Interview - Norman Nato, la Formule 1 en tête pour 2017
Beaucoup d’envies, beaucoup d’options
Norman, c’est long huit semaines sans rouler en GP2 ! Comment restez-vous sous pression ?
Norman Nato : J’ai fait une coupure de quelques jours après la dernière course car la deuxième partie de saison est intense. Et puis je me suis très vite remis à l’entraînement - footing, salle de sport, karting - pour arriver en parfaite condition physique au dernier Grand Prix de la saison la semaine prochaine à Abu Dhabi. Le circuit de Yas Marina est exigeant et il y fera chaud. Ajoutez à cela que les GP2 sont des monoplaces très physiques à piloter, et tout est réuni pour l’un des rendez-vous les plus difficiles de la saison !
On dit que les actuelles F1 sont plus faciles à conduire que les GP2. Si c’est le cas, pour quelle raison ?
Norman Nato : Tous ceux qui ont eu l’occasion de rouler cette saison dans les deux voitures vous le diront : une GP2 est plus physique à piloter qu’une F1 actuelle. Aller vite à son volant est plus facile qu’avec l’une de nos monoplaces. En GP2, nous n’avons pas de direction assistée, notre pédale de frein est dure. Bien sûr, les F1 ont une vitesse de pointe plus élevée et elles freinent plus court. Mais dans les secteurs transitoires, à moyennes et basses vitesses, nous évoluons quasiment à la même cadence. Ce qui réclame en revanche un temps d’adaptation sur une F1, c’est de pouvoir optimiser la performance en réglant en permanence certains organes de la voiture à l’aide d’interrupteurs au volant : le différentiel, les cartographies moteur, les stratégies d’embrayage, la répartition de freinage d’un virage à l’autre. Une GP2 n’offre pas toutes ces possibilités. On s’y fait vite : comme tous ceux de ma génération, je suis né avec une manette de jeu dans la main !
Cela signifie-t-il, inversement, que les F1 ne sont aujourd’hui pas assez difficiles à piloter ?
Norman Nato : Je crois que la F1 a décidé de revaloriser la part du pilotage dans l’accomplissement de la performance. Si l’on écoute le paddock, c’est ce que les pilotes attendent. Le public sans doute aussi. La F1 doit être le summum de la technicité et de la difficulté.
Summum de la technicité, elle ne l’est plus vraiment...
Norman Nato : C’est excessif de dire ça ! La F1 est le summum de la technologie dans le cadre du règlement qui a été choisi. Une monoplace de F1 est une merveille d’optimisation technologique. Rendement, poids, fiabilité, tout est poussé à l’extrême, aux limites, comme dans aucune autre catégorie. Si vous voulez parler en revanche des nouvelles solutions énergétiques, il est vrai que la F1 ne prend pas cette voie. La Formula E et les recherches engagées par la FIA et l’ACO pour développer la propulsion électrique en Endurance nous engagent sur des voies résolument plus avant-gardistes. C’est normal : depuis toujours, la compétition a ouvert la voie pour l’industrie. Le sport auto est là pour faire la trace. Une nouvelle ère s’annonce.
Quels sont les avantages pour un pilote d’entrer en F1 très jeune - et pour une écurie d’engager un pilote très jeune ?
Norman Nato : La F1 n’est pas une Formule de promotion. On n’y vient pas pour apprendre, mais au contraire pour y montrer son excellence un volant en mains. Cela suppose d’avoir des qualités que l’on acquiert au fil de sa carrière. Il est extrêmement rare d’avoir cette maturité très tôt. On ne fait plus à 25 ans les erreurs de jeunesse que l’on commet à 20 ans. A 18 ou 20 ans, on est bouillant ; à 25 ans, on bout toujours, mais il y a un couvercle sur la marmite...
Tous les pilotes de haut niveau se vaudraient plus ou moins, et l’expérience suffirait à faire la différence ?
