Interview exclusive d’Yvan Muller

L’Alsacien revient sur sa carrière

Par Emmanuel Touzot

15 octobre 2016 - 12:03
Interview exclusive d'Yvan Muller

Alors qu’il a annoncé sa décision d’arrêter le WTCC l’an prochain, Yvan Muller s’apprête à disputer le dernier week-end de sa carrière dans la discipline, fin novembre au Qatar. Avec 4 titres de champion du monde, 50 victoires et 29 pole positions en onze saison, le Français peut jeter un œil satisfait dans le rétroviseur, sans pour autant oublier les autres disciplines dans lesquelles il a couru de manière régulière ou lors de simples piges. Il se confie en exclusivité pour Nextgen-auto.com.

Yvan, dans votre longue carrière, très variée, gardez-vous un souvenir d’une discipline en particulier, y en a-t-il une que vous avez préférée ?

Je ne peux pas dire qu’il y ait une discipline que j’ai préférée parce que toutes les disciplines ont leurs particularités. En règle générale, les disciplines à haut niveau parce que c’est là qu’on apprend le plus et qu’il faut donner le meilleur de soi-même, qu’il faut se dépasser pour y arriver et ensuite rester au niveau. Je ne peux pas en sortir une du lot.

Que ce soient les disciplines comme le WTCC où vous êtes resté durant de nombreuses années, ou celles où vous avez fait des piges comme Le Mans ou le rallye, fallait-il le même niveau d’investissement, et avez-vous pris le même plaisir au volant ?

Tout à fait, c’est la même chose. Ce qui est intéressant dans le fait d’être à haut niveau, c’est l’obligation d’atteindre le plus haut niveau et d’y rester. Que ce soit le WTCC, le BTCC avant, le V8 Supercars ou ailleurs, il faut être au top niveau car ce sont des catégories très exigeantes, mais je ne pourrais pas vraiment en sortir une du lot.

Suite à la filière de jeunes pilotes dans laquelle vous aviez couru, vous avez disputé une année de F3000 qui ne vous a pas permis d’arriver en F1 par la suite. Avez-vous eu des regrets de ne pas avoir continué en monoplace ?

J’ai fait une carrière en monoplace mais après la F3000, les portes de la F1 n’étaient pas vraiment ouvertes, il y avait encore beaucoup de Français en activité à cette époque-là, et il n’y avait pas vraiment de place. Je n’ai pas vraiment de regret à cela car j’ai fait une jolie carrière en dehors de la Formule 1 et j’ai pu constater et démontrer qu’il y avait aussi une histoire à raconter en sport automobile en dehors de la F1.

Effectivement, ça n’a pas été une mauvaise décision vu votre palmarès…

Non car j’ai pu faire de nombreuses choses, différentes les unes des autres, que ce soit de la glace, le Dakar, du supertourisme sous toutes ses formes, ou même le Mans.

Ce sont des choses qui n’auraient pas été possibles en F1, notamment avec le calendrier chargé ?

Non en effet, surtout au niveau des contrats et des autorisations pour s’inscrire dans d’autres disciplines.

La F1 a d’ailleurs beaucoup évolué lors des vingt dernières années, trouvez-vous qu’elle mérite encore son statut de meilleure discipline en sport automobile ? La suivez-vous avec intérêt ?

Je m’intéresse au sport en général et évidemment au sport automobile parce que c’est mon métier. C’est discutable mais la F1 propose des bonnes choses, ça reste l’élite du sport automobile, mais peut-être qu’elle pourrait ou devrait s’inspirer de l’expérience dans d’autres disciplines.

Privilégier le spectacle et la simplicité, tout en étant moins politique ?

Chaque période connaît son équipe dominante, il y a Mercedes en ce moment, Red Bull avant, mais c’est un peu le cas dans toutes les catégories. De toute façon les meilleurs restent toujours les meilleurs, mais il y avait peut-être des solutions pour rendre la chose un peu plus intéressante et permettre aux autres de gagner aussi des courses. On peut penser notamment à des handicaps de poids pour garder de l’intérêt auprès du public. En tant que sportif, je ne suis pas très fan de ce genre de solutions mais c’est important pour le public.

Effectivement, ça joue quand même un rôle important, on a vu en WTCC que ça permet de réduire les écarts mais que ça vous a régulièrement compliqué la vie chez Citroën, d’embarquer 80 kilos de lests chaque week-end.

Oui mais Citroën restait la meilleure équipe, et ça permettait au moins à d’autres de se montrer, de faire des bons résultats voire de remporter des courses et de relancer un peu la machine.

Après onze ans en WTCC, vous devez avoir beaucoup de souvenirs dans la discipline, est-ce que vous arriveriez à donner le meilleur et le pire ?

