Horaires affolants et classe économique : la dure vie d’un mécanicien

Coulisses de la discipline

Par Alexandre C.

28 septembre 2016 - 09:29
Horaires affolants et classe économique

Livrés à eux-mêmes, les 22 pilotes de F1 seraient bien impuissants. Ils peuvent remercier – et ils le font d’ailleurs chaque semaine – ces hommes de l’ombre, dont en premier lieu les ingénieurs et les mécaniciens. La plupart de ces derniers arrivent sur les trente ans, et ont souvent une vie de famille difficile à concilier avec la charge écrasante de travail qui est la leur…

Kenny Handkammer est un de ces mécaniciens. Cela fait 25 ans qu’il est en Formule 1. Il était en première ligne en 1994, lorsque la monoplace de Jos Verstappen s’est enflammée aux stands. Il fut aussi le chef mécanicien de Sebastian Vettel chez Red Bull. Son témoignage est ainsi particulièrement instructif.

« Vous devez avoir un partenaire [amoureux] vraiment, vraiment compréhensif. Si vous avez toujours fait cela et que vous rencontrez quelqu’un, et s’il est conscient du fait que vous voyagiez, c’est un petit peu plus facile. Mais si vous êtes dans une relation et décidez ensuite de partir pour quelques courses de F1, ce peut être plus difficile. Beaucoup de personnes ont du mal avec ça. Pour faire ce travail, vous devez être engagé et concentré. Vous ne pouvez pas faire ce job à moitié. Vous avez la vie d’un gars entre vos mains. C’est un petit peu meilleur que par le passé. Auparavant, c’était plus difficile. Vous reveniez et vous étiez fatigues, et cela n’aide pas dans votre relation. Vous vous levez et vous n’êtes pas dans le meilleur état d’esprit, cela dépend du week-end que vous avez eu. »

Alors que les pilotes voyagent dans des jets luxueux et ont le temps de visiter les pays visités, les mécaniciens voyagent en classe économique et n’ont guère le temps de faire du tourisme… « Nous voyons très peu de choses du pays dans lequel nous sommes. Pendant le premier jour, vous pourriez avoir un peu de temps, mais une fois que vous commencez à travailler, tout ce que vous voyez, c’est le circuit, la route vers le circuit, et l’hôtel. Nous pourrions être à Silverstone à chaque course, parce que nous ne voyons pas vraiment autre chose que le circuit. »

En temps normal, les mécaniciens arrivent les mercredis après-midi pour installer la voiture dans les garages. Le jeudi est la journée des vérifications système et mécanique. A partir du vendredi, la charge de travail s’étale de l’aube au crépuscule.

« Un vendredi normal, ce serait 21 ou 22 heures de travail. Nous avions l’habitude de faire cela les vendredis et les samedis par le passé. Vous le sentez vraiment… Vous êtes debout pendant 22 heures. Vous vous arrêterez peut-être pendant 20 minutes si vous avez de la chance. Parfois, s’il y avait du travail pendant la nuit, vous sautiez le petit-déjeuner et attrapiez peut-être un sandwich au déjeuner, et ensuite vous aviez peut-être 20 minutes de repos en soirée. Chaque mécanicien souffre des pieds. Les gens ne sont pas conçus pour être debout pendant 22 heures. C’est assez brutal. »

Heureusement, la situation a changé depuis l’introduction du couvre-feu. Mais entre les courses, le calendrier est toujours autant affolant…

« S’il y a deux semaines entre les courses, alors nous avions l’habitude de revenir d’une course le lundi. Nous avions un jour de repos le mardi et ensuite, nous étions de retour le mercredi. C’était alors une semaine à peu près normale. Puis, nous nous envolions pour une course le mercredi suivant. Quand les courses se suivent, c’est différent. Vous rangiez la voiture le dimanche et rangiez 50 tonnes d’équipement, et ensuite vous vous envoliez le lundi pour le prochain rendez-vous, et commenciez à travailler immédiatement. »

Les mécaniciens restent souvent dans l’ombre… sauf quand ils commettent une erreur aux stands. Nombreux sont pourtant les pilotes à les remercier, comme Lewis Hamilton, dans les médias après la course… mais ce n’est pas une règle générale, révèle Handkammer.

« Il y a un peu de tout pour être honnête. Vous avez vraiment des pilotes qui ne viennent pas parler aux mécaniciens. Ces derniers travaillent avec eux 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24, mais ces pilotes ne communiquent pas avec eux. Vous devez être égoïste et avoir un peu d’égo pour avoir du succès, mais c’est dommage que certains ne communiquent pas. Je suis chanceux d’avoir pu travailler avec des personnes fantastiques, cependant. »

« Michael Schumacher et Sebastian Vettel avaient l’habitude de parler de leurs vies privées, et ils vous témoignaient aussi de l’intérêt, ils vous posaient des questions sur votre famille. Nelson Piquet était formidable pour faire des blagues. Il essayait toujours de se jouer d’Alessandro Nannini. Jean Alesi était aussi un gars fantastique. A la fin d’une année, il s’est envolé avec toute une équipe à Avignon, et a organisé des évènements comme des courses de karting, et c’était deux semaines avant l’accouchement de sa femme. »

Le métier de mécanicien, on l’aura compris, est extrêmement difficile… Pourquoi alors accepter un tel sacrifice ? «  Nous avons été dans le livre des records avec le premier arrêt en-dessous des deux secondes. Quand deux voitures arrivent et que vous battez l’autre en sortant des stands, alors c’est une vraie fierté pour l’équipe. C’est presque autant de satisfaction qu’une victoire. En réalité, nous avons gagné des courses pour les pilotes, alors qu’ils n’allaient pas dépasser un rival sur la piste. C’est une carrière assez stressante, mais à bien considérer l’ensemble, c’est incroyable. »

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