Allison chez Mercedes F1 : d’un homme ‘à la dérive’ aux razzias de titres, une histoire à part
Il raconte aussi l’évolution de son rôle
La nouvelle est ainsi tombée – mais elle était connue depuis de nombreuses semaines chez Mercedes : James Allison, le directeur technique de l’équipe, prendra du recul à la fin de la saison (pour être nommé directeur technique en chef ou superviseur technique). Mike Elliott le remplacera poste pour poste.
Directeur technique en chef : une évolution logique du rôle d’Allison ?
En vérité, James Allison ne fait que passer à une étape logique de sa carrière, reflétant notamment l’évolution du rôle de directeur technique. De plus en plus, le directeur technique est celui qui met en effet de moins en moins « la main dans le cambouis » ou dans la planche à dessins ; avec le temps, et comme James Allison l’a constaté durant ses 25 ans de carrière et plus en F1, le rôle du directeur technique a bien changé. Le grand public se représente encore le rôle d’ingénieurs-génies, trouvant une solution miracle tel Archimède dans son bain, pour débusquer la faille d’un nouveau règlement.
Mais cette image appartient au passé. Comme James Allison nous le confiait il y a un peu plus d’un an, le directeur technique est bien plus un superviseur, un manager, qu’un ingénieur pur.
« C’est vraiment un travail différent maintenant. Lorsque les équipes étaient plus petites, elles avaient tendance à être dirigées dans un style très autocratique par quelqu’un ayant une personnalité extrêmement forte - ce qui est la manière polie de dire que cette personne était une brute horrible. Les équipes travaillaient sous les coups de fouet d’une personne dont la vision se reflétait sur chaque partie de la voiture. »
« Mais ce modèle ne fonctionne tout simplement plus. Une fois que l’équipe dépasse une certaine taille, on ne peut plus tout couvrir. L’organisation est bloquée par l’incapacité à prendre des décisions - parce que le décideur ultime ne peut plus décider assez rapidement. »
« Aucune personne ne peut être responsable de l’ensemble de ces choses, parce que le tableau d’ensemble à gérer est très vaste. Vous ne pouvez tout simplement pas avoir l’étendue des connaissances professionnelles nécessaires pour être un expert dans tous les domaines, dans ce sport réputé complexe. »
« Et donc cette mission [construire une voiture rapide] est répartie entre plusieurs volontaires. Mon rôle - je suppose - est de me coordonner avec ces personnes pour essayer de trouver un consensus entre elles, lorsque la voie à emprunter, pour le développement, ne va pas de soi. Il m’arrive de prendre des décisions seul, parce qu’il faut alors simplement que quelqu’un prenne une décision. »
« Ce travail est similaire à celui de beaucoup de postes de direction, en le sens qu’il nécessite de fixer des objectifs et de mettre en place des ressources nécessaires pour les atteindre. Bien sûr, quand je le dis comme ça, cela semble être le pire travail du monde - et pourtant, c’est le plus brillant, le plus excitant, celui qui nécessite de travailler le plus dans l’urgence aussi. »
En somme James Allison, en prenant davantage de recul encore dans son rôle de directeur technique en chef, ne fait finalement que suivre l’évolution logique de son propre poste. Et si finalement Mercedes, avec cette mise en retrait, avait inventé une nouvelle profession rationnelle et en phase avec l’évolution d’un sport de plus en plus technologique ?
James Allison, lié à la vie avec Mercedes et Toto Wolff
Cependant, on le sait, le retrait progressif de James Allison tenait aussi à d’autres raisons, notamment personnelles.
Si James Allison a quitté Ferrari pour Mercedes en 2016, c’était aussi en raison d’un drame personnel (la disparition de sa femme), qui l’avait poussé à se rapprocher de sa famille près de Brackley, au Royaume-Uni.
