peu importe la date à laquelle ils ont été dessinés. » Ce qui importe, ce n’est pas la date de leur conception, mais le fait que l’équipe qui les utilise les a bien conçus par sa propre propriété intellectuelle. Cela interdit donc toute équipe de recevoir « toute information d‘une autre équipe ou d’une autre source » précise la FIA.
S’agissant des conduits avant, la FIA confirme que Racing Point s’est inspirée des pièces de 2019 de Mercedes, avec quelques changements mineurs. Mais Racing Point aurait cette fois-ci procédé de manière « légitime », en prenant pour base de départ les conduits de la Racing Point de 2019. La FIA aurait cependant validé une telle inspiration, étant donné que le « règlement n’est pas blanc ou noir dans ce domaine, et donc ouvert à l’interprétation. » Racing Point se serait ainsi située dans une zone grise, en ne procédant qu’à de « simples retouches ».
C’est surtout s’agissant des conduits de frein arrière que la controverse se fait la plus vive. Cette fois-ci, Racing Point n’a pas basé son modèle sur la RP19. Mais, précise la FIA, Racing Point a reçu directement les données CAD de la W10 (la Mercedes de l’an dernier), en se basant sur cette inspiration pour designer les conduits de frein arrière 2020. Par conséquent, la « philosophie était totalement différente » pour ces pièces, entre la RP19 et la RP20.
Racing Point a donc décidé de « répliquer l’arrière de la Mercedes W10, de même que d’autres aspects de la Mercedes W10 » précise la FIA, en utilisant les données CAD de la W10, pour « développer des pièces de surface, dimension et forme très similaires » à celle de la Mercedes 2019, en s’inspirant bien sûr des meilleurs aspects aérodynamiques de la monoplace argentée. Ce changement nécessitait un complet changement d’approche sur cette zone de la voiture.
Cette approche est-elle légale ? La FIA est très claire sur ce point : « Si Racing Point avait demandé à la FIA sur le moment (septembre-novembre 2019) si elle pouvait utiliser les données CAD de la Mercedes W10, s’agissant des conduits de frein arrière, comme base de travail pour les conduits de frein arrière de la RP20, la FIA aurait dit, définitivement, non » car il s’agissait d’une pièce listée pour 2020, devant donc « être incorporée à l’ADN de la RP19. » Or un « composant entièrement nouveau » a été introduit pour la RP20.
Et l’équipe n’a pas jugé pertinent de consulter la FIA à l’époque, y compris lors de la visite de la Fédération à l’usine, en mars dernier, ce que la FIA regrette expressément (« ils ont choisi de ne pas le faire »).
Le résumé de la situation par la FIA est franc et rude pour la direction technique de Racing Point : « Cela signifie que les conduits de freins de la RP20 ont été conçus en large partie par Mercedes, pas par Racing Point. » Plus loin dans son jugement, la FIA en rajoute une couche : « pour la RP20, Racing Point a décidé de répliquer, autant que possible, la Mercedes W10. » Ce qui impliquait donc de copier les conduits de frein arrière… La conclusion est ainsi logique : « les commissaires concluent que le principal designer des conduits de frein arrière de la RP20 était Mercedes, pas Racing Point. »
Précisons que Racing Point a utilisé les données CAD de Mercedes pour copier les pièces en question : si une rétro-ingénierie avait été utilisé à base de photographies, les conduits auraient été légaux. Mais il est impossible de photographier l’intérieur de ces écopes… Dès lors, le fait de « concevoir » ses propres pièces est un processus qui dépasse bien sûr l’effort consenti par Racing Point pour designer les écopes de freins arrière 2020. Par conséquent, le design des conduits de freins « est largement dérivé du design Mercedes, et ne peut être considéré comme un design Racing Point. »
Pourquoi alors sanctionner Racing Point aujourd’hui ? N’est-ce pas une sanction rétrospective ? La FIA balaie cet argument : il était légal en 2018-2019 à Racing Point de demander les données CAD de Mercedes (l’équipe allemande est ainsi hors de cause) ; ce qui ne l’était pas, c’était apparemment d’utiliser ces données pour designer des pièces listées en 2020. C’est un point d’autant plus crucial que ces pièces ont un « énorme effet aérodynamique et donc sur la performance de la voiture » précise la FIA.
De plus, la FIA n’ignore pas que l’approche de Racing Point a permis à l’équipe, en économisant du travail de ce côté, d’allouer « une vaste quantité de ressources pour designer d’autres pièces » par redéploiement des ressources internes.
C’est cet avantage compétitif, pour designer d’autres pièces, en économisant des ressources, que la FIA sanctionne particulièrement. C’est aussi pourquoi elle n’a pas intimé l’ordre à Racing Point de designer d’autres conduits de freins sous sa propre propriété intellectuelle.
Pourquoi ne pas, non plus, disqualifier Racing Point lors de tous les Grands Prix disputés jusqu’à présent ? Car il s’agit d’une infraction au règlement sportif, précise la FIA, et non au règlement technique et « par conséquent, il n’est pas nécessaire de considérer, comme sanction par défaut, une disqualification, comme ce serait le cas pour une infraction au règlement technique. »
La FIA a noté aussi des circonstances atténuantes pour Racing Point : la difficulté d’interprétation du règlement, l’absence de directive claire de la FIA sur la transition entre pièces listées ou non, le manque d’informations à disposition de la Fédération l’hiver dernier, le fait que Racing Point aurait pu aussi s’appuyer sur des photographies pour copier, autant que faire se peut, le design de la Mercedes, et la « transparence » et « l’ouverture » de Racing Point dans cette affaire (mais dans ce cas, Renault pourrait souligner que Racing Point n’a pas fait part de cette philosophie de conception lors de la visite de la FIA à l’usine, en mars dernier…)
Cela explique pourquoi la sanction de la FIA est « mi-chèvre, mi-chou ». Racing Point ne perd des points que sur le premier Grand Prix, mais pas sur les deux suivants (car « une réprimande semble suffisante pour la FIA ») étant donné que la pénalité de Styrie couvre les infractions constatées de manière juste selon la FIA.
Par ailleurs, seuls les points de Racing Point au classement des constructeurs sont retirés. Lance Stroll et Sergio Pérez conservent leurs unités.
En somme, la FIA a bien constaté l’infraction de Racing Point s’agissant des conduits de frein arrière (pas avant), par un processus de rétro-ingénierie illégal du point de vue chronologique et du règlement sportif. Cependant, étant donné les zones grises du règlement, et les circonstances atténuantes évoquées ci-dessus, les Racing Point ont évité une sanction qui aurait être pu bien plus sévère.
Mais reste à voir ce que donnera un éventuel appel…
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