Ces ‘barrières’ qui empêchent les femmes d’arriver en F1
Les préjugés, les sponsors, le marketing, la physique…
Le sport automobile a beau censé être accessible aux hommes comme aux femmes, dans ses catégories supérieures, y compris en F1, il reste cependant, dans les faits, un sport de pilotes masculins.
Depuis Susie Wolff avec Williams en 2015, jamais aucune femme n’a semblé proche d’un volant de F1 – et seule une, Lella Lombardi a marqué un point (un demi-point pour être exact) en championnat du monde.
Michelle Gatting, pilote danoise, spécialiste d’endurance, n’a pas elle à rougir de son pedigree : elle a par exemple fini 4e puis 5e de l’European Le Mans Series (2019 et 2020) et a terminé quatre fois dans le top 10 aux 24 Heures du Mans en GTAm. Elle est aussi une membre des Iron Dames, l’équipage 100 % féminin d’Iron Lynx en endurance (avec des résultats très honorables dans des championnats comme le WEC et l’IMSA notamment).
De surcroît, plus jeune, Gatting s’était affirmée comme une des espoirs du sport automobile danois : à l’âge de 8 ans, elle courait en karting avec un certain Kevin Magnussen (et le battait parfois), tandis qu’en 2011 elle finissait 3e de la Formule Ford danoise.
Alors pourquoi finalement, Gatting n’a pas eu une carrière à l’image de celle de Kevin Magnussen ? Qu’est-ce qui a pu spécifiquement l’empêcher, en tant que femme, de passer une vitesse encore supérieure dans sa carrière ?
A l’heure où la F1 cherche à amener plus de femmes dans le sport à travers divers programmes, le témoignage de Gatting à la BBC peut être éclairant…
« À certains moments, j’ai vraiment dû sortir mes poings et faire des choses qu’une femme ne ferait probablement pas normalement. Je devais me battre pour me faire respecter. »
Et Gatting raconte comment elle s’imposait parfois durement face aux garçons ! En Suède, un pilote de karting l’avait poussée hors-piste...
« Mon père m’a appris que tu dois leur rendre la monnaie de leur pièce. »
« Au final, j’ai dû retrouver ce type. Depuis, il a compris. J’étais probablement l’un des pilotes les plus craints du paddock parce que les gens avaient peur de moi, mais ils ne me poussaient pas hors de la piste. C’est comme ça que j’ai gagné le respect. »
Gatting raconte un autre épisode de pur sexisme... lui assez récent visiblement.
« Ils voient notre voiture sœur derrière eux et laissent passer les gars. Dès qu’ils voient à nouveau ma voiture rose, ils commencent à se défendre. C’était de l’ego pur. »
« A la fin, je passe un de ces pilotes et je finis par le distancer. Ça a blessé son ego. On pouvait l’entendre crier à travers son casque. »
Un effet marketing ?
On trouve tout de même des femmes à des postes de pilotes de réserve ou de développement : par exemple Jamie Chadwick (photo), la championne des W Series, chez Williams.
Mais Gatting ne croit pas du tout que Williams veuille faire un jour de sa pilote un pilote titulaire, et dénonce les coups marketing joués par certaines équipes.
« La F1 doit s’ouvrir à l’idée qu’elle peut avoir une femme à un bon niveau de compétition, parce qu’elle a essayé de faire entrer des filles en F1 comme outils de marketing et comme "pilotes d’essai", mais au bout du compte, cela n’a pas donné grand-chose. Mais c’était bon pour les images d’avoir une femme à côté de deux pilotes de F1. »
Des monoplaces inadaptées ?
Jamie Chadwick justement, partage en quelque sorte le scepticisme de sa collègue danoise, mais pas exactement pour les mêmes raisons.
Pour Chadiwck en effet, les F2 ou F3 sont inadaptées pour les femmes en raison de quelques contraintes physiques particulières...
« C’est définitivement un sport physique, et en F1, une grande partie de la voiture est complètement adaptée au pilote. La direction assistée en particulier. Mais dans une série standard, comme la F2 ou la F3, tout le reste a été conçu autour du pilote masculin moyen, et n’a pas de direction assistée. »
« Je pense qu’il est possible pour les femmes de concourir dans n’importe quel championnat, mais le niveau physique requis pour y parvenir est très élevé. Donc si vous êtes une fille de 16 ou 17 ans qui se développe plus tard que ses homologues masculins, je ne comprends pas comment on peut s’attendre à ce que vous soyez au même niveau physique que certains des plus jeunes gars. »
Une action de long terme pour la FIA
Présidente de la Commission de la FIA chargée des femmes dans le sport automobile, et propriétaire des Iron Dames, comment est-ce que Deborah Mayer reçoit le témoignage de Gatting et de Chadwick ?
Ne reste-t-il pas encore beaucoup à faire pour que les femmes puissent enfin avoir les mêmes chances ou le même traitement que les hommes pour accéder au sommet du sport automobile ? Comment s’y prendre ?
« Je pense que la première chose à faire est d’élargir la base de la pyramide - nous devons développer la vocation des plus jeunes. »
« Je suis sûre que davantage de femmes vont accéder aux catégories supérieures du sport automobile, qu’il s’agisse d’hypercars ou de monoplaces. Mais pour ce faire, nous devons créer la structure qui leur permettra de briller et de se développer. »
« Je pense que le flux viendra naturellement - ce qui est important, c’est de montrer aux femmes qu’il y a des possibilités dans le sport automobile. C’est un processus à long terme. Cela prendra du temps, mais cela viendra. »
Mayer promet-elle aussi que la FIA adaptera la physique des monoplaces, comme suggéré par Chadwick ?
« Il y a beaucoup de domaines qui pourraient bien sûr être adaptés ou abordés. C’est un processus à long terme. »
« Lorsque vous essayez d’introduire des modifications et des changements, cela ne peut pas se faire tout d’un coup - c’est un processus étape par étape. »
Plusieurs initiatives ont été lancées par les équipes et par la FIA : notamment le programme ’Girls on Track’ soutenu par la Scuderia Ferrari. La F1 a aussi lancé une formule de promotion de type F4, la F1 Academy, qui sera réservée aux femmes et que la F1 financera à hauteur de 2 millions de livres annuels.
Ce qui donne finalement beaucoup d’espoir à Gatting, c’est la dynamique qui est enclenchée pour l’égalité et qui semble presque inéluctable, conclut-elle.
« Il y a eu des barrières - y compris des sponsors qui n’arrivaient pas à se faire à l’idée qu’une femme conduise une voiture - et elles sont toujours là, mais elles sont de plus en plus petites. Il y a des femmes qui peuvent aller jusqu’en F1. »
« Si vous me posiez la question il y a quatre ans, je ne me rendrais pas compte du chemin parcouru en si peu de temps. Nous voulons inspirer et essayer d’encourager davantage de jeunes femmes à se lancer dans ce sport. »
« Chez les Iron Dames, nous avons toutes connu des hauts et des bas en tant qu’athlètes. Ce n’est pas facile d’en arriver là. »
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