Le déclin de Williams : une évidence logique et financière

La loi des rendements décroissants l’explique

Par Alexandre C.

10 août 2016 - 15:30
Le déclin de Williams : une évidence

Janvier 2016. Les tests de pré-saison n’ont pas encore commencé. Après deux saisons très encourageantes chez Williams, Felipe Massa se sent pousser des ailes et croit à une première victoire avec l’écurie de Grove. “Nous en sommes vraiment vraiment proches, nous avons eu quelques podiums l’an dernier et peut-être encore plus l’année précédente en 2014, et nous espérons vraiment pouvoir renouer avec la victoire, retrouver une voiture vraiment assez rapide pour jouer la victoire.” Confiant dans "les plus grosses évolutions" qu’il a "jamais vues" en période de règlement stable, Felipe Massa pense comme nombre d’autres observateurs ou acteurs de la F1 : Williams jouera les podiums à chaque course.

Mars 2016. Après les premiers essais libres à Melbourne, le ton du Brésilien a changé. "Je souhaite avoir tort mais je pense que nous ne sommes pas au niveau pour jouer le titre. Je doute même que Ferrari le soit. A mon avis cela va encore se jouer entre Hamilton et Rosberg. Il y a des signes qui ne trompent pas en piste, même sur piste humide," confie alors Massa.

De 2015 à 2016, une chose est sûre : Williams a régressé sur le plan comptable et dans la hiérarchie générale. Les monoplaces blanches ne sont plus que la 4e force du plateau – la 5e si l’on considère les dernières courses, car Force India pousse fort derrière. Mais déjà, et on l’oublie trop souvent, la saison 2015 avait été moins réussie : 257 points marqués contre 320 en 2014.

Alors quoi ? Doit-on vraiment pester contre les ingénieurs Williams, qui auraient construit une monoplace bien moins équilibrée que les précédentes, plus rétive, moins confortable à conduire ? Non, la Williams de cette année est un progrès par rapport à celle de l’année dernière. Les temps au tour le prouvent. Williams n’a pas fait pire. Mais elle a beaucoup moins progressé que d’autres. Est-ce la faute des ingénieurs Williams qui seraient subitement devenus moins inspirés ? Des pilotes ? De la stratégie ? Non pas. La régression de Williams est tout simplement un retour à la normale. N’accablons pas les ingénieurs Williams et gardons à l’esprit qu’ils sont deux fois moins nombreux que dans d’autres écuries.

Williams n’est que le 6e budget du plateau de la F1, de loin distancé par les écuries de pointe ou soutenues par un constructeur (Mercedes, Red Bull, Ferrari, McLaren et désormais Renault). L’écurie de Grove joue plutôt dans la catégorie de Force India ou de Toro Rosso, même si son budget est supérieur à ces deux dernières écuries.

Mais le fait est que Williams, avec un budget deux fois moindre que les pontes du plateau, devait forcément, en période de règlement stable, régresser dans la hiérarchie. Telle serait la conclusion à tirer d’une loi qui fait florès dans l’économie comme dans le sport : celle des rendements décroissants. Selon cette loi, plus le temps passe, plus l’on exploite une technologie, une terre agricole dans l’exemple classique, plus les gains (le rendement de la terre) sera modeste. En conséquence, appliqué au règlement de la F1, cela donne la propriété suivante : plus le temps passe dans un règlement stable, plus les équipes ayant le plus gros potentiel refont leur retard.

Cette loi, un acteur de la F1 la connaît bien pour l’avoir invoquée à plusieurs reprises – il s’agit de Toto Wolff, le directeur de Mercedes AMG F1. Au sujet de la réglementation moteur – stable elle aussi sur plusieurs années – il confiait l’été dernier que l’avantage moteur de Mercedes tendrait à se réduire au fil des années. "Avec la réglementation moteur, c’est une loi des rendements décroissants. En théorie, notre courbe d’apprentissage va s’aplatir un peu et celui qui a du retard a une plus grande courbe d’apprentissage que nous. A un certain moment, ces deux trajectoires vont se croiser."

C’est précisément ce qui arrive pour les moteurs – l’on voit le moteur Renault raccrocher le moteur Mercedes. C’est précisément ce qui arrive à Williams – l’écurie est dépassée par ceux dont la courbe d’apprentissage a plus de potentiel en raison de budgets plus importants. Avec le temps, en cette troisième année de stabilité réglementaire, il n’est donc pas étonnant de voir peu à peu la logique des budgets l’emporter. Oui, Williams a pu créer la surprise en 2014 et en 2015 en capitalisant sur les bénéfices du moteur Mercedes et sur une audacieuse prise de risques budgétaire. Mais il ne s’agit que de faire illusion.

Ne nous leurrons pas sur le statut de Williams : certes, il s’agit d’une écurie au passé immense, certes, le nom est prestigieux, mais Williams est et demeure avant tout, en 2016, une écurie aux moyens deux ou trois plus modestes que Ferrari, Red Bull et autres. Reprocher à Williams de ne pas lutter pour des podiums au bout d’une troisième saison de stabilité réglementaire serait comme reprocher à Leicester de n’avoir pas remporté trois fois le titre en Premier League.

Bien sûr, il est à parier que McLaren et Renault ne tarderont pas à dépasser Williams à leur tour. Toutefois, le changement réglementaire de l’année prochaine donne à Williams une nouvelle occasion de refaire le "coup" de 2014... Mais rien n’est acquis, et Williams peut continuer à reculer comme rebondir. Dans tous les cas, il faudra rentre justice à l’excellent choix de Claire Williams en 2013. La fille de Franck avait décidé de faire un pari – qui eût pu s’avérer tragique : miser davantage pour le grand changement de 2014. Coup de poker, coup de maître : l’écurie est revenue au premier plan. Qu’elle regagne aujourd’hui l’ombre relève de la logique.

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