Erik Comas, le dernier pilote à avoir vu Senna

"Dieu venait de mourir"

Par Franck Drui

4 mai 2014 - 14:06
Erik Comas, le dernier pilote à (...)

Erik Comas, pilote français du début des années 1990, a une histoire particulière avec Ayrton Senna, faite d’un parallèle étonnant.

Comas pilote chez Ligier en 1992 et sa carrière a été proche de s’arrêter de la plus dramatique des façons lors des essais du GP de Belgique, où il est victime d’une très violente sortie de piste dans la courbe rapide de Blanchimont. Frappé à la tête par une roue lors de l’impact avec le rail, Comas git inconscient dans sa voiture qui a rebondi au beau milieu de la piste.

Plus inquiétant, Comas a gardé le pied sur l’accélérateur, et le moteur continue à tourner à plein régime, ce qui, tandis que l’essence commence à couler, laisse envisager le pire. Le drame est évité grâce à Ayrton Senna, qui était derrière Comas au moment de l’accident. Le champion brésilien arrête sa McLaren en bord de piste et se précipite au milieu de la piste au péril de sa vie afin d’actionner le coupe circuit du moteur de la Ligier de Comas.

Le moral et la motivation du pilote français sont définitivement anéantis à l’occasion du Grand Prix de Saint-Marin 1994. Lors des premiers tours de course (parcourus sous le régime du safety-car suite au crash du départ ayant impliqué JJ Lehto et Pedro Lamy), il est heurté par l’arrière, doit longuement s’arrêter aux stands pour faire réparer son aileron arrière endommagé, et ne peut participer au restart. Lorsqu’il repart, il est arrêté au bout de l’allée des stands par un feu rouge, conséquence de l’accident dont vient d’être victime Senna.

Mais, dans la confusion la plus totale, les officiels lui permettent de reprendre la piste. Quelques centaines de mètres plus loin, ignorant tout de la situation, Comas tombe nez à nez avec l’hélicoptère médical, posé sur la piste et sur les secouristes et commissaires, affairés autour du corps inerte de Senna. Obligé de mettre pied à terre, Comas est évacué dans une voiture de la direction de course dans laquelle se trouve le fameux casque jaune de Senna. L’état du heaume du champion brésilien ne laisse alors à Comas aucune illusion sur les chances de survie de celui qui l’avait secouru deux ans plus tôt.

Très affecté, il déclare forfait pour le deuxième départ et envisage de mettre un terme immédiat à sa carrière, mais accepte finalement de terminer la saison.

"Le destin fait que je suis le dernier à avoir vu Ayrton Senna et le premier à comprendre qu’il ne serait plus jamais parmi nous. (...) Roland Ratzenberger se tue lors des essais, la veille de la course. Nous étions tous déprimés. La plupart d’entre nous n’avait pas vu la mort de près, en course, et là, un des nôtres n’était plus… Ayrton était ému. Au briefing d’avant-course, il m’a avoué vouloir organiser une réunion des pilotes à Monaco pour améliorer la sécurité sur les circuits et dans les voitures. Je me sentais proche de lui, de ses préoccupations," explique Comas à l’Equipe.

Le Français revient sur le moment où il a vu Senna pour la dernière fois, suite à l’erreur de la direction de course.

"Me voilà sur Tamburello alors que tous les autres rentrent aux stands. Depuis le bord de la piste, on me fait de grands signes… Je vois l’hélico, l’ambulance, la Williams, Ayrton dans la civière, entouré par les médecins. Je m’arrête à côté de l’ambulance et, tout de suite, on me fait monter à l’intérieur. Le casque d’Ayrton est posé sur la banquette : je ne peux pas le regarder, ça fait trop mal (une pièce de suspension a transpercé son casque). Je reste là, prostré. Je ne peux plus bouger. Je suis à quelques mètres de la civière, à quelques mètres d’Ayrton. Et là, d’un seul coup, je sens monter l’odeur de la mort. Elle me paralyse. Je pleure. Petit à petit, une chape de plomb s’abat sur moi. Elle est sur nous tous."

"On n’entend plus les voitures, seulement le murmure de la foule qui grossit de minute en minute derrière les grillages. Je retourne aux stands dans une ambulance et je quitte le circuit. J’annonce que je suis forfait. Je ne peux pas courir, je ne veux pas courir. A l’aéroport, la télévision passe des images du Grand Prix et de l’accident. J’ai appris le décès d’Ayrton avant d’embarquer mais j’étais déjà en larmes. Dieu venait de mourir. Ce jour-là, j’ai détesté le Formule 1. La blessure que j’ai au cœur s’est très lentement refermée. Mais je sais que chaque 1er mai, elle se rouvre."

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