Pendant très longtemps, j’avais pris l’habitude de répondre que le meilleur souvenir serait le prochain, mais en WTCC il n’y en aura pas de prochain. On va dire que le pire souvenir c’est Macao en 2007, puisque je perds mon premier titre de champion du monde dans le dernier tour. Je suis en tête de course, virtuellement champion du monde et je tombe en panne, ce qui me fait perdre le titre. Et le meilleur souvenir c’est en 2008 puisque je concrétise enfin un titre de champion du monde.

C’était une revanche ?

Oui c’est une revanche, mais ce n’est même pas la revanche sur 2007, c’est plus vieux ! J’avais perdu un titre de champion du monde en karting en 1984, ça remonte à loin, et enfin en 2008 c’était pour moi l’occasion de commencer à oublier 1984. Mais 2007 a été un dur moment à passer, parce que la performance était là, j’étais en tête, mon rival qui était Andy Priaulx était à la onzième place à ce moment de la course, et il ne pouvait rien m’arriver. Mais ce n’est jamais fini, il faut passer la ligne pour gagner.

Avec ces longues années en WTCC, vous avez eu de nombreux équipiers, est-ce que vous en retenez un avec qui vous avez eu la meilleure relation ?

A l’époque où je roulais pour Seat, nous étions un bon nombre de pilotes, il y avait une bonne atmosphère, une bonne relation de travail et surtout une belle histoire entre Tarquini et moi puisqu’on était ensemble chez Seat en 2008 et qu’on s’est battus pour le titre l’un contre l’autre en 2009. C’est lui qui a gagné, et malgré le fait qu’on était concurrents et qu’on jouait le titre, il y a eu énormément de respect et d’amitié. Pour l’anecdote, on est arrivés à Macao aux deux premières places du championnat et celui qui finissait devant l’autre allait devenir champion du monde. On a joué le jeu jusqu’au bout, on a pris le même avion, on résidait dans le même hôtel, on allait ensemble au restaurant, on a passé la semaine ensemble.

En effet vous avez tout fait ensemble cette semaine-là !

On a même poussé le bouchon un peu plus loin en qualifications même si c’était involontaire, puisqu’à cause d’une plaque d’huile je me crashe et lui me rentre dedans, et on s’est retrouvés à l’hôpital tous les deux ! C’était un très bon moment de ma période avec Seat, j’en ai eu d’autres mais je retiens celui-ci en particulier car c’est rare que deux pilotes qui jouent le titre puissent rester amis comme nous l’étions et comme nous le sommes toujours.

Et avez-vous souvenir d’une relation plus compliquée ou d’un pilote avec qui vous ne vous êtes pas entendu ?

Je n’en parlerai pas, ça ne sert pas à grand-chose et je préfère parler du positif. Je me suis mieux entendu avec certains pilotes mais il n’y a pas eu de drame ou de mauvaise période.

Il n’y a pas eu de mauvais esprit globalement ?

Il y en a parfois eu parce que nous sommes des pilotes, nous avons les dents longues et nous sommes un peu tous comme ça, il faut être honnête.

Le dernier pilote avec qui vous avez fait équipe est Jose Maria Lopez, est-il l’équipier le plus fort que vous ayez eu ?

Je ne dirais pas cela comme ça, c’est sûr qu’il y a eu un écart entre nous mais nous ne sommes pas dans la même période. Il a 33 ans, j’en ai 47, il a les dents qui rayent le parquet alors que les miennes sont usées depuis un moment (rires) ! Donc l’écart est important mais je ne peux pas dire que l’un était plus compliqué que l’autre. On peut le voir comme ça en termes de résultats mais si on revient dix ans en arrière, ou même cinq ans, je ne suis pas sûr que ça donne le même résultat. La perte de motivation, qui est normale au bout d’un moment, fait que la performance est un peu plus faible, et c’est le sort de tous les sportifs.

Oui on le voit dans beaucoup de disciplines en sport automobile.

Et pas seulement, pour prendre l’exemple du tennis, Djokovic est meilleur que Federer, mais si on prend le niveau de Federer il y a cinq ans, le résultat serait peut-être différent. Et pour un exemple plus semblable il y a Schumacher qui a été sept fois champion du monde et le meilleur absolu pendant des années et qui s’est fait dominer par son jeune équipier qu’était Rosberg quand il est revenu chez Mercedes, sans pour autant que ça veuille dire que Rosberg est meilleur.

Dans le cas de Lopez, est-ce que ça a été difficile ou même frustrant de le voir s’adapter aussi vite ?

Non ce n’était pas très étonnant, il connaissait les voitures de tourisme parce qu’il en a fait beaucoup en Argentine et ce sont des choses qu’il connaît. C’était assez nouveau pour tout le monde quand il est arrivé en WTCC car on avait un nouveau règlement technique. On ne recommençait pas à zéro mais pas loin, et même s’il faut reconnaître que c’est un excellent pilote qui mérite ses titres, ce n’est pas non plus un extra-terrestre et un jour il se fera dominer par un jeune. J’ai aussi eu ma période où j’arrivais dans des disciplines que je dominais comme il l’a fait. Lors de ma première saison en WTCC j’ai dominé mes équipiers et j’ai failli être champion du monde, ce n’est pas exceptionnel, c’est surtout dû au fait qu’un bon pilote s’adapte très rapidement, et lui a eu en plus les bons outils pour le faire, mais cela n’enlève rien à ses qualités.

