Jackie Stewart, souvenirs du Mexique
200 000 personnes, un chien et un playboy
Alors qu’il avait prévu de s’éclipser dès la fin du Grand Prix d’Austin, le triple champion du monde Jackie Stewart a revu ses plans afin de pouvoir féliciter Lewis Hamilton dès lors qu’il est devenu clair que son compatriote égalerait son record à l’issue de la course.
Loin d’être prétentieux, le natif d’Écosse, auréolé de 27 succès en 99 Grands Prix, avait également mis un point d’honneur à saluer Alain Prost et ses quatre titres de champion.
« Quand Alain a battu mon record, je me souviens que nous avions bu une coupe de champagne. Je n’étais pas triste, bon sang ! J’estimais important de lui serrer la main. Quand j’ai battu le record de Jim Clark, il n’était pas là pour serrer la mienne. »
« Je ne pense jamais à ces trois couronnes de champion, vraiment. Je sais évidemment que j’ai trois titres à mon palmarès, mais ça fait 42 ans que j’ai signé ce record anglais. Ça ne m’avait pas traversé l’esprit jusqu’à ce que je le lise dans un journal. »
Et puisque l’heure est à la fête pour le retour du Grand Prix du Mexique, Stewart nous fait part de ses souvenirs, entre public chaleureux mais inconscient, accidents et glamour.
« J’ai décroché mon premier titre en 1969, mais j’aurais pu en faire de même l’année précédente sur ce circuit si je n’avais pas dû abandonner suite à une fuite de carburant. En 1970, j’y suis donc retourné en tant que champion. Les gens s’asseyaient les jambes croisées au bord du circuit et n’en bougeaient plus. Les Mexicains sont adorables, très amicaux, mais ce ne fut pas facile de persuader 200 000 personnes de reculer de quelques mètres. L’organisateur de la course nous avait demandé, au héros local Pedro Rodríguez et à moi, de faire le tour du circuit et de parler à la foule. Pedro et moi étions alors descendus de voiture, avions signé quelques autographes et imploré les gens de bouger, sans quoi nous n’aurions pas pu courir. »
« Ils étaient très gentils et si contents de nous voir qu’ils se sont exécutés. Satisfaits, nous étions remontés dans nos voitures mais à peine avions-nous parcouru 100 mètres qu’ils s’étaient réinstallés jambes croisées au bord de la piste. L’organisateur avait donc insisté pour annuler la course mais avait dû plier après avoir reçu des menaces de voir les garages s’embraser. »
« La course s’est donc tenue, mais elle s’est terminée pour moi quand j’ai heurté un chien à près de 260 km/h. Ce fut un gros accident et, à cette vitesse, impossible de l’éviter. Boum. Voiture hors service. Je ne me suis pas préoccupé du chien, mais j’imagine qu’il ne devait pas en rester grand-chose… »
« À cette époque, il n’y avait pas de clôtures. Le dernier virage, Peraltada, était légèrement relevé et plutôt rapide. Il fallait bien le prendre parce qu’il y avait ensuite la ligne droite, et personne ne voulait perdre de temps à cet endroit. Mais ce n’était pas chose facile avec des spectateurs de partout. Quand on se repenche sur certaines courses de l’époque, il n’y avait parfois que des monticules de sable qui nous séparaient du public. »
À la tête d’une croisade pour rendre les pistes plus sûres, Stewart n’a pas eu la partie facile.
« C’est extraordinaire qu’il n’y ait pas eu plus d’accidents. Personne ne voulait écouter et c’était très frustrant. Il y a eu une période où nous perdions bien trop de camarades. Les pilotes me soutenaient, mais ils avaient peur de perdre leur baquet. Nous avons fini par faire évoluer les choses mais ce fut difficile. »
Mais en dépit des problèmes de sécurité, les années 60 avaient aussi du bon…
« Quand nous nous rendions au Mexique, Jimmy Clark, Graham Hill et tous les autres allions à Acapulco. La première année, nous sommes descendus à un petit hôtel, Las Brisas. Enfin, pas si petit en fin de compte. C’était le premier hôtel que je fréquentais avec une piscine dans chaque chambre. Et en fait de chambres, c’étaient plutôt de petites villas à flanc de colline… C’était une époque colorée et glamour dont on ne soupçonne pas l’existence si on ne garde son attention que sur la ville de Mexico. C’était incroyablement exotique et le Grand Prix était une manifestation extraordinaire. Graham était mon coéquipier et une personnalité extra, Jochen Rindt paradait et Chris Amon jouait presque au playboy. »
Et si aujourd’hui Hamilton peut faire jaser dans le paddock, Sir Jackie Stewart ne bronche pas : « Lewis aurait parfaitement collé à notre époque. Évidemment, c’est un compétiteur. »