C’est cet épisode qui a lié à vie James Allison avec Mercedes, et c’est ce qui fait qu’une sorte de reconnaissance profonde existera toujours entre Toto Wolff, Mercedes et Allison, quels que soient les résultats. C’est ce qui explique aussi pourquoi les hommages ont été aussi unanimes, et pourquoi la transition a pu se faire de manière si fluide, sans que Mercedes ne recherche à faire pression sur son directeur technique pour qu’il reste à son poste actuel.
Au début de l’année dernière, James Allison revenait justement sur cet épisode émouvant…
« J’étais un peu à la dérive à l’époque. Et je porte toujours ce deuil quatre années après. Mais alors, je pleurais dans ma voiture en allant au travail et en y revenant. Et je savais que j’espérais être utile au travail, pour que je me remette sur pieds. »
« C’était plus un espoir qu’une certitude. L’une des choses pour lesquelles je suis tant reconnaissant pour Mercedes, c’est que, dans cette partie de ma vie où tout allait à l’envers, où rien n’était normal, la partie la plus familière de ma vie restait mon travail, c’était le rythme des courses, la pression de développer une voiture, l’excitation de la victoire, les défis rencontrés au cours d’une saison. Tout cela me semblait familier, et c’était la seule partie de ma vie à l’être. J’ai été très chanceux de m’être vu accorder une place dans une équipe qui était très chaleureuse, dans une équipe qui n’avait pas besoin de moi, mais qui m’a accueilli à bras ouverts, m’a fourni l’espace pour travailler, et qui a créé un environnement dans lequel je pouvais être utile, où je pouvais porter mon deuil, récupérer, tout en ayant le travail le plus enviable et brillant dans toute la pitlane. Donc je me sens plus proche de Mercedes en particulier pour m’avoir accordé cela. »
Des liens forts avec Toto Wolff… et Bob Bell
Ainsi chez Mercedes, James Allison a toujours grandement estimé Toto Wolff, pour lequel il confiait encore au printemps 2020, son admiration.
« Toto apporte, et a apporté, de la stabilité sur plusieurs années et une façon de nous motiver toujours plus pour atteindre les plus hauts standards possibles. C’est à chaque fois considéré comme un nouveau défi. Et un standard ne fait qu’évoluer. Toto sait le faire, avec humour, justesse, et un certain degré de bienveillance qui fait que Mercedes F1 est l’une des meilleures équipes où travailler. En interne, il est un leader fantastique, en externe, il nous protège du repère de requins que la F1 peut parfois être. Il est l’un des piliers les plus importants des succès de cette équipe et c’est pourquoi j’espère qu’il sera encore avec nous pour de nombreuses années »
Mais l’homme que James Allison a le plus admiré chez Mercedes était en réalité… Bob Bell. L’ancien de Renault avait rejoint Mercedes comme directeur technique, en 2011, et avait quitté l’équipe en 2014, son devoir accompli.
« Il y a beaucoup de personnes que j’admire » confiait ainsi James Allison, « mais pas autant que Bob Bell. Et cela pourrait être un nom un peu surprenant, car j’ai aussi travaillé avec des grands noms dans le sport. »
« Bob est un ingénieur, mais toute personne qui a eu le plaisir de travailler avec lui, n’aura que de bonnes choses à dire sur lui. Son jugement est le plus clair, de manière incroyable. Et, ce qui est encore plus impressionnant, il a une intégrité absolument irréprochable, qui est un exemple pour tout le monde. »
« On ne prononce pas forcément beaucoup son nom. Mais c’est probablement la personne, l’ingénieur, qui m’a le plus influencé. Il place toujours l’équipe en premier, et lui-même en second. Il est juste une personne fantastique. »
L’histoire entre James Allison et Mercedes aura été ainsi traversée de succès incroyables, qui laisseront des traces durables dans le panthéon du sport. Allison a marqué l’histoire autant que les grands du sport, comme Newey, Chapman ou Ross Brawn. Osmose professionnelle, osmose personnelle : James Allison ne sera pas simple à remplacer. Mais après tout, Allison a bien remplacé Bell…
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