Et vous concernant, à quelle période de votre carrière considérez-vous que vous étiez à votre plus haut niveau ?

Je dirais vers la fin de la période Seat et au début de la période Chevrolet.

Bien que vous ayez décidé d’arrêter votre carrière en WTCC, est-ce que vous avez eu des offres pour piloter en 2017 ?

Je n’ai jamais eu autant de propositions que cette année (rires). J’en ai eu non seulement pour remettre le couvert en tant que pilote, mais maintenant que j’arrête j’ai des propositions diverses, notamment en tant que pilote expérimenté qui peut être consultant et conseiller.

Et ces propositions sont uniquement pour le WTCC ?

La plupart sont pour un rôle en WTCC car c’est là que mon expérience est la plus grande, mais j’en ai eu dans des disciplines diverses. Dans le sport automobile, c’est aussi la capacité d’analyse qui est la plus importante. Évidemment, j’ai des acquis en WTCC, mais quand tu es capable d’analyser une situation, ça peut fonctionner dans toutes les disciplines.

Vous avez dit récemment que la fin de votre carrière en WTCC ne signifiait pas la fin de votre carrière en sport automobile, est-ce que vous avez l’envie de faire des piges comme vous avez pu faire par le passé, que ce soit au Mans, au Dakar ou en rallye ?

Alors les 24h du Mans je ne les referai pas, le Dakar pas dans l’immédiat, le rallye à voir, pourquoi pas un ou deux dans l’année. Pour l’instant je ne cherche pas à aller rouler, le besoin de mettre le casque ne se fait pas ressentir. J’ai d’autres besoins pour l’instant, mais pas celui de rouler. On verra, peut-être pour des piges, j’ai même eu une proposition pour un autre championnat à haut niveau mais je ne sais pas encore. Il y a un intérêt car je ne le connais pas et ça serait une vraie découverte, mais pour l’instant je ne sais pas encore ce que je vais faire.

De quel championnat s’agit-il ?

C’est le Championnat du Monde de Rallycross.

Et vous seriez prêt à faire une saison complète, malgré la fatigue et l’implication que ça représente ?

Une saison complète en WTCC, je n’en veux plus. En revanche, une saison en rallycross, j’y réfléchirai. Je veux déjà finir la saison et réfléchir tranquillement, on verra de quoi l’avenir sera fait. Je m’occupe de mon équipe aussi et quand la saison sera terminée, je veux profiter de ma famille.

Et concernant votre équipe, vous aurez un programme unique en endurance l’an prochain, en catégorie LMP3 ?

On va se concentrer dessus en effet, il faudra voir dans quelle discipline. On a plusieurs pistes mais on va se concentrer sur cette catégorie, et avec les voitures que l’on a dans l’atelier, on a de quoi faire du coaching, de la découverte et du loisir.

Vous envisagez d’ouvrir une sorte d’école pour découvrir le pilotage, pas forcément réservée aux professionnels ?

Oui et surtout pour exploiter le côté plaisir et loisir, qui est sympa à partager, et moins se concentrer sur la compétition.

Vous avez toujours été impliqué dans la détection de jeunes pilotes, c’est encore le cas ? Vous allez y consacrer du temps lors des prochaines années ?

J’essaie d’en faire passer dans mon équipe, je suis le capitaine de l’équipe de France de Karting dans laquelle j’ai un rôle occasionnellement, mais comme je n’ai pas forcément le temps d’aller sur les courses de kart, il y a des gens qui connaissent mieux les jeunes pilotes que moi, je suis plutôt un consultant.

Pour en revenir sur le WTCC : sans Yvan Muller, sans Jose Maria Lopez et sans la présence officielle de Citroën, qui voyez-vous dominer la discipline l’année prochaine ?

Je ne connais pas encore les forces en présence mais il est évident que les Honda seront présentes et pourraient dominer. Ça dépendra aussi des pilotes présents dans les Citroën privées, et je garderai aussi un œil sur les Volvo. Mais plutôt Honda car ils ont le plus d’expérience et des pilotes de qualité, mais on n’est pas à l’abri d’avoir de bons outsiders dans les Citroën privées.

Et pour en terminer, avez-vous une anecdote particulière qui vous aura marqué lors de votre carrière en WTCC ?

Pour la petite histoire, à l’époque où je roulais pour Seat, notre médecin nous mettait toujours un cardio-fréquencemètre, et lors des trois saisons pendant lesquelles j’étais pilote dans l’équipe, c’est le jour où je suis monté sur le podium à Macao pour mon titre de champion du monde en 2008 que mon rythme cardiaque est monté le plus haut. Ce n’était pas par l’effort, mais plutôt par l’émotion, je suis monté à 196 battements par minute.

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