Zoom sur... le Grand Prix d’Europe 1997

"La tension était telle que personne n’osait parler"

Par Franck Drui

6 mai 2015 - 17:34
Zoom sur... le Grand Prix d'Europe

Dans le passé, l’Espagne a accueilli deux Grands Prix par saison. En plus du traditionnel Grand Prix d’Espagne organisé à Barcelone depuis 1991, Valence et Jerez ont également accueilli la Formule 1 sous l’égide du Grand Prix d’Europe. Honneur ultime, Jerez s’est vu accorder la manche finale de la saison 1997.

Cette année-là, un climat électrique entoure la venue de la caravane F1 en Andalousie. Il faut dire que jusque-là, le championnat a été extrêmement disputé. Au volant de sa Williams motorisée par Renault, Jacques Villeneuve a débuté la saison sur les chapeaux de roues avec une série de pole positions, mais Michael Schumacher, Mika Häkkinen, et David Coulthard ont tous marqué de gros points. Heinz-Harald Frentzen, coéquipier de Villeneuve, est également dans le coup à la faveur de plusieurs résultats solides doublés d’une victoire à Imola. Quand la F1 débarque en Espagne pour la grande finale, seuls Villeneuve et Schumacher restent en lice pour la couronne mondiale.

Pour Renault, il est crucial de remporter le titre : il s’agirait du sixième sacre d’affilée au championnat Constructeurs pour le motoriste. Ce serait même le dernier triomphe de Renault en F1 puisque le Losange a décidé de se retirer à la fin de la saison. Revenu dans la catégorie reine à la fin des années 1980, Renault a dominé la décennie suivante. Jean-François Caubet, ancien Directeur Général, était présent à Jerez en 1997. Il se souvient :

« Nous sommes retournés en F1 lors de la saison 1989. Renault avait décidé d’adopter une stratégie de communication agressive et audacieuse à l’heure où le groupe se développait à l’international. Nous devions renforcer notre image de marque et explorer de nouveaux horizons. C’est dans ce cadre que nous avons conclu trois partenariats majeurs : le premier avec EuroDisney, le deuxième avec les Jeux Olympiques d’hiver, et le troisième avec la Formule Un. La pression du résultat était très forte, et Patrick Faure a finalement décidé de s’associer avec Williams.

Dès le début, la qualité et l’envergure de la relation avec Williams, aussi bien sur le plan humain que technique, a été extraordinaire. C’est véritablement la richesse de notre entente qui a permis le succès de ce partenariat. Bernard Dudot, Jean-Jacques His et Patrick Faure ont mis en place des technologies innovantes pour rivaliser avec Ferrari, Honda, Ford, etc., et la coopération était extrêmement poussée à tous les niveaux.

De cette aventure, je garde trois souvenirs particuliers en mémoire. Tout d’abord, la victoire de Prost lors du championnat 1993. Ensuite, bien sûr, l’accident de Senna en 1994. Nous avons vraiment dû réfléchir à la pertinence de notre présence en F1. Nous devions déterminer s’il fallait rester ou non, si la F1 était encore viable : ce fut une période très délicate. Enfin, le troisième moment majeur fut la course de Jerez en 1997.

Nous nous sommes rendus sur place en ayant tout gagné – les moteurs Renault ont remporté près de 75% des Grands Prix organisés entre 1995 et 1997 et nous avions déjà remporté cinq titres consécutifs. Au final, Louis Schweitzer et Patrick Faure avaient décidé d’arrêter la F1 car nous n’avions plus rien à prouver. Du coup, Jerez était notre dernière course. Nous avions demandé à Bernie [Ecclestone] d’organiser le dernier Grand Prix en Europe pour bénéficier d’une belle audience TV. Nous voulions absolument gagner et partir en beauté. Nous avions fait une immense fête le samedi soir avec tous les pilotes et les membres du paddock pour célébrer la fin d’une ère, mais c’était vraiment la course du dimanche qui était le plus important.

Michael Schumacher occupait la tête du championnat en arrivant à Jerez et Jacques [Villeneuve] devait impérativement gagner, ou tout du moins finir devant lui pour devenir champion. La compétition était particulièrement relevée puisque Schumacher, Coulthard, Frentzen et Jacques avaient tous signé des victoires. Durant la course, je me souviens que Michael s’est d’abord échappé en tête. Environ 23 tours avant la fin, Jacques est passé par les stands pour effectuer un changement de pneus. Il a été par la suite bien plus rapide que Schumacher et a réussi à réduire l’écart. Mais encore fallait-il le doubler pour s’emparer du titre. Après un second arrêt, Jacques s’est retrouvé juste derrière la Ferrari et il s’est jeté à l’intérieur dans un virage. Schumacher l’a heurté au flanc en fermant la porte. Dans le garage, on n’y croyait tout simplement pas. Tout le monde était abasourdi et pensait que c’était la fin.

Jacques a continué mais il y avait clairement un souci avec la voiture. La tension était telle que personne n’osait parler. Il s’est alors fait dépasser par Coulthard, puis par Häkkinen. Villeneuve devait terminer au moins troisième pour avoir le titre. Personne n’avait la force de regarder les écrans. Au final, il y est quand même arrivé : ç’a été un immense soulagement, et surtout une merveilleuse conclusion pour notre saison et pour notre engagement en Formule Un. Nous avions rempli tous nos objectifs et quittions la scène par la grande porte. Cela dit, dans l’avion du retour qui nous ramenait vers Paris, Schweitzer s’est tourné vers Faure et lui a demandé : « Bon, quand est-ce qu’on revient en F1 ? » »

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