De la CFD à la piste : la STR12 racontée par James Key

Les coulisses du développement

Par Alexandre C.

26 février 2017 - 19:49
De la CFD à la piste : la STR12 (…)

La STR12 a été dévoilée ce dimanche. La monoplace aura la lourde tâche de permettre à l’écurie d’accomplir son objectif depuis plusieurs années : conquérir une place dans le top 5 du classement des constructeurs.

A l’occasion de la présentation de la monoplace, James Key, le directeur technique, et Brendan Gilhome, le chef de l’aérodynamique, se sont livrés à une interview croisée pour nous présenter en détail leur nouvelle production…

Parlez-nous du nouveau règlement. Est-ce le changement le plus important depuis une décennie ?

James Key : Du point de vue du châssis, je dirais que c’est plus que cela. Depuis deux décennies que je suis en F1, c’est le changement le plus important dont je puisse me rappeler. En 1998, la taille des monoplaces avait commencé à diminuer, et il y a eu divers ajustements jusqu’en 2009, lorsqu’un changement plus important est survenu, mais à part l’aileron avant, tout cela était basé sur des principes que nous connaissions. Ce nouveau règlement cependant, inclut un changement de taille des monoplaces, des pneus significativement différents et aussi un nouveau règlement aéro. Du point de vue du châssis, cela inclut beaucoup de nouvelles choses à apprendre.

Est-ce une nouvelle philosophie, par exemple du point de vue de l’aéro ?

Brendan Gilhome : La moitié de la voiture, à l’avant, est complètement nouvelle, avec un aileron en forme d’arc et beaucoup plus de liberté donnée à l’avant de la voiture, ce qui signifie que vous générez plus d’appui. Il y a aussi plus de liberté à l’arrière : vous avez un fond plat plus grand, un diffuseur surélevé, et l’aileron arrière est plus large et plus bas. La philosophie pour quelques parties de la voiture est quelque chose que nous pouvons transférer de l’an dernier à cette année, mais d’autres parties nécessitent une reconsidération totale. La position de l’aileron avant, et sa forme, ont changé. Il y a beaucoup plus d’opportunités pour explorer différentes idées, pour explorer des concepts que vous n’aviez pas le droit d’étudier l’an dernier.

C’est donc un nouveau règlement rafraîchissant pour les ingénieurs…

JK : C’est sympathique d’avoir un peu plus de liberté. Nous n’avions pas probablement autant d’éléments aérodynamiques disponibles pour nous amuser depuis 2008. Mais ensuite, les règles se sont durcies en 2009 et même encore davantage en 2014. Désormais, un peu de liberté est revenue, et c’est un défi formidable pour le département aéro.

Pensez-vous que les équipes aient adopté une même philosophie dans la conception de leur nouvelle voiture ? Peut-il y avoir une réelle convergence des solutions adoptées avec l’importance croissance des données et des simulations ?

JK : Ce sera vraiment intéressant de voir ce qui arrivera, parce que l’une des questions que nous nous sommes posées, quand nous avons commencé ce projet, ce fut : qu’est-ce qui rendra bonne une voiture en 2017 ? Nous ne connaissons pas encore les pneus, l’aéro a changé de manière assez significative, en particulier pour ce qui est de la gestion de certaines parties de la voiture où vous n’avez pas une philosophie transférable de l’an dernier. Donc vous devez démarrer de zéro dans certains domaines. Qu’est-ce qui rend bonne une voiture sur le plan aérodynamique et mécanique pour 2017 ? C’est une question à un million de dollars. Vous devez fonder vos décisions sur l’ampleur du potentiel de développement qui existe, et ensuite, vous approcher de vos objectifs de développement que vous pensez être bons. C’est le plaisir un peu tordu de ces nouvelles règles ! Etant donné le niveau d’avancement technologique actuel dans les souffleries et avec la CFD, je dirais que les équipes sont moins enclines à commettre de grosses erreurs.

