Ross Brawn : Le succès de Mercedes s’est construit dès 2011

Il raconte les coulisses de cette épopée

Par Alexandre C.

8 décembre 2016 - 14:22
Ross Brawn : Le succès de Mercedes (...)

Ross Brawn, ancien dirigeant de la Scuderia Ferrari et de Brawn GP, pourrait bientôt exercer des responsabilités éminentes au sein de la structure dirigeante de la F1. Alors que l’an prochain, la discipline fera l’expérience d’un grand changement aérodynamique, l’ingénieur de formation raconte au magazine Auto de la FIA comment il a mené Mercedes au succès en 2014… en se préparant excellemment au changement de réglementation.

Le changement de règlement pour 2017 a été définitivement arrêté en février 2016. Que fait ensuite d’habitude une équipe pour s’y préparer au mieux ?

Mon approche était d’y consacrer une équipe de recherche et de la rendre sacro-sainte, parce que dans le feu d’une saison normale de F1, il est trop facile pour cette ressource d’être redirigée vers les péripéties quotidiennes ; et ensuite, quand vous revenez sur le projet une semaine ou deux plus tard, soudainement, vous avez perdu du temps sans pouvoir le rattraper. J’avais l’habitude d’installer une équipe technique, d’identifier ses besoins pour faire fonctionner proprement le projet, et je disais : ‘Bien, maintenant, il y a une petite équipe pour ce projet, je veux savoir ce qu’il se passe, et nous n’allons pas y toucher.’

Mais comment résister vraiment à la tentation d’employer ces ressources disponibles alors même qu’une saison de F1 peut se jouer parfois à quelques points ?

Avez-vous déjà été obligés de dire : ‘Nous allons sacrifier cela parce que nous avons besoin d’avoir une vision à long-terme ?’. Je l’ai fait, et je pense que c’est arrivé en 2013, ma dernière année en F1. Jusqu’à la pause estivale, nous nous battions avec Red Bull pour le championnat, mais j’avais un programme où des ressources avaient été redirigées vers celui de 2014. Mon jugement maintenant est que Red Bull ne l’avait pas fait parce qu’ils étaient revenus de la pause estivale avec une voiture qui était bien plus rapide, donc ils ont dû poursuivre leur effort sur leur voiture existante ou alors ils avaient plus de ressources que nous ! Cependant, la conséquence de cela, c’était qu’ils ont commencé 2014 du mauvais pied. Avoir l’opportunité de prendre cette décision est essentielle. C’est une décision difficile à prendre, en particulier si vous êtes liés à des dirigeants qui sont impatients de voir un retour compétitif sur leur investissement. Vous gagnez en confiance grâce à ce que vous avez vu arriver dans le passé et vous vous dites : ‘Ecoutez, il y a une petite chance de gagner le titre cette année. Voulons-nous vraiment nous y consacrer pleinement, ou devrions-nous garder notre force de conviction et notre concentration pour le futur ?’. C’est cette dernière solution qui devrait l’emporter.

N’aurait-il pas été plus simple en 2013 de demander plus d’argent à Mercedes ?

Vous ne pouvez pas avoir une solution aussi rapide, malheureusement. Il y a une inertie dans ces systèmes et si vous décidez que vous voulez y ajouter quelque chose, c’est un programme sur six mois. Le succès de Mercedes en 2014 est en fait né à la fin de l’année 2011. En 2012, nous avions eu une réunion difficile avec le conseil d’administration. Ils voulaient soit s’arrêter soit progresser, parce qu’en 2010 et en 2011, nous n’étions pas assez bons. Nous suivions une philosophie de restriction de ressources, qui était en train de s’effondrer. Nous étions 450, et nous nous battions avec des écuries qui avaient 500 ou 600 employés, et il n’y a pas de remède à cela. Nous avons dit au conseil d’administration : ‘Soit nous progressons, soit nous devrions faire un pas en arrière, parce que nous sommes à un tournant.’ Le conseil d’administration – et tout le mérite leur appartient – a dit, ‘D’accord, nous allons franchir un palier. Nous vous donnerons le feu vert. De quoi avez-vous besoin ?’. Nous avons engagé Aldo Costa, Geoff Willis, les gens dont nous avions besoin et tout a commencé à se mettre ensemble. C’est la planification stratégique dont vous avez besoin. Vous devez avoir une vision de la situation où vous voulez être dans six mois, douze mois, un an, deux ans.

De votre position d’observateur, mais aussi en tant qu’ancien dirigeant de la Scuderia Ferrari, vous êtes bien placé pour analyser le déclin des Rouges depuis votre départ...

Je pense qu’ils ont besoin de retrouver de la stabilité et de regagner en confiance. C’est toujours difficile d’avoir de la stabilité à court terme alors que vous construisez quelque chose sur le long terme, mais si vous ne faites que réagir très rapidement, vous ne vous en sortirez jamais. Vous pourriez trouver une solution rapide mais vous seriez entraîné dans ce cercle vicieux, celui des réactions rapides et immédiates. Vous ne pouvez jamais relâcher votre concentration, donc ce qu’il faudrait faire, c’est mettre en place des bons programmes, qui ensuite apportent quelque chose à votre programme de course – et ce genre de choses ne peut jamais arriver sans stabilité.

Chez Ferrari, avant un changement de règlement, l’orientation générale de la nouvelle voiture était-elle finalement de votre ressort ? Comment prend-t-on ce genre de décisions ?

Je me décris moi-même comme un dictateur amical. Ce que je voulais, c’était que le groupe fournisse un effort parce que vous libérez alors toute l’énergie et les ressources. Mais oui, finalement, quelqu’un doit prendre une décision pour la direction à adopter, et j’étais content de le faire. Mais je voulais que tout le monde y adhère aussi. Donc je disais que je prendrai la décision, mais que tout le monde dans l’équipe pourrait me permettre de prendre la meilleure décision possible. Dans la plupart des cas, il était rare qu’une seule grosse décision soit prise. C’était plus du genre : ‘Je peux voir qu’ils ont besoin de plus de ressources ici, je vais y allouer plus de personnes’. Ou alors, des gens arrivaient et me disaient ‘Ecoutez, nous ne savons pas vraiment si nous pouvons nous engager sur cette interprétation ou non, que devrions-nous faire ?’. Je leur donnais mon opinion et on en arrivait parfois au point où nous allions voir la FIA pour en discuter et en débattre. Je l’ai moins fait quelques années plus tard, parce que m’y impliquer, c’était créer un gros problème ! Je jouais l’avocat du diable, coachais les gens impliqués sur cette affaire sur la manière avec laquelle ils devraient aborder la chose, et ensuite, je les envoyais débattre avec la FIA. Il y avait une approche assez structurée pour toutes ces choses avec les équipes chargées de ces projets, pour fixer les objectifs et se mettre d’accord sur le calendrier. Je basculais des ressources quand c’était nécessaire. C’était, je pense, une structure assez appropriée pour remplir ces objectifs. Je pense aussi que vous gaspillez des ressources si vous menez des programmes parallèles et que vous essayez ensuite de décider, sur la fin, ce qui est le meilleur. Vous pourriez décider d’explorer deux idées différentes pour voir ce qui se révèle être la meilleure solution, mais j’attendrais de ces équipes qu’elles travaillent collectivement sur ces idées.

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