Interview - Emmanuele Pirro : La solution est présente dans le règlement

"Faire en sorte qu’un tel accident ne se reproduise plus"

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8 novembre 2014 - 16:03
Interview - Emmanuele Pirro : La (...)

Régulièrement appelé par la FIA pour épauler le collège des commissaires lors des Grands Prix, Emmanuele Pirro reste fortement attaché à une discipline qui ne lui aura pourtant jamais souri. Invité de Sportel Monaco, le salon du sport et des médias, l’Italien analyse le duel Hamilton-Rosberg et revient sur le drame Jules Bianchi.

Emmanuele, vous étiez pilote essayeur McLaren au moment du mythique duel entre Ayrton Senna et Alain Prost en 1988 et 1989. À quel point l’affrontement Hamilton-Rosberg se rapproche-t-il de celui qui a opposé Senna à Prost ?

Je trouve ce duel très amusant, très intéressant et aussi très utile pour la Formule 1. L’intensité et le niveau ne sont toutefois pas les mêmes que lors du duel Senna-Prost. L’affrontement Senna-Prost fut exceptionnel et unique. On avait deux hommes dotés de caractéristiques incroyables, avec un caractère, une intensité, une intelligence, une tête, une maturité et un charisme sans commune mesure. Il est difficile de retrouver un duel d’un niveau si extraordinaire.

Qu’est-ce qui caractérise le duel Hamilton-Rosberg selon-vous ?

Hamilton et Rosberg sont plus jeunes. Leur duel est moins sophistiqué, mais très intéressant malgré tout. C’est bien que Mercedes les laisse se battre parce que plus de 20 ans après les choses ont bien changé en sport automobile. On ne vit pas la même vie. À l’époque, il était normal que deux coéquipiers se battent librement, car les ordres n’existaient pas.

L’approche adoptée par Mercedes est-elle la bonne ?

Aujourd’hui, le marketing est omniprésent et les intérêts commerciaux sont tellement importants qu’ils influencent hélas beaucoup les courses. Il faut donner du crédit à Mercedes de laisser ses pilotes se battre comme ils le font. C’est aussi une très bonne chose pour les pilotes, car c’est vraiment frustrant de se retrouver freiner par des consignes d’équipe.

« Le risque est toujours présent en Formule 1 »

L’effroyable accident de Jules Bianchi à Suzuka a fortement secoué la sphère de la Formule 1. Qu’avez-vous ressenti après cette terrible journée ?

Le sentiment qui prédomine est la tristesse. On ne connaît pas vraiment son état de santé actuel, mais on sait que sa situation est critique. Il est normal que tout le monde se sente touché et triste. On espère tous que cela sera moins grave que l’on pense. L’incident en lui-même est une série de circonstances malheureuses et très spéciales. Jules a eu une malchance incroyable.

Comprenez-vous l’émoi vécu par le petit monde de la F1 ?

Oui, clairement. La F1 affiche aujourd’hui un niveau de sécurité extrêmement poussé et on n’est pas préparé à subir ce genre d’incident. Dans le passé, il nous était moins difficile d’accepter que quelqu’un puisse se blesser en piste. On pense aujourd’hui, à tort, que rien ne peut se passer, mais ce n’est pas vrai car le risque est toujours présent en Formule 1. La sécurité est tellement élevée qu’à chaque fois que quelque chose de grave se passe on est d’autant plus choqué.

Le problème central dans cet incident est la présence de ce camion grue en plein milieu d’un virage. Compte tenu des conditions difficiles, ne pouvait-on pas opérer d’une autre façon pour évacuer la Sauber de Sutil ?

La solution est présente dans le règlement. Il existe des drapeaux pour signaler aux pilotes qu’il y a un problème. La direction de course a deux moyens : le drapeau jaune simple et le double drapeau jaune. Et lorsque le double drapeau jaune est brandi aux pilotes, ils doivent normalement ralentir fortement sur la zone jugée à risque. Ce que les pilotes font en course n’est pas réellement ce qui est écrit dans le règlement.

L’accident de Jules était-il évitable ?

Dans un monde idéal, une autre sortie de piste ne devrait jamais se produire sur une zone balisée par un double drapeau jaune. C’est triste de dire ça, parce que Jules s’est retrouvé dans cette position là. Les gens qui posent la question de la présence d’une grue à cet endroit là feraient mieux de proposer une autre solution.

