Exclusif - Renault et Abiteboul font face à un dilemme de taille pour 2021

Grandir, ne pas trop grandir : les budgets plafonnés vont-ils provoquer une crise de croissance ?

Par Alexandre C.

2 septembre 2018 - 11:22
Exclusif - Renault et Abiteboul (...)

Directeur général de Renault F1 Team, Cyril Abiteboul doit planifier la montée en puissance de l’écurie, qui vise à terme le titre mondial.

Or pour ce faire, il faudra contourner plusieurs embûches ces prochaines années. La première d’entre-elles est d’origine extra-sportive : le Brexit. Un « no deal », ou « hard Brexit » pourrait fortement pénaliser Renault, une écurie installée à cheval entre France et Angleterre.

Cyril Abiteboul, que Nextgen-Auto a pu interroger en exclusivité dans le paddock de Monza, a-t-il déjà rédigé un « plan de secours » en cas d’échec des négociations entre l’Union Européenne et le gouvernement britannique ?

« Non, on ne l’a pas fait à proprement parler. On a bien évidemment en tête les risques : essentiellement, ils sont liés à la monnaie, parce qu’on a beaucoup de flux financiers – on opère en zone livre, mais évidemment, nos revenus sont soit en dollars, soit en euros. Donc les fluctuations importantes de monnaie peuvent être favorables ou défavorables, du reste. »

« Ensuite, il y a tout le problème des ressources humaines. On a énormément de gens détachés à Viry ou Enstone, beaucoup de gens qui vont de Viry à Enstone. Dans notre croissance, on a recruté beaucoup de gens anglais mais avec des passeports d’autres nationalités. Les 150, 200 personnes qu’on a recrutées, ce ne sont pas tous des Anglais, c’est clair. »

« C’est tout de même un motif d’inquiétude, mais j’ai confiance, parce que la F1 n’est pas un cas à part, et je pense que la F1 serait tellement impactée, que j’imagine qu’il y aurait une action intelligente à implémenter pour préserver tout cela, je ne sais pas encore comment. Mais bien évidemment, on va être extrêmement attentifs. »

Pour poursuivre sa montée en puissance, Renault peut encore compter sur un renfort de poids, Marcin Budkowski, ancien directeur technique de la FIA - dont le recrutement avait fait polémique. Les écuries craignaient que l’ingénieur dévoile tous leurs secrets pour le seul profit de Renault. Aujourd’hui, Budkowski s’est-il pleinement intégré dans l’écurie, et Renault a-t-elle pu faire taire les craintes de ses concurrentes ?

« Oui, totalement. Marcin s’implique dans une vision moyen/long terme. On l’a pris car c’est quelqu’un qui a un super pedigree. Il connaît la F1, il a plein de choses à nous apporter sur le long terme, mais beaucoup plus sur la construction de l’équipe, notamment pour aller chercher des compétences additionnelles, pour réfléchir un peu plus différemment. C’est quelqu’un de jeune aussi, qui vient avec une philosophie un petit peu différente, qui réfléchit beaucoup aujourd’hui sur 2021, sur le budget cap. »

« Il n’est pas venu pour trahir des secrets, et la réalité, c’est que s’il était arrivé avec des secrets extraordinaires, on aurait fait un bond, et on ne l’a pas fait. On ne peut pas prendre un élément comme cela sur une autre voiture, et l’importer sur notre voiture, simplement parce que l’on sait comment ça fonctionne. C’est vrai aussi pour Marcin. »

Cyril Abiteboul doit faire face à un dilemme : il doit recruter du personnel, investir… alors même que les budgets plafonnés pourraient être mis en place en 2021. Comment gérer cette situation ambivalente ? Est-ce que cela explique aussi la certaine prudence budgétaire du Conseil d’Administration de Renault ?

« C’est tout à fait juste, on a ce dilemme. En l’absence de budget cap, il faudrait qu’on continue de grossir d’une centaine de personnes par an, pour arriver, en 2021, au niveau des plus grosses équipes, qui sont autour de 900 ou 1000 sur la partie châssis. Nous serons à 700 à la fin de l’année. C’est assez facile de faire les maths. »

« Maintenant le problème, c’est que le niveau auquel on est, correspond plus ou moins au niveau du budget cap. Donc toute personne additionnelle qui nous rejoindrait potentiellement… cela veut dire qu’il faudrait peut-être perdre une ressource en 2021 [pour compenser le coût budgétaire]. Donc c’est un vrai dilemme. »

« Nous, notre façon de faire, c’est quand même de pousser les instances à dévoiler au plus vite ce qui va se passer, pour que l’on sache quoi faire. Mais c’est vrai que du coup, on a deux ans un petit peu plus compliqués à gérer, parce qu’il y a une pression sur la performance, les résultats. »

« Mais on ne peut pas faire n’importe quoi et engager 200 personnes – et ça prend aussi du temps de le faire. Le temps de les recruter, nous serions en 2020, et on ne va pas leur dire le 31 décembre 2020 ‘Merci et au revoir, on revient à 700 personnes’. Cela représente un vrai défi. Il y a la sous-traitance, etc., des façons de gérer un pic temporaire d’activité. »

Pour avoir plus d’employés tout en respectant le budget plafond, une solution serait aussi… de baisser les salaires ! Est-ce une possibilité envisagée par Cyril Abiteboul ?

« C’est une très bonne question, mais ce n’est pas quelque chose que l’on imagine, parce que le problème, c’est qu’il va y avoir surtout une course aux talents. Et s’ils sont payés 20 % de moins que dans l’écurie d’à côté, ils iront dans l’écurie d’à côté. Donc on se tient tous d’une certaine façon par la barbichette, on est tous obligés, de la même façon, à être compétitifs, comme partout ailleurs. »

« En revanche, on se pose des questions pour savoir comment être plus attractif en tant qu’employeur. Il y a le salaire, mais si ça ne passe que par cela, il y aura le budget cap. Donc cela passe par tout le reste. On essaie de se mobiliser sur ce genre de sujets. »

Pour l’après-2020, la standardisation des pièces est un élément également évoqué pour réduire les coûts. Mais est-ce que cela ne nuirait pas à l’image du constructeur Renault ?

« Non, pas du tout. Le danger, c’est surtout que la F1 ne soit pas capable d’attirer davantage d’écuries, de constructeurs. C’est le danger numéro 1 dont on perçoit quelques ramifications. Le danger de la F1, c’est continuer cette escalade de coûts totalement inutile, sans les maîtriser. »

« La standardisation d’un certain nombre de pièces, c’est le plus facile pour contrôler la légalité, pour simplifier les choses, etc. Pas des éléments importants. Le moteur… ça doit rester un championnat de pilotes, de moteur, d’aérodynamique. Avec notamment la gestion des pneus et les suspensions. Tout ce qui est en dehors de ça, pour moi, franchement, le refroidissement, l’embrayage, de l’électronique… Tout cela, franchement, je pense qu’on s’en fiche, et que l’on pourrait standardiser tout cela. »

Une standardisation comme une réduction des coûts permettraient aussi d’aligner une troisième voiture en 2021, pour que les jeunes pilotes aient enfin plus de temps de roulage… Une idée d’ailleurs soutenue par Toto Wolff, chez Mercedes.

« Il faut faire quelque chose pour permettre aux jeunes pilotes de rouler. Il y a deux options : plus de teams ou plus de voitures. C’est simple. Il faut prendre beaucoup plus au sérieux ce genre de sujets » conclut Cyril Abiteboul.

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