BG : Je suis d’accord pour dire que beaucoup de failles qui existaient les années précédentes ont été restreintes, et maintenant, elles augmentent de nouveau. Tout le monde a plus conscience des limites du règlement. Cependant, le règlement a évolué jusqu’à très tard l’an dernier et nous n’avions pas vraiment de direction claire dégagée par les groupes de travail avant la mi-février 2016. Dans le but de travailler sur le développement aérodynamique, vous avez besoin des pneus, pour la soufflerie, et nous n’avions pas cet élément jusqu’à la fin avril. Quand vous avez davantage de liberté, au début, c’est assez facile de trouver plus de performance, mais vous pouvez aussi être très rapidement à court d’idées. Vous n’avez pas beaucoup de temps pour faire vos choix et si vous faites le mauvais choix, cela peut avoir un impact important sur la performance pour l’an prochain.

Avez-vous beaucoup utilisé la CFD pour développer la nouvelle voiture ?

JK : Vous êtes limité sur le travail total que vous pouvez faire avec la CFD par le règlement, et c’est intéressant de voir comment cette limite joue son rôle dans tout cela, car oui, il y a eu beaucoup de travail en CFD pour le travail conceptuel autour du règlement, et nous nous sommes adaptés à mesure que le règlement évoluait. Mais les limitations effectives signifient que vous manquez de temps, et vous êtes aussi limités sur la quantité de relais que vous pouvez faire avec la CFD et en soufflerie, et aussi par la quantité de ressources totales que vous pouvez utiliser en CFD. Donc, vous devez vraiment vous concentrer sur tous ces points. Les tests en CFD et en soufflerie ont changé spectaculairement en raison du règlement. Cela vous pousse vers une efficacité encore plus géniale, et aussi à faire plus de choses compliquées, de manière à extraire le plus que vous pouvez d’un certain nombre de relais, ou d’une certaine quantité de calculs informatiques au total. La CFD joue un grand rôle au début du développement dans tout cela, mais vous devez aussi corréler vos données avec la soufflerie à un certain moment. Vous ne pouvez pas trop prendre votre temps avant de faire des tests physiques.

Y a-t-il des éléments de la voiture de 2016 qui se retrouvent sur la voiture de 2017 ?

JK : Rien n’a été transféré, il s’agit d’une feuille totalement blanche.

BG : Le travail en CFD a été aussi affecté par la confirmation tardive des règles. Normalement, vous pouvez avancer d’abord avec la CFD, mais vous ne saviez rien des pneus et des règles avant une date tardive. Les modèles des pneus ont été publiés en avril, ce qui signifie que le travail sérieux, en soufflerie et en CFD, n’a pu commencer qu’à partir de cette date. Par le passé, nous aurions commencé en janvier ou même en décembre 2015.

JK : Le nouveau règlement a été publié tardivement, étant donné l’ampleur des changements. Les changements pour la saison 2014 du côté du châssis, de même que les changements pour la nouvelle unité de puissance, étaient beaucoup moins importants en termes de différence d’approche pour l’aéro. Mais le nouveau règlement est assez compliqué, et cela a pris un peu de temps pour qu’il arrive à maturité, mais je pense que chaque équipe est sur le même bateau.

BG : Mais je pense que cette publication tardive signifie que ce sera intéressant de voir les chemins explorés par les équipes. Quelques-unes ont peut-être pu prendre plus de risques, d’autres pourraient être plus conservatrices…

JK : Ce qui signifie que nous pourrions voir différentes solutions, ce qui n’a pas été toujours le cas les années précédentes. Cela pourrait signifier que nous allons avoir un peu de diversité, au moins au début de la saison.

Il y a un autre changement important pour la Toro Rosso : le retour à un moteur Renault. Quelle a été l’importance de cette décision dans votre travail ?

JK : Ce dont Toro Rosso a besoin, c’est de stabilité avec son motoriste, et d’un moteur compétitif. Si vous regardez les trois années précédentes, des circonstances défavorables ont fait que nous avons toujours eu un déficit de puissance moteur. C’est frustrant, parce que les gars, du côté de l’aéro, avaient fait un travail fantastique avec le châssis, et nous nous sommes améliorés dans beaucoup d’autres domaines, sur le plan opérationnel, et aussi pour comprendre les pneus. Avec le redressement formidable de Renault l’an dernier, et l’approche et l’élan différents qu’ils ont désormais, j’espère que nous aurons notre meilleure unité de puissance depuis 2014. Pour une fois, nous aurons quelque chose de bien plus compétitif.