Norman Nato : Les pilotes sont plus ou moins rapides et ils savent plus ou moins bien mettre à profit leur expérience. A l’arrivée, ces différences de compétences créent de grosses différences de performances ! Un pilote apporte à une écurie sa rapidité. C’est son job pendant quelques minutes et il doit être plus rapide que le voisin. Mais pendant des heures, des jours, il lui offre surtout son expérience dans le développement d’une voiture, sa maturité dans la gestion des situations de crise. Quand une voiture est parfaite, supérieure aux autres, quand l’équipe maîtrise toutes les composantes de la performance en essais et en course, quand donc tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes parfait, vous pouvez mettre un pilote de karting dans une F1 et, à minima, il fera le job. Mais quelle équipe pose une voiture en permanence parfaite sur la piste ? Quelle course se déroule exactement selon le scénario idéal ? C’est dans ces moments-là, c’est à dire 99% du temps, que l’expérience fait la différence. L’expérience, c’est la plus grande richesse du sportif de haut niveau. Ça ne s’achète pas, ça ne se décrète pas, ça s’acquiert avec le temps. Prost, Senna, Schumacher, ont rarement eu la meilleure voiture –loin de là ! Avant de pouvoir faire la différence en piste, ils la faisaient surtout en essais privés et hors du baquet. Capables, grâce à leur expérience, grâce à leurs qualités de fédérateurs, grâce à leur charisme, de créer une dynamique de travail, d’accompagner leur équipe technique, de partager les problèmes pour faire évoluer la voiture. Ce qu’ils réalisaient en piste n’était que la partie émergée de l’iceberg. Tous leurs coéquipiers de l’époque le racontent : l’essentiel du travail, ils le faisaient avant l’extinction des feux rouges. A 18 ou 20 ans, un pilote n’en est pas encore capable.
Max Verstappen ?
Norman Nato : Max Verstappen est l’exception qui confirme la règle. Je le connais bien, j’adore ! De la rapidité, de la fraîcheur, beaucoup d’audace et en même temps beaucoup de professionnalisme. C’est un pur compétiteur, façon karting que lui et moi avons beaucoup pratiqué à haut niveau. Max a de la fougue, il est toujours à l’affut, il ose : ne lui laissez jamais la porte ouverte ! Il fait grincer certaines dents. Moi j’espère qu’il ne changera pas en vieillissant.
Est-il possible aujourd’hui à un pilote de gérer lui-même sa carrière ?
Norman Nato : Est-il possible à une écurie de construire l’intégralité d’une F1, châssis et moteur ? Oui, mais elle doit pour cela fournir des efforts bien supérieurs aux autres qui peuvent parfois l’empêcher d’être au maximum dans tous les compartiments de la techniques et de la performance. Ce parallèle pour illustrer la complexité de notre métier de pilote. Dans un sport ultra-professionnalisé, nous devons être ultra-professionnels. En amont et en aval de la performance. C’est ce que l’écurie et chaque partenaire attend. Je dois donc, à chaque rendez-vous, sur la piste comme en dehors, être capable de donner le meilleur. Physiquement, intellectuellement, moralement. Et je dois en permanence repousser les limites de ce « meilleur ». J’ai choisir de m’entourer de grands professionnels, parmi les tous meilleurs dans leurs domaines respectifs, qui m’aident en permanence à repousser mes limites, à mieux analyser, à prendre les bonnes directions, les bonnes décisions. C’est valable pour ma préparation physique comme pour la gestion de ma carrière d’aujourd’hui et de demain. Faire cela tout seul ne serait, ni pertinent, ni efficace, ni professionnel.
Votre premier choix aujourd’hui pour la saison 2017 : rester en GP2 pour décrocher le titre qui vous échappe cette saison ? Accepter un baquet en F1 ? Partir au Japon ou au États-Unis où vos performances sont, semble-t-il appréciées ?
Norman Nato : Si j’ai des envies pour la saison prochaine, la première n’est pas celle de repartir en GP2. Ce serait le cas si j’avais la sensation d’avoir quelque chose à y démontrer. C’est entendu, je n’ai pas décroché le titre. Mais j’ai fait des pole positions, décroché des podiums, remporté deux Grand Prix - et Monaco aurait dû s’ajouter à cette liste. Analysez mes courses, chacun de mes tours, j’ai roulé souvent aux limites et parfois un peu au-delà pour rester devant. La suite ? J’ai fixé très tôt cette année les paramètres de décision pour l’avenir : examiner toutes les offres et choisir celle qui, sportivement, m’attirerait le plus. Cela en gardant constamment à l’esprit que je suis un jeune pilote en début de carrière et que ce qui brille le plus peut être une voie sans issue à moyen terme. J’ai été invité au Japon fin octobre à l’occasion du week-end de clôture de leurs championnats sur circuit. J’y suis évidemment allé et l’accueil a été impressionnant. Nous regardons aussi du côté des États-Unis, de l’Allemagne, de la F1 évidemment, mais aussi de la Formula E, un championnat qui devient très concurrentiel, très attractif, avec de nombreux constructeurs. Sans rentrer dans les détails, car je veux me donner le temps, certaines propositions permettent de s’engager sur plusieurs années, de partager un projet. Le résultat sportif immédiat, bon ou pas, fait votre humeur du dimanche soir. Moralement, intellectuellement, affectivement, la construction d’un projet est plus structurante. Aujourd’hui, c’est ce qui a clairement ma préférence. Mais je ne suis pas pressé de prendre ma décision, j’ai un championnat à terminer, de la meilleure manière qui soit !