Un pilote payant chez Williams ? Stroll doit encore s’acheter une légitimité

Réflexions sur un statut déstabilisant psychologiquement

Par Alexandre C.

6 novembre 2016 - 15:37
Un pilote payant chez Williams ? (…)

C’était un secret de Polichinelle : la décision de titulariser Lance Stroll aux côtés de Valtteri Bottas l’an prochain datait de déjà plusieurs mois. L’écurie de Grove n’a donc pas attendu que le Canadien finisse sa saison de Formule 3 européenne pour décider d’en faire le remplaçant de Felipe Massa. Heureusement, le jeune pilote de 18 ans a réalisé une fin de parcours exceptionnelle, aucun doute là-dessus. Avec 14 succès en 30 courses cette saison, il a écrasé la concurrence dans sa catégorie junior.

Quand on sait qu’Esteban Ocon fut champion de F3 avec moins de marge et que Max Verstappen lui-même ne termina « que » vice-champion avant de faire le grand saut chez Toro Rosso, ne badinons pas : oui, Lance Stroll mérite sa place en Formule 1.

Le problème, c’est qu’il n’est pas le seul. Les futurs champions GP3 et GP2 de cette année le mériteront aussi. Alors, pourquoi Stroll et pas eux ? Parce qu’ils n’ont pas de père milliardaire ! Ce n’est un secret pour personne : depuis ses débuts en compétition automobile, Lance Stroll bénéficie d’un soutien financier massif de la part de son père. Rien que pour le préparer à sa saison en F1, celui-ci aurait déjà déboursé plus de 70 millions d’euros (quasiment le budget de Manor !) pour offrir des tests (avec une Williams 2014) à son fils. Pour l’égalité des chances, on repassera, mais c’est la règle du jeu.

Lance Stroll apporte certes de l’argent à Williams, mais que dire d’un Sergio Perez par exemple ? Le Mexicain apporte plusieurs millions à Force India grâce au soutien du milliardaire Carlos Slim. Et pourtant, il n’a pas la réputation d’être un pilote payant, notamment grâce à ses excellentes performances. En réalité, de nos jours en F1, il n’y a pas d’un côté les pilotes payants et les pilotes arrivés au sommet par leur propre talent. Chaque pilote apporte son lot de billets verts, même Fernando Alonso (avec la banque Santander) ou Romain Grosjean quand il était chez Lotus (avec le soutien de Total). Lance Stroll est dans cette lignée.

Certes, Lance Stroll n’a ni volé ni acheté totalement sa place en F1. Sa saison en F3 l’a assez prouvé. Cependant, il sera constamment sous pression en 2017 en raison de son statut (mérité ou non) de pilote payant. C’est ce qui devrait lui nuire le plus. On lui pardonnera moins les erreurs que chaque débutant ne peut manquer de commettre. Moins qu’à un Esteban Ocon ou à un Pascal Wehrlein par exemple, car eux n’ont pas payé de leur poche pour piloter chez Manor (même si, sans le soutien de Mercedes, leur titularisation n’aurait pas été possible).

Par-dessus le marché, Lance Stroll commence d’emblée dans une écurie historique de la F1, pour remplacer une figure du plateau, Felipe Massa. Les fans du Brésilien, les fans de Williams et, de manière générale, tous ceux qui pensent que Lance Stroll a acheté son baquet, ne pardonneront aucun écart au Canadien.

Toute la mission de Lance Stroll sera de se défaire la saison prochaine de sa réputation de pilote payant. Qui risque de lui coller à la peau, comme le sparadrap du Capitaine Haddock, si jamais il accumule les bourdes. Qui pourrait le déstabiliser psychologiquement. Qui pourrait, enfin, entacher la réputation de Williams, réduite à n’être qu’une écurie de plus embauchant des pilotes payants.

C’est pour cela que depuis sa nomination, Lance Stroll n’a cessé de répondre à ses accusateurs. Et il prépare déjà le public à d’éventuelles erreurs : « Je dois apprendre beaucoup de choses pour l’an prochain, et je suis un rookie, donc il se peut que je commette quelques erreurs en apprenant de nouvelles choses. (…) Il y a aura beaucoup de choses nouvelles pour moi, parce que je commencerai de zéro. »

Du côté de Claire Williams, le ton ne varie pas. La directrice de l’écurie répète à longueur de journée que son choix n’a pas été dicté par des impératifs financiers : « Je voudrais être très claire. Williams a été une équipe, ces dernières années, qui a clairement déclaré qu’elle ne permettrait pas que des considérations financières dictent le choix des pilotes. Et nous avons absolument respecté cette intention cette année. L’argent ne dicte pas la performance du pilote dans le cockpit. Vous êtes performant ou vous ne l’êtes pas. Lance a prouvé qu’il avait ce talent. Il doit faire le boulot l’an prochain en F1, pour mettre fin à ces rumeurs. »

Que la direction de Williams répète le même discours n’est pas anodin. Il n’y a pas de fumée sans feu. Lance Stroll pâtit bien d’un soupçon d’illégitimité qu’il s’agit d’étouffer le plus vite possible. Le problème avec ce genre de déclarations, c’est que cela conforte, dans le sentiment du public, le fait qu’il y a quelque chose qui cloche. Pour dresser un parallèle, prenons, au hasard, le cas d’un Jean-François Copé ou d’un Nicolas Sarkozy. Les deux candidats à la primaire de la droite et du centre en France sont souvent interrogés sur leurs « affaires ». Ils répètent à l’envie qu’ils n’ont jamais été condamnés, et que jusqu’à preuve du contraire, ils sont innocents. Et c’est parfaitement vrai. Mais le fait même qu’ils soient obligés de réaffirmer leur innocence n’est pas sans conséquence dans l’esprit du grand public. Ils ont beau dire qu’ils sont innocents, c’est tout de même bizarre qu’on les interroge sur ces affaires… C’est le même raisonnement que l’on peut suivre pour Claire Williams : elle répète sans cesse que Lance Stroll n’est pas un pilote payant ; c’est peut-être vrai, mais si elle le répète sans cesse, c’est qu’il y a bien un soupçon quelque part... Réfuter une calomnie, c’est sûrement utile, mais on parle tout de même toujours de la calomnie.

Imaginons donc, l’an prochain, que Lance Stroll commette quelques bourdes. Immédiatement, le Canadien doit s’attendre à une salve de critiques : c’est un pilote payant, "papa Stroll" a acheté sa place, il ne vaut pas Massa… En 2015, tout le monde attendait aussi la première erreur de Max Verstappen (comme à Monaco) pour lui tomber dessus, à cause de son âge, cette fois-ci. Le Néerlandais a réussi à effacer son soupçon d’illégitimité (son trop jeune âge) sur la piste. Lance Stroll, l’an prochain, fera face au même défi : prouver qu’il mérite pleinement sa place en F1. D’autres, comme Stoffel Vandoorne, n’ont déjà plus ce problème. C’est un avantage psychologique immense. Bon courage à Lance Stroll, donc ! Il n’y a qu’une seule chose que son père ne pourra acheter : sa légitimité !

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