BG : Je pense que les défis auxquels nous avons été confrontés ces deux ou trois dernières années du côté du moteur, ont poussé le reste de l’équipe à être meilleur, à lutter pour trouver ce petit surcroît de performance.

JK : Nous avons aussi une continuité du côté de nos pilotes, ce qui est vraiment important quand vous changez de réglementation. Imaginez si vous avez deux rookies en 2017 ! Vous n’auriez aucun point de référence. Donc, pour l’unité de puissance et les pilotes, c’est positif. Seul le châssis relève de l’inconnu. Nous nous fixons toujours des objectifs ambitieux. Par le passé, nous avions tendance à pousser aussi fort que possible au début de la saison, et ensuite, nous voyions ce que nous pourrions faire, ce que nous pourrions nous permettre, en fonction du temps et de notre situation. Cette année, nous avons une vision de plus long-terme, tout au long des 20 courses.

Les évolutions en cours de saison seront-elles donc plus fréquentes cette année ?

JK : Avec le nouveau règlement, il y a beaucoup de performance à aller chercher, donc il y a aura une guerre dans le développement tout au long de l’année. Notre liste de développements est plus importante que d’habitude, parce qu’il nous reste beaucoup de possibilités. Je pense que ce sera une année très occupée avec beaucoup de performance qui reste à trouver.

Cette année, du côté de l’aéro, verrons-nous davantage de différences de niveau d’appuis selon les écuries ?

JK : Cette année, il y a potentiellement une quantité de niveaux d’appuis différents que vous pourriez choisir, parce que votre équilibre entre les secteurs où la traînée est importante, et les secteurs où l’appui est important, change. Donc il y a aura des différences de réglages des niveaux d’ailerons légèrement plus importantes. Ce sera aussi intéressant de voir les effets sur les temps au tour. Nous parlons des temps de 5 secondes au tour plus rapides, par rapport à une voiture de 2015, quand ces règles ont été mises en place. Mais sur quelle piste ? Monaco ou Monza ? Nous avons vu, d’après nos simulations, que les effets du nouveau règlement dépendaient largement des pistes, et nous aurons de ce fait des réglages aéro et mécaniques différents par rapport au passé.

BG : Puisque les ailerons arrière et avant sont plus larges, ils sont en fait plus efficaces que l’an passé, donc il y a véritablement un équilibre à trouver, et ce sera intéressant de voir le rôle que tout cela joue avec les pneus et votre puissance moteur au total.

JK : Absolument, puisque les pneus jouent un rôle plus important pour savoir avec quel réglage d’aileron vous devriez rouler. Si vous avez énormément d’adhérence mécanique, cela vous amènera à davantage rouler avec moins d’appui venant de l’aileron, et ce sera l’inverse si vous avez moins d’adhérence. Cela dictera aussi vos réglages de la voiture, et il y aura beaucoup à apprendre de pneus et de leur comportement.

Les voitures iront bien plus vite en courbe. Cela vous a-t-il amené à renforcer la résistance de certaines pièces ?

JK : Oui, vraiment, à commencer par la suspension et tous les points d’attache, parce que la voiture sera soumise à une pression plus importante pendant plus longtemps. Regardez le départ par exemple : vous avez des surfaces de contact plus grandes (venant des pneus), donc vous avez des niveaux de friction statique plus élevés, et vous avez aussi plus de poids sur la voiture, donc toute la suspension, la boîte de vitesses, les charges sur le châssis changent, et c’est la même chose pour le freinage. Mais vous n’avez aucune donnée des années précédentes à exploiter, ce qui signifie que vous devez simuler le mieux possible ce que sera votre pic de performance probable, et donc vous simulez des performances attendues à la fin de la saison 2017. Mais vous ne voulez pas construire des pièces plus grosses et plus lourdes que nécessaire.

BG : En termes aéro, vous recherchez toujours de l’espace supplémentaire, parce que par exemple, un triangle de suspension est préférable. Comme le nouveau règlement a été arrêté assez tard, cela a pris beaucoup de temps pour comprendre les implications de tout cela, et cela a ralenti le développement de la voiture. Donc, si un composant a besoin d’être plus large, nous devons le savoir aussitôt que possible pour l’optimiser, pour nous adapter, et pour regarder les implications que cela a sur la performance.

Recherche

Info Formule 1

Photos

Vidéos