L’adieu au V8 : Interview de Rémi Taffin, directeur des opérations piste de Renault F1

95% des pièces ont été modifiées en 8 ans

Par Franck Drui

22 novembre 2013 - 14:10
L'adieu au V8 : Interview de (…)

Comment vos méthodes de travail ont-elles évolué ces 8 dernières années ?

En 2006 le principe était simple : les développements étant autorisés, nous pouvions laisser libre cours à notre imagination, l’objectif consistant à être toujours au top des innovations. Chaque course apportait ainsi son lot d’évolutions. Le gel des moteurs apparu l’année suivante a totalement changé la donne car notre marge de manoeuvre s’est considérablement réduite. Nous avons donc reporté nos efforts sur l’allongement de la durée de vie du moteur, chaque bloc devant parcourir toujours plus de kilomètres. Nous avons ainsi dû apprendre à économiser nos V8 et les utiliser de manière successive.

Comment avez-vous abordé cette nécessité d’accroitre sa durée de vie ?

Déterminer une spécification des moteurs et réduire leur nombre sur le total de la saison a inévitablement nécessité de les rendre plus robustes. Chacun d’eux, ainsi que l’intégralité des pièces qui les composent, ont vu leur durée de vie passer de 300 - il y a 12 ans - à 2500 kilomètres. Pour être absolument certains que ces éléments tiendraient le coup sur d’aussi longues distances, nous nous sommes assurés qu’ils pourraient en parcourir 3000. En dépit de l’interdiction de développer les moteurs, certaines évolutions ont cependant demeuré pour des questions de fiabilité. Si vous observez le premier V8, puis l’actuel, vous constaterez en effet que 95% des pièces ont été modifiées, chacune étant optimisée selon sa fonction… Grâce au travail effectué sur ce paramètre, il y a maintenant très peu de dégradation au niveau des performances. Si auparavant un moteur perdait près de 15 chevaux entre le début et la fin de son cycle de vie, la perte est désormais infime.

La manière d’utiliser le moteur a-t-elle changé en 8 ans de compétition ?

Oui, et de façon incroyable. En 2006, nous avions carte blanche : arbres à came, pistons, chambre de combustion et autres… nous apportions les développements que nous souhaitions. C’est ensuite devenu une toute nouvelle manière d’appréhender chaque course. Nous affinons, désormais. Par exemple sur la cartographie couple moteur ou commande d’accélérateur afin de délivrer le couple optimal. Plus que la puissance, nous avons découvert que les gains étaient plus importants en ayant un moteur plus léger et plus économe en carburant. Par ailleurs nous avons également constaté que l’intégration des pièces puis, plus tard, l’utilisation des échappements et de la cartographie avaient une grande incidence sur la performance.

Vous pensez donc que les moteurs sont désormais plus sophistiqués ?

Nous avons amélioré nos méthodes de travail mais en raison du gel des V8, nous avons dû explorer de nouveaux domaines. Le diffuseur soufflé en est l’illustration. Nous aurions pu imaginer cela auparavant, mais au début de l’ère de ces moteurs, la priorité consistait à développer la puissance. Dès lors qu’elle a été limitée à 750 chevaux, nous avons dû concentrer nos efforts sur de nouveaux facteurs de performance, tel que le flux de l’énergie produite. Nous avons par exemple remarqué que sur l’énergie disponible au niveau du carburant, un tiers de celle-ci était destinée au vilebrequin, les deux tiers restants étant dissipés autre part, dont plus de la moitié dans les échappements… Nous nous sommes donc demandés comment utiliser cette énergie perdue. L’étape suivante a donc consisté à augmenter le volume des gaz produits par le moteur pour assurer un flux constant au niveau de l’échappement afin de le convertir en appui aérodynamique. Nous avons travaillé sur le pilotage de l’accélérateur afin de conserver ce flux le plus constant possible - en fait nous ne touchons pas au moteur. Nous avons également testé différents modes, par exemple tourner sur quatre, deux ou même un seul cylindre, ce qui nous a permis d’effectuer des progrès considérables tant en efficacité qu’en souplesse. Ces évolutions n’ont pas été extrêmes, mais les résultats, eux, l’ont été ! De la même manière nous sommes parvenus à réduire le volume d’eau, le débit d’huile et la température de ces deux fluides tout en progressant dans l’économie du carburant. Cela nous a permis d’embarquer une moindre quantité de liquide (eau / huile / carburant) qui a entraîné une diminution du poids de la monoplace et donc une amélioration des chronos.

Tout ceci pendant une période de gel des moteurs ?

Et oui. Le V8 a été homologué en 2007 et seuls certains changements, pour des raisons justes et équitables entre les constructeurs, ont été autorisés. C’est surtout la manière de le faire fonctionner qui a contribué à le rendre plus performant. Il y a cinq ou six ans, il fallait 72 heures pour assembler et mettre en marche une voiture, et l’on cherchait surtout pendant cette période à trouver le maximum de puissance et de couple. Nos stratégies ont été graduellement affinées et nous avons étudié tous les domaines dans lequel le moteur pouvait apporter des bénéfices. Par exemple, lorsqu’il est devenu évident que la gestion des pneumatiques avait une incidence majeure sur le résultat, nous avons développé de nouvelles cartographies pour améliorer la souplesse du moteur et permettre une meilleure motricité et une moindre dégradation des pneumatiques. Si la monoplace glisse moins et l’attaque du virage est moins agressive, la longévité des pneus augmente et permet une meilleure performance en course.

A-t-il été instructif de collaborer avec plusieurs équipes ?

Au tout début, il existait une configuration standard du moteur Renault, mais nous avons ensuite dévié sur plusieurs possibilités afin de pouvoir s’adapter à chaque équipe. Auparavant nous installions un moteur et donnions les directives pour l’utiliser. Aujourd’hui, nous apportons un panel de réglages et charge est donnée à l’équipe d’adopter la solution la plus appropriée. C’est un service sur-mesure qui leur est apporté car les températures de fonctionnement ou divers éléments tels que les échappements où les boîtes à air peuvent être modifiés. Grâce à cela, nous avons beaucoup appris sur les capacités d’un moteur dans son ensemble.

Pensez-vous que vous auriez engrangé autant d’informations sans ces restrictions ?

Il y a d’autres voies que nous aurions pu explorer mais ce fut impossible à cause de ce gel. Par exemple, rouler sans papillon et générer en permanence un flux de gaz d’échappement permettant de maintenir les gains aérodynamiques générés par cet effet. Sans cette limitation du développement, il aurait été possible d’atteindre 22 000 tr/min et 850 chevaux, mais il aurait aussi été probable de ne constater aucune amélioration sur un tour. Certes, plus de puissance est synonyme d’une meilleure vitesse, mais d’autres facteurs entrent en comptent et méritent d’être exploités… Les voitures sont plus efficaces désormais, et l’efficacité, logiquement, engendre de bons résultats.

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