« Imposer aux pilotes de ralentir ostensiblement en cas de danger »

Quelles solutions préconisez-vous pour éviter qu’un tel incident ne se reproduise ?

Il faut se montrer beaucoup plus exigeant au niveau du ralentissement demandé aux pilotes. L’unique solution pour moi est d’imposer aux pilotes de ralentir ostensiblement en cas de danger et à la moindre sortie d’un drapeau jaune. Car quand une voiture sort et reste bloquée dans le bac à sable, il faut bien l’enlever le plus vite possible et faire intervenir un tracteur. L’autre solution est de neutraliser constamment la course comme c’est le cas aux États-Unis. Mais les gens doivent aussi penser aux dangers que pose un restart qui est nettement plus périlleux que de récupérer une voiture.

Les commissaires de piste de Suzuka sont-ils à blâmer dans l’accident de Jules ?

Non, honnêtement la qualité des commissaires de Suzuka n’est pas en cause dans cet accident. Ils sont très compétents. Suzuka est l’un des circuits les plus anciens du calendrier et les personnes qui y travaillent sont très expérimentées et efficaces. On ne peut pas les comparer avec ceux de Monaco qui sont presque exceptionnels. Mais leur tâche est également plus facile à Monaco parce que le circuit est équipé de grues. La configuration de la piste permet l’utilisation de ces grues fixes. Ce n’est pas le cas ailleurs.

L’utilisation de grues fixes dans certains virages clés des circuits pourrait pourtant réduire l’intervention de ces tracteurs en piste …

Les grues n’ont pas des bras de 30 mètres et les circuits modernes offrent des zones de dégagements toujours plus conséquentes. On doit avoir des véhicules mobiles pour enlever une voiture d’un bac à sable. Il est impossible d’avoir partout des grues fixes comme à Monaco. Il ne faut pas négliger non plus le fait que Monaco est un Grand Prix riche et que les grues peuvent être garées juste à côté du circuit parce qu’il n’y a justement pas de bac à sable.

La FIA ne devrait-elle pas imposer aux différents circuits du calendrier une formation afin que les commissaires de piste tendent vers l’excellence de leurs homologues monégasques ?

Les commissaires de Monaco sont certes plus rapides à intervenir, mais je me rappelle encore de l’incident de Maldonado en GP2. Pastor avait violemment percuté un commissaire de piste au virage du casino. Cela prouve que même des commissaires aussi entraînés peuvent être mis en danger quand les pilotes ne ralentissent pas suffisamment lorsqu’un drapeau jaune est brandi. Et c’est une chose sur laquelle je veux me battre.

« Faire en sorte qu’un tel accident ne se reproduise plus »

Doit-on d’avantage protéger les commissaires de piste ?

À Suzuka un pilote a malheureusement été blessé, mais les personnes qui prennent le plus de risque pendant un Grand Prix ce sont les commissaires. Ils font ça par passion et sans eux on ne pourrait pas organiser de course. J’ai un énorme respect pour eux et il faut vraiment faire en sorte qu’un tel accident ne se reproduise plus jamais.

Aurait-il fallu, comme le soutien Felipe Massa, neutraliser la course sous safety-car en raison des problèmes de luminosité en piste ?

Beaucoup de monde a déclaré qu’il aurait fallu neutraliser la course sous safety-car, mais il faut aussi penser aux conséquences que cela aurait pu générer sur la suite du Grand Prix. Un restart engendre beaucoup de danger dans des conditions normales, mais un restart sous la pluie est encore plus dangereux. Si le directeur de course avait choisi de mettre la voiture de sécurité après cette petite sortie de route de Sutil cela aurait pu provoquer un restart chaotique.

Mais cela aurait peut être permis d’éviter l’incident de Jules …

La manœuvre de la grue était assez brève et sans l’accident de Jules l’intervention se serait achevée quelques secondes plus tard. Ce fut vraiment une question d’une minute et sans la sortie de Jules tout ça ne ferait même pas parler. S’il y avait eu un incident au restart après que le directeur de course ait sorti la safety-car, les mêmes personnes qui aujourd’hui réprouvent la décision de la direction de course auraient critiqué l’intervention de la safety-car en piste.

Propos recueillis par Andrea Noviello

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