La place des femmes dans le monde de la Formule 1
Par Amanda Davies
Chronique réalisée pour Nextgen-Auto.com par Amanda Davies, présentatrice de l’émission mensuelle "The Circuit" sur CNN International : www.CNN.com/TheCircuit
Prochaine émission inédite : Vendredi 28 août à 17h30
Pendant toute ma carrière, on m’a interrogée sur le fait d’être une femme dans le monde du journalisme sportif – alors imaginez ce que c’est d’être une femme dans le milieu de la F1. Et je ne parle pas des mannequins des grilles de départ.
On peut compter le nombre de femmes pilotes ayant participé aux championnats du monde de Formule 1 sur les doigts d’une main. Littéralement. Elles sont 4. Il y a eu les Italiennes Maria Teresa de Filippis, qui fut la première - en 1958-59, puis Lella Lombardi ; mais aussi l’Anglaise Divina Galica, la Sud-Africaine Desire Wilson, et enfin, Giovanna Amati en 1992.
On ne peut que conclure au sexisme. La raison pour laquelle si peu de femmes se sont retrouvées sur la grille de départ (et il n’y en a plus eu depuis Amati), est forcément que les hommes ne veulent pas d’elles. Pour eux, une femme sur une grille de départ doit porter un vêtement symbolique en lycra et afficher un sourire étincelant. Et quand les lumières s’éteignent, il faudrait qu’elles rentrent au garage préparer le thé pour les hommes.
L’explication la plus simple est que ceux qui dominent le monde de la Formule 1 font tout ce qu’ils peuvent pour ériger autant de barrières que possible et empêcher les femmes de troquer leurs talons hauts contre des casques, et de prendre leur place sur la grille de départ.
Pourtant, cette explication est totalement absurde. Désolée de vous décevoir.
On aurait pu formuler cet argument par le passé. Après que Maria Teresa de Filippis a décroché la 10e place du Grand Prix de Belgique en 1958, le directeur de la course a fait le commentaire suivant : “le seul casque qu’une femme devrait utiliser est celui de son coiffeur”. Directrice adjointe de l’écurie Williams, Claire Williams m’a avouée qu’être une femme dans un milieu d’hommes avait été un problème pour son père, Frank, à ses débuts - “Il fait partie d’une ancienne génération de la F1 – pour lui, c’est un sport pour les hommes et les garçons. Les filles ne peuvent pas le pratiquer.”
Malgré tout, Claire Williams a prouvé à son père qu’il avait tort – et leur équipe défend activement les femmes dans tous les domaines de ce sport. Aujourd’hui, on ne peut plus dire qu’on empêche les femmes de réussir simplement à cause de leur sexe. Il y a une foule de femmes à des postes importants dans tout le paddock de la F1 : de Claire Williams elle-même jusqu’à la directrice générale de l’écurie Sauber Monisha Kaltenborn, en passant par les ingénieurs de course féminines comme Gill Jones – responsable de toute l’électronique chez Red Bull – qui a beaucoup surpris lorsqu’elle est montée sur le podium pour recevoir le trophée des constructeurs Red Bull aux côtés de Sebastian Vettel lors du Grand Prix de Bahreïn en 2013.
Claire Williams a déclaré : “Je pense qu’en fait, les mecs de la F1 – disons les choses carrément – aiment être entourés de femmes. La séparation entre les sexes n’existe pas vraiment. Les garçons s’occupent des garçons tout autant qu’ils s’occupent des filles et les filles s’occupent des garçons. La Formule 1 est l’un des seuls sports au monde à autoriser les filles à se mettre sur la même ligne que les hommes et à courir contre eux. Rien n’empêche les femmes de prendre place sur la grille de départ le dimanche après-midi et d’affronter leurs rivaux masculins. Peu de sports peuvent en dire autant.”
Et alors que le football est critiqué parce qu’il ne soutient pas autant le tournoi féminin que le tournoi masculin et que les athlètes féminines et les stars du tennis gagnent moins que leurs homologues masculins – dans leurs épreuves séparées – la plate-forme est prête à accueillir des femmes en Formule 1.
Absolument rien ne s’oppose à ce que les femmes prennent place aux côtés des hommes sur la grille de départ.
Alors s’il ne s’agit ni de règlement ni de sexisme - pourquoi Lella Lombardi reste-t-elle la seule femme à avoir marqué des points dans un championnat mondial de F1 ?
Susie Wolff est celle qui s’approche le plus de la grille de départ à proprement parler – elle est la pilote essayeuse de Williams. Elle écarte l’argument selon lequel physiquement, les femmes sont désavantagées – et insiste sur le fait que de nos jours, toutes les différences peuvent être gommées en s’entraînant dur et avec l’aide des voitures modernes. Elle rit lorsqu’on lui suggère que c’est peut-être simplement parce que ‘les femmes ne savent pas conduire’ : “je connais des hommes qui sont de très bons conducteurs et d’autres de très mauvais” affirme-t-elle.
Quand on lui demande pourquoi elle n’a pas franchi l’étape entre pilote essayeuse et pilote remplaçante ou même plus, elle fait bonne figure. Susie est une bonne pilote – et on lui a donné l’occasion de s’entraîner lors des séances d’essai à Barcelone et Silverstone cette année. Mais elle n’est pas le genre de bonne pilote qui forcerait qui que ce soit dans son équipe à abandonner sa place. “Aujourd’hui, en Formule 1, en tant que pilote, il faut pouvoir proposer une offre globale. Il ne suffit pas d’être simplement rapide sur un circuit... Il y a très peu d’opportunités parce que je suis chez Williams mais nous avons déjà 2 grands pilotes en ce moment et ils font un travail formidable”.
Alors, si ce n’est pas Susie – qui ? Comment allons-nous trouver la femme assez rapide pour donner aux hommes du fil à retordre – et prendre leur place sur un circuit ? Pour Susie Wolff, il est évident que c’est une question de chiffres. “C’est là tout le problème. Il s’agit tout simplement de faire en sorte que davantage de petites filles commencent dès leur plus jeune âge, pour que les meilleures puissent arriver au top. Il ne faut pas oublier que la Formule 1 est le summum du sport automobile : ce sont les voitures de course les plus évoluées au monde, les plus rapides, et elles sont conduites par certains des meilleurs pilotes au monde. Il n’est donc pas facile pour n’importe quel pilote de réussir en Formule 1, qu’il s’agisse d’un homme ou d’une femme”.
Alors que les écuries de F1 continuent à se battre pour survivre – les places sur la grille de départ se font de plus en plus rares. Cette saison, il y a 20 places à pourvoir. 20 pilotes de l’élite de la Formule 1.
Et cette question de chiffres est justement un problème qui ne se limite pas aux sports automobiles, mais qui s’étend au sport en général pour les femmes. Il s’agit de convaincre les jeunes filles que le sport et la compétition sont amusants, bons pour la santé et que c’est bien plus cool que le statut de célébrité ou les jeux vidéo. Que transpirer et se salir sur le terrain est un million de fois plus gratifiant que regarder son petit ami le faire depuis les tribunes. La tendance est doucement en train de changer – le message semble passer. Et le message que le monde de la Formule 1 veut adresser aujourd’hui, c’est que les opportunités sont là et n’attendent qu’